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Mylène Farmer - Libertine - Analyse du clip







Par Eymeric Manzinalli (publié dans "Styx Magazine Spécial Mylène Farmer Années 80")


Avec « Maman à tort », Mylène Farmer s’est fait un nom. Avec « Libertine », ce sera une image, aussi marquante qu’un tir de pistolet dans un duel. La carrière de la jeune artiste peut commencer.


Après un duel dont Libertine sort triomphante, à l’effroi de l’amante de son adversaire, la jeune fille se rend dans une fête mondaine. Les nobles mangent et boivent, séduisent et jouent. Libertine a plutôt l’esprit occupé par un homme, avec lequel débute un jeu de séduction discret, pendant une partie de carte. Elle l’entraîne finalement dans une chambre, où ils se donnent l’un à l’autre. A son retour parmi l’assemblée des nobles, Libertine est reconnue par une femme, qui n’est autre que l’amante de son adversaire de duel. Furieuse, celle-ci  se jette sur Libertine. La jeune fille réussit à prendre la fuite à cheval avec son nouvel amant. Les deux sont hélas rattrapés par la rivale qui, accompagnée d’une bande armée, ouvre le feu sur eux. Le clip se conclut sur la vision des deux amants, à terre et ensanglantés.


Rousse androgyne, sensuelle et garçonne, Libertine marquera le début de carrière de Mylène Farmer, après deux essais confirmés en terme de réception des médias et de ventes, « Maman à tort » et « Plus Grandir ».  Si ces singles présagent de l’univers atypique de la star, ils ne seront pas les œuvres complètes, musicales et esthétiques, que seront les autres titres des années quatre-vingt. Avec « Libertine », le clip, Laurent Boutonnat va frapper un grand coup.


Dans une esthétique à la Barry Lindon, la couleur rousse qui, d’abord, recouvre les cheveux de Mylène Farmer, va devenir avec ce clip un symbole, une marque que l’on retrouve dans de nombreux surnoms désormais accolés à la star. Quoi de plus saillant effectivement que des teintes orangées, la mise en valeur par des lumières naturelles (reflets de branchages sur les visages pendant le duel, nuances de la verdure…), pour donner à cette couleur de cheveux un aspect flamboyant ? Le look garçonne du XVIIIe prolonge cette impression. Le groupe de dream-pop Goldfrapp ne s’y trompera pas, vingt ans plus tard, lorsque la chanteuse du duo anglais arbore le même look pour l’album Seventh Tree. Alison Goldfrapp est pour le reste, tout comme Mylène, habituée à un travail pointu de l’image, des looks aux clips et concerts. Si la référence à « Libertine » est (peut-être ?) une coïncidence, l’esprit Barry Lindon plane sur la pochette du duo. La chanteuse est de dos, mais sa tête se retourne pour nous faire face du regard, vêtue d’une large chemise blanche et d’un bicorne, baignant dans une lumière où le vert et le jaune dominent, mettant en valeur ses boucles blondes. Les deux femmes, Mylène et Alison, apparaissent comme enfantines et sensuelles, dans une certaine ressemblance, bien que le contenu de leurs univers respectifs diffère en tout point, dès que l’on prend le temps d’écouter leurs albums. Mylène est, à l’époque, Baudelaire et Poe, là où Alison est plutôt Carroll, avec un album aux teintes psychédéliques, douces, remplies de mélancolie onirique et d’humour. Il est, pour le reste, étonnant de voir deux looks si proches prendre place dans deux univers si différents. Marqué par les années 80, l’androgyne Farmer révèle, si nous allons plus loin, un conflit d’identité masculin-féminin là où Goldfrapp fait plutôt référence à l’enfance, joues grimées de rouge, apparaissant ailleurs en Arlequin.


