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Mylène Farmer / Michel Onfray - Interview - Le Point - 05 novembre 2015



  • Date
    05 novembre 2015
  • Média / Presse
    Le Point
  • Interview par
    Jérôme Béglé
  • Fichier
    Interview de Mylène Farmer et Michel Onfray - Le Point - 05 novembre 2015 Interview de Mylène Farmer et Michel Onfray - Le Point - 05 novembre 2015  Interview de Mylène Farmer et Michel Onfray - Le Point - 05 novembre 2015  Interview de Mylène Farmer et Michel Onfray - Le Point - 05 novembre 2015  Interview de Mylène Farmer et Michel Onfray - Le Point - 05 novembre 2015 
  • Catégories interviews


Interview croisée de Mylène Farmer et Michel Onfray pour la promotion du livre L'étoile polaire.
Interview publiée dans l'hebdomadaire "Le Point" le jeudi 05 novembre 2015 et mis en ligne la veille en début de soirée pour les abonnés du site internet du journal.
Interview illustrée par des photos inédites de Sylvie Lancrenon réunissant la chanteuse et l'écrivain et prises au Raincy en Seine Saint-Denis le 09 octobre 2015.


Le Point : Comment vous êtes-vous rencontrés ?    
Michel Onfray : Mylène Farmer fait partie des artistes dont j'aime le travail depuis longtemps. C'est donc à travers ses chansons que j'ai d'abord fait connaissance avec elle, comme des millions de gens sur la planète. J'ai été invité à Radio Classique, qui m'a demandé de venir avec deux fois trois choix musicaux : trois références classiques, trois qui ne l'étaient pas. Mylène Farmer était dans cette partie de programmation. J'avais choisi Je te rends ton amour, ce qui m'a valu des messages de femmes qui croyaient que j'informais la France que j'étais seul, célibataire et disponible ! Parmi les réactions, il y eut aussi les habituelles remarques des snobs qui écoutent en cachette mais font profession publique de mépriser ce qu'ils adorent en douce... Il y eut également des étonnements amicaux mâtinés de politesse : "Ah bon, Mylène Farmer... Et pourquoi donc ? Tu la connais ?" Non, je ne la connaissais pas. Mais le message le plus inattendu fut un texto de remerciement signé "Mylène". Je me suis demandé quel copain me faisait cette farce. Or c'était vraiment Mylène Farmer. J'avais été approché pour un livre d'entretiens avec un psy par l'éditrice Anne Carrière, qui m'a appris qu'elle avait publié un livre de Mylène Farmer qui était un conte avec des dessins de sa main. Je venais de terminer l'écriture d'un conte, Anne Carrière m'a fait l'amitié de le proposer à la lecture de Mylène Farmer, qui a accepté d'y ajouter ses dessins.
Mylène Farmer : Ma surprise fut grande quand j'ai découvert que Michel avait choisi une de mes chansons. Et particulièrement celle-ci, d'ailleurs (Je te rends ton amour, ndlr). Il est rare qu'un écrivain, un philosophe, déclare s'intéresser à ce genre mineur qui fait pourtant vibrer la planète. J'ai été profondément touchée et fière. L'homme de lettres, l'homme des mots, de la pensée, celui qui est capable d'aborder des sujets complexes avec curiosité et limpidité. Et qui vous accueille si élégamment dans sa famille... C'est un cadeau.


Le Point : Que connaissiez-vous de l'un et de l'autre avant de vous rencontrer ?
Michel Onfray : Les disques... Je n'ai jamais de ma vie mis les pieds dans un concert qui ne soit de musique classique, et ce, moins par goût que par manque de temps. Je n'ai donc jamais vu Mylène Farmer sur scène. Mais ce que j'en ai vu sur écran m'a impressionné. C'est une performance esthétique tous azimuts.
Mylène Farmer : Les livres. Michel Onfray a complété ma collection... J'étais comblée. J'ai d'ailleurs fait la connaissance de Michel Onfray alors que je traversais une période un peu difficile. J'ai été plâtrée jusqu'en haut de la cuisse pendant plus de trois mois. La lecture, l'écriture, l'aquarelle m'ont littéralement sauvée des possibles crises qu'engendre l'immobilité ! Tout le monde connaît le philosophe, son immense talent pour rendre les choses accessibles. L'homme que j'ai découvert est incroyable de vérité, de gentillesse, et d'humour, aussi.


Le Point : Qu'enviez-vous le plus chez l'autre ?
Michel Onfray : L'envie n'est pas un de mes moteurs...
Mylène Farmer : Ses lunettes ! Je les adore. Mais j'admire surtout sa façon de pratiquer la pensée comme un sport de combat. Il maîtrise ses sujets, mais il a aussi le courage de confronter ses idées. Je le trouve intelligent et moderne. C'est un combattant.


