TV Magazine : Votre
dernier album remonte à deux ans. Vous nous aviez
habitués à des intervalles plus longs...
Mylène Farmer : Oui. Je ne m'en rends pas compte. Deux ans
dans un monde chronophage, où chaque jour engloutit le
temps, cela paraît une éternité. Il
s'agit probablement d'un manque et de l'envie de remonter sur
scène.
Monkey
Me marque la
reformation de votre tandem artistique avec Laurent Boutonnat.
Qu'est-ce que votre "infidélité" vous a
apporté ?
Il ne s'agit pas d'infidélité ! Mon
précédent album, Bleu Noir,
n'était autre que le fruit de rencontres avec Moby, Archive
et RedOne. Ils m'ont proposé des chansons qui ont
provoqué mon désir et l'envie
d'écrire... C'est aussi simple que ça. En outre,
Laurent Boutonnat travaillait de son côté sur
d'autres projets.
On vous connaissait
rousse et vous vous montrez blonde platine sur l'album et les affiches
de votre tournée. Que s'est-il passé ?
Moi aussi, je me connaissais rousse ! (Rires.) Mais sous le roux se
cachent d'autres couleurs. Ne sommes-nous pas tous
constitués de mille facettes ? Celle-ci avait envie de
vivre...
Quel look allez-vous
adopter pour votre tournée ? Et quelles surprises avez-vous
concoctées pour ces concerts ?
Je ne peux y répondre maintenant. Mais, puisque vous
l'évoquez, le mot surprise sera bien au rendez-vous.
Une nouvelle fois, vous
avez battu le record de réservations en un minimum de temps.
Cela vous touche-t-il encore ?
Je suis bouleversée à chaque fois ! Tellement
bouleversée... Et, quelques instants plus tard, totalement
affolée ! Il est impensable d'être
blasée par un geste d'amour comme celui-ci. C'est un
véritable cadeau et une responsabilité aussi. On
ne veut pas décevoir ni se décevoir. On a donc un
an pour se préparer à embrasser le regard de tous
ceux qui ont la générosité d'attendre.
Quels conseils
donneriez-vous à ceux qui écoutent vos chansons
pour garder de l'espoir dans un monde aussi dur ?
Le monde a toujours été dur. Sous certains
aspects, il l'est peut-être moins aujourd'hui, même
s'il est autrement cruel. Moins solidaire, plus solitaire aussi. Je ne
peux que penser à ceux qui sont bien plus malheureux, dans
le besoin ou cloués sur un lit d'hôpital, et me
dire qu'il faut affronter la vie et trouver des pépites dans
des moments simples, ces moments qui sont souvent à
portée de soi, mais qu'on ne voit plus. Être
aimé de quelqu'un ou d'un plus grand nombre reste
l'essentiel de la vie. Se préoccuper d'autrui rend meilleur
On vous dit solitaire.
Pouvez-vous nous décrire une de vos journées
quand vous ne travaillez pas ?
Vous voulez dire quand je ne travaille pas comme une personne qui doit
se rendre quotidiennement à son bureau ? (Sourire.) C'est un
grand privilège de n'avoir pas le sentiment de travailler,
même lorsque je finis une séance de studio
à 2 heures du matin ou lorsque je sors de scène
exsangue. C'est du travail, mais je ne le vis pas comme un poids ni
comme une obligation. C'est un choix et une immense chance. Je dois
certainement partager ce sentiment avec toutes les personnes
passionnées par ce qu'elles font. Mais je suis, c'est vrai,
d'une nature solitaire. J'ai besoin de m'occuper de mes animaux, de
dessiner, de nager, de regarder des films et je retrouve mes amis avec
d'autant plus de plaisir...
Quels sont les journaux
et les émissions de télévision que
vous suivez régulièrement ?
Je ne regarde pas beaucoup la télévision
finalement, surtout en période de travail. Mais j'ai
toujours aimé les débats, quand les points de vue
sont exprimés avec respect. La
télévision est un média parfois trop
pressé pour traiter le fond des choses. Je n'aime pas le
cynisme systématique et la télévision
bruyante. Il m'arrive de dévorer des séries comme
Downton Abbey,
Dexter ou Les Tudors et je
regarde toujours avec autant de bonheur Un jour, un destin.
Dans le fond, je ne recherche pas l'information à tout
prix... Je la laisse me cueillir au détour d'un article,
d'un reportage.
L'industrie musicale
souffre et les ventes de CD ne cessent de baisser. Imaginez-vous un
jour ne plus pouvoir sortir de disques ?
Chaque époque a connu la disparition d'un support. Il y aura
toujours des disques physiques, même si le digital annonce
une ère nouvelle. En tout cas, il y aura toujours un rapport
affectif à l'objet quel qu'il soit. Les albums ou une autre
forme restant à inventer rencontreront toujours un public.
La musique existait dès la naissance de
l'humanité.
Que pensez-vous des
télé-crochets ? Est-ce un miroir aux alouettes,
un
mal nécessaire ou le seul moyen aujourd'hui d'être
découvert ?
Je ne peux pas juger cette génération
d'émissions puisque je ne les connais pas bien. Mais je suis
toujours un peu gênée quand l'art devient un
concours.
Le Québec,
où vous êtes née, est en proie
à de violents mouvements protestataires. Avez-vous
conservé des attaches là-bas ?
La violence m'a surprise dans ce pays, à la
réputation modérée. Je n'y ai
conservé malheureusement aucune attache... Si ce n'est
l'envie d'y retourner pour ses paysages de neige et peut-être
transporter le prochain spectacle là-bas...
Quels artistes
récents vous semblent dignes d'intérêt ?
Je suis impressionnée par Muse. Et par Matthew Bellamy, qui
est aussi fascinant que Freddie Mercury !
Que pensez-vous des
réseaux sociaux et des sites si nombreux qui vous sont
consacrés ?
Je suis fascinée par la vitesse de l'information et la
possibilité pour de nombreuses personnes de partager
instantanément des sujets communs. Je pense aussi
à ceux qui n'y ont pas accès. Avec qui
partagent-ils leurs passions ? Aussi, je ne m'attarde pas sur les sites
qui me sont consacrés. J'aurais l'impression d'entrer, sans
y avoir été invitée, dans une
pièce où les gens parlent de moi.
Une photo vous montre
avec un gibbon. Est-ce celui que vous avez adopté il y a
plusieurs années ?
Non. E.T. était un singe capucin, plus menu. Elle a
partagé ma vie pendant plus de vingt-cinq ans. Il s'agit ici
de Betty, une demoiselle de 4 ans, qui a été
volée lorsqu'elle avait 3 mois et retrouvée huit
mois plus tard. J'ai croisé son chemin grâce
à Vincent Lindon, qui m'a un jour envoyé une
petite vidéo d'elle sur le tournage de son film Augustine.
J'ai immédiatement contacté le parc zoologique du
bois d'Attilly, où elle vivait. C'est une rencontre
inoubliable, une émotion tellement forte. Elle
était d'une douceur incroyable. Quant à E.T.,
elle me manque terriblement...
L'avez-vous
remplacée ?
Non. Elle restera l'unique.
Avez-vous
déjà décidé d'une date
à laquelle vous arrêteriez de vous produire sur
scène ou d'enregistrer des disques ?
C'est, semble-t-il, une question qui taraude beaucoup les
médias, mais, vous savez, il y a dix ans
déjà, on me demandait : "Quand saurez-vous que ce
n'est pas le combat de trop ?". Je ne me projette pas dans l'avenir.
Trop angoissant. Quand le désir n'existera plus, alors je me
volatiliserai.