Lettre de Nathalie Rheims
Publiée dans Madame Figaro paru le 27 décembre
2008
Comment parler de toi ?
Comment dire, sans dire, ce que tu es ?
Décrire ton être. Écrire ton existence.
Raconter. Passer
par les mots. Tourner autour de ton âme comme on
découvre
le ciel, comme on explore une galaxie inconnue. Faire ton portrait, toi
que je sais, toi que j'aime tant. Exercice impossible puisque c'est le
silence qui tisse la trame de tout ce qui nous lie.
S'il y avait un
titre à ce commencement, ce serait : "l'Une pour l'autre."
De
ton amour, de ta confiance, je me sens la gardienne, et je veille sur
ce privilège.
Silencieuse et secrète - n'est-ce pas ainsi
que te décrivent tous les livres qui te sont
consacrés ?
Mystérieuse aussi, puisque telle est ta nature profonde.
Ceux
que tu aimes deviennent des coffres inviolables où reposent
des
fragments de toi comme les pièces d'un trésor.
Pourtant,
il n'y à rien d'indicible, de caché, tout est
dans ce que
tu écris, dans les strophes qui nous viennent par ta voix,
si ce
n'est ce que toi-même tu as oublié.
Je te regarde à
travers le miroir magique où chacun aime à se
reconnaître, et je traverse ce prisme pour rejoindre ton
reflet.
Je m'approche, pose mes mains sur la vitre, le verre tremble comme une
eau limpide.
J'effleure la surface du bout des doigts, tu apparais dans
la transparence. Dehors le soleil irradie le paysage, mais les
persiennes restent closes. Tous les mots sont jetés,
épars, à travers la pièce. Tu me
souris, les
ramasses un à un et les jettes dans un grand sac. Tu me fais
signe de te suivre. Tu avances, projetant sur le sol ton ombre qui
guide mes pas, la lumière filtre derrière les
volets et
reste invisible à nos yeux.
Laisse-moi te suivre dans l'ombre de
ton âme, et puisqu'il faut choisir, laisse-moi devenir
l'autre,
à la poursuite d'un je qui se demande à quoi il
sert.
"Plus grandir", dis-tu, mais comment continuer ? Te raconter au
creux de tes phrases. Montrer. Apparaître. S'effacer. Faire
silence. Mourir puis renaître. Trouver la force. Les images
de
toi se forment comme des clignotements d'éclats
électriques. Toi, si proche, personne ne peut imaginer
à
quel point tu es simple dans la vraie vie, celle que nous partageons,
loin des fantasmes et des folies.
Humaine, si près de ceux que tu
aimes, si attentive à tout, à tous. Tu poses des
questions, écoutes les réponses avec
précision,
soucieuse du bien-être des tes amis, soudée
à ta
famille, faisant corps avec celui que tu aimes. Si loin de tout ce qui
peut se dire çà et là, dans ces
tombeaux de
papier.
En savoir davantage, c'est l'impression que voudraient donner
ceux qui écrivent sur toi sans te connaître, et
feignent
de croire que ton absence dans cette caravane de l'étrange,
où tout le monde s'affiche et se montre, est une position
cynique et réfléchie. Mais il n'en est rien.
Aucun
rouage, aucune stratégie dans ta décision. Juste
le
désir de n'apparaître que dans ton travail. Le
reste, la
vie, le quotidien, ne recèle ni sanctuaire ni caveau dans
lesquels reposeraient toutes sortes de facettes obscures. Il faut
t'apprendre pour comprendre que les secrets que tu poursuis sont des
valeurs d'absolu.
Je pense à notre rencontre, quelque part en
Corse, après nous être croisées
plusieurs fois,
sans nous approcher, nous regardant de loin, comme si chacune pensait
que le moment n'était pas venu, qu'il fallait attendre.
LAURENT ET TOI
Depuis, tu m'éblouis par ce mélange constant de
force, de
fragilité, de certitude et de doute. Parfois je me demande
si tu
as conscience de ce que tu es, de l'image que tu projettes et qui
avance, silhouette chinoise, vers le refuge de ta maison aux murs
clairs, ton arche de Noé, car tu pourrais y accueillir tous
les
animaux de la terre.
Lever l'ancre et naviguer loin, très loin.
"Où irons-nous ?" me dis-tu dans un éclat de
rire.
Où tu veux. Tu le sais. Mais il n'est pas encore temps.