    Le XVIIIe siècle que dépeint « Libertine » est, enfin, plus empreint de réalisme, là où Seventh Tree se situe dans le rêve, l’atemporel. Le clip offre la peinture d’un milieu social, celui de la noblesse, dans son déclin historique, peu avant les événements de 1789 et l’avènement au XIXe siècle de la bourgeoisie. La noblesse, dont le rôle est, dans la société du Moyen-Âge, celui des armes et de la guerre, s’est en partie transformée, notamment pendant le règne de Louis XIV, qui souhaite renforcer son pouvoir en maintenant les nobles à la Cour. La littérature du XVIIe et XVIIIe siècle dépeint déjà une noblesse oisive, ou dépourvue des valeurs inhérentes à leur classe. Voire immorale dans les Liaisons dangereuses où la Marquise de Merteuil emprunte le masque de la piété et de la fidélité à des fins de manipulation : pour gagner la confiance où faire passer ses désirs pour les conseils d’une femme avisée, soucieuse de l’intérêt des autres. La noblesse de « Libertine » est pareille à une douille vide. Vidée de sa valeur, de son rôle guerrier, elle se réfugie dans le divertissement pour oublier la légèreté de son existence. Les scènes tournées au Château de Ferrières ont ainsi une mise en scène dynamique, avec des plans complexes dans lesquels nous suivons plusieurs personnages. Les teintes sont chaudes, les visages grimés et expressifs, les personnages se séduisent, jouent aux cartes, mangent ou boivent. Quand Libertine et sa rivale en viennent à se battre, dévastant des tables sur leur passage, aucun noble n’intervient pour les séparer mais tous accourent à la porte après le départ de Libertine. Un plan montre l’un d’eux, la tête posée sur une table, lever les yeux aux cris de la rivale et les refermer. Plan rapproché ironique qui clôt la caricature, l’allégorie de la vanité. Le dynamisme des images cache alors un ennui, un vide profond, qui poussent les personnages à s’en détourner par l’agitation. Tout comme d’autres clips, qui utiliseront une esthétique inversement plus austère, « Libertine » a déjà en fond le vide de l’existence contenu dans un « A quoi je sers ».


    On se demande, enfin, si Libertine appartient à cette noblesse déclinante. Est-elle, comme le héros de Barry Lindon, une roturière qui a réussi à accéder à ce milieu fermé, grâce à son intelligence et à son charme ?  Le clip ne nous le dit pas, mais son attitude, qui diffère de celle des autres, nous le laisse penser. La scène de séduction, pendant la partie de cartes, révèle une Libertine sûre d’elle-même, prête à mener, autant que l’homme, l’entreprise de séduction. Les regards traversant les cierges, francs et directs, ainsi que la prise de contrôle de Libertine pendant l’amour, en font une femme maitresse de ses désirs. Si elle n’est pas une roturière anoblie, elle a  tout d’une femme qui a réussi à dépasser sa condition. Elle ose ainsi affronter sans ciller un homme en duel, avec ce même regard franc, et repartir, comme après l’amour, avec un air de triomphe et de dédain, adressé à sa rivale. Les deux femmes ennemies se confondent d’ailleurs, utilisant le charme, l’intelligence et les armes pour s’affronter. Elles évoluent dans le même cercle et la rivale semble, elle aussi, une femme capable de pouvoir sur les hommes. Face à la fuite de Libertine et de son amant, elle dirige ainsi une petite armée pour les abattre. L’icône est alors abattue et immortalisée de haut, dans un dernier plan. "Dans le clip, on a fait mourir les héros. Ça fait partie des références qu'on a du romantisme." déclare, à l’époque, Mylène Farmer au magazine Cool. C’était sans compter la postérité du personnage, et du clip, qui pousse Laurent Boutonnat à y donner une suite avec « Pourvu qu’elles soient douces ».


    Effectivement, avec « Libertine », l’objectif, ouvrir la carrière à Mylène Farmer après des premiers essais prometteurs, est atteint. Le clip étonne et détonne encore aujourd’hui par sa perfection, son atemporalité. Très loin d’autres clips des années 80, tombés dans la désuétude et l’oubli, même avec des interprètes célèbres encore aujourd’hui. Il aura été pourtant réalisé avec un budget minime, 76000 euros, mais le perfectionnisme de Laurent Boutonnat réussira à optimiser ce peu de moyens pour frapper fort les esprits. A partir de « Libertine », le ton est en tout cas donné : Mylène Farmer est en musique et en images.



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