"Point de
suture", tu en as tissé la trame avec Laurent Boutonnat.
Comment
écrire sur toi sans évoquer Laurent ?
Là aussi,
tant de projections, d'à-peu-près. Vous
êtes les
deux faces d'un monde qui n'appartient qu'à vous. Vous avez
fermé la frontière pour baliser vos territoires,
qui se
rejoignent dans un univers où personne ne règne
en
maître. Je crois que cela s'appelle une alliance.
C'est un album
clair, l'ombre a pris le large, laissant derrière elle des
chansons qui s'éparpillent dans des chagrins anciens. La
nature
est changeante, dis-tu, mais le brouillard s'est levé, on
est
passé à l'heure d'été. Les
vents
continueront de te tourmenter, mais nous repousserons les hivers.
Changer pour devenir une autre tout en restant la même. Et se
donner à soi-même.Tu apparais à nouveau
à
l'intérieur de ces plaies refermées dans l'oeil
de la
caméra de Bruno Aveillan, qui filtre chaque
étincelle. Tu
surgis, fée surnaturelle, projetant le flux
sidéral d'un
amour universel. Tu réveilles le monde, les nuits sont
chaudes.
Ils seront des milliers à t'attendre lorsque les jours
auront rallongé. Tu t'y prépares, tu
t'entraînes
chaque jour, réfléchis, construis, dessines,
collabores
avec tous ceux qui t'accompagnent dans ce nouveau chapitre. Avant le
Stade de France, les 11 et 12 septembre 2009, il y aura la
tournée - l'anxiété, le coeur qui
cogne, les
tempes qui se serrent. Mais tout sera, j'en suis sûre, comme
tu
l'avais imaginé.
Je te regarde, en écrivant ces mots,
tandis que sur un grand édredon blanc, tu scandes "Appelle
mon
numéro". Combien de fois, chaque jour, nous arrive-t-il de
le
faire ? Les saisons passent et tu attends un signe qui ne viendra
peut-être pas. Benoît Di Sabatino a saisi, dans ses
images,
la petite fille qui demeure. "Sans contrefaçon", telle que
tu
es, à la fois douce et volontaire.
VIERGE OU DEMON
Je dessine ton visage à l'encre de mon stylo. J'en connais
chaque détail, chacun des contours. Tu te transformes,
passant
les saisons, les débordant "sans logique",
jusqu'à
écrire "je me quitte", mais c'est pour mieux te
transfigurer.
Passer de la femme à l'androgyne, de la vierge à
la
figure du diable, pour toi ce n'est qu'un jeu d'enfant. Pourtant la
dualité te possède et t'interroge. Ta part de
l'ange, la
face tournée vers les ténèbres, tes
éclats
de rire, tes moments de tristesse, parce que ta fragilité au
monde est comme du cristal qui peut se briser à chaque
dissonance. "Ange, parle-moi, dis-moi si tu es là." C'est
bien
toi qui l'a écrit, alors écoute. Ceux qui ont
disparu
veillent, souvent tu me dis : "Si on allait voir des fantômes
?",
mais où se cachent-ils ? Tu aimes jouer avec les feux
follets,
explorer l'inconscient, te promener dans le surnaturel, mais c'est
toujours dans tes poèmes que l'au-delà surgit,
que les
anamorphoses transfigurent les images, dans tes textes que les
rêves sont les plus accessibles.
Tu apprivoises la mort par la
magie des mots, repoussant l'idée du néant. Tu
aimes te
balader dans les cimetières, parce que leur calme et la
beauté des pierres t'apaisent. Tu penses, si souvent, je le
sais, à ceux que tu as perdus, même si tu n'en
parles pas.
"Si j'avais au moins revu ton visage, entrevu, au loin, le moindre
nuage." Qui peut savoir si, à force de le dire, de le
chanter,
quelque part, peut-être, quelqu'un t'entendra.
Tes yeux prennent
la couleur du cuivre pour se fondre dans le reflet de tes cheveux. Les
vanités d'émail sertissent chacun de tes doigts
comme
autant de protections, de talismans
.La vie avance, l'âge semble
t'ignorer. Ton portrait serait-il caché quelque part,
scellé dans un réduit dont toi seule
posséderais
la clé ? Aurais-tu passé un pacte avec l'ange ?
Et
lorsque tu lui parles, est-ce qu'il te répond ? C'est lui,
sans
doute, qui a fait se croiser nos routes.