Le Point : Mylène Farmer, êtes-vous une lectrice des penseurs et philosophes contemporains ?
Mylène Farmer : Je lis au gré de mes envies, de mes rencontres. Je ne suis pas particulièrement focalisée sur les philosophes contemporains. J'ai un faible pour les non-conformistes et les poètes. À quoi sert d'écrire si ce n'est pour révéler des chemins de traverse ou tenter d'atteindre le beau ?


Le Point : Et vous, Michel, quelle place occupe la musique dans votre vie quotidienne ? La considérez-vous comme un art mineur ou un art majeur ?
Michel Onfray : La musique a occupé une place majeure dans ma vie pendant un long temps, jusqu'à ce que je sois happé par l'exigence d'écriture, qui a pris depuis toute la place. Disons entre 17 ans et une trentaine d'années. Je suis toujours mélomane, mais tout ce qui n'est pas le travail des livres est sacrifié... Par ailleurs, il n'y a pas d'art mineur ou d'art majeur, mais des artistes majeurs ou des artistes mineurs : il vaut mieux un artiste majeur dans un art dit mineur, comme la chanson, qu'un artiste mineur dans un art dit majeur, comme l'opéra par exemple.


Le Point : Comment expliquez-vous que la chanson soit à ce point méprisée par les intellectuels ?
Michel Onfray : Dans ce petit monde, il est souvent de bon ton de mépriser la chanson qu'on écoute discrètement chez soi et d'affecter un goût pour les icônes susceptibles de vous classer socialement. On avoue plus volontiers le théâtre en Avignon ou l'opéra à Aix-en-Provence que la chanson au Zénith.



Le Point : Qu'incarne Mylène Farmer à vos yeux ? N'est-ce pas une figure du peuple selon votre goût ?
Michel Onfray : Une artiste libre, autonome, indépendante, souveraine. Un style, un ton, un caractère, un tempérament. Une vie sans paillettes, sans artifices, vraie, donc loin de toute exposition, non par calcul, mais par "idiosyncrasie", pour utiliser un mot de Nietzsche – par complexion intime.


Le Point : Mylène, quel est le livre de Michel Onfray qui vous a le plus marquée ?
Mylène Farmer : Je suis au milieu de Cosmos... que je dévore. Et, pour dessert, je mange ses haïkus.



Le Point : Vous retrouvez-vous dans la philosophie de Michel Onfray ?
Mylène Farmer : Oui, dans sa liberté d'esprit, dans sa curiosité du monde, son humour. Son terrain de jeu est immense, je n'en connais pas toute l'étendue.



Le Point : Michel Onfray est-il le Mylène Farmer de la philosophie ?
Mylène Farmer : Mon Dieu, non ! Il a assez de détracteurs comme ça ! Il est le Michel Onfray de la philosophie, et c'est déjà beaucoup.



Le Point : La génération désenchantée popularisée par Mylène Farmer est-elle celle que vous défendez dans vos livres et dans vos prises de position ?
Michel Onfray : Le désenchantement chanté ou pensé est le même, mais dit dans le langage propre à chacun. Que notre époque soit celle du désenchantement n'échappe qu'aux sots.


Le Point : Quelle est votre définition de l'art ?
Michel Onfray : La cristallisation de l'esprit d'une époque dans des formes. Ces formes peuvent être visuelles, auditives, spatiales, verbales, gestuelles...
Mylène Farmer : Pas mieux ! Mais pas moins ! (Rires.).



Le Point : À qui s'adresse L'Étoile polaire ? À des enfants, des ados ou des adultes ?
Michel Onfray : À ceux qui penseront qu'ils pourront y trouver leur compte. Je n'écris jamais pour un public précis, particulier. J'ai souhaité qu'il puisse être lu par tous et que chacun y trouve son compte en fonction de son histoire. Dans une librairie, les gens savent en feuilletant, en regardant, en lisant en diagonale si le livre a quelque chose à leur dire.
Mylène Farmer : C'est si juste. Ce conte a ceci de magique : il s'adresse à quiconque voudra comprendre le cycle de la vie. Il vous emmène vers le Très Haut. "Il est grand temps de rallumer les étoiles", a écrit Apollinaire. Michel Onfray nous y aide en rallumant l'étoile polaire.



Le Point : Vous considérez-vous comme coauteur d'un nouveau Petit Prince ?
Michel Onfray : Soyons sérieux... Je ne parle que pour mon texte : lui, c'est lui, et il est planétaire ; et moi c'est moi, et je ne le suis pas... Saint-Exupéry a écrit un chef-d'oeuvre. Je ne joue pas dans cette catégorie...
Mylène Farmer : Je vais vous piquer le "soyons sérieux !". Je ne parle alors que de mes dessins. Il m'importait de retranscrire au plus près ses espérances, son histoire, ses émotions. Il a eu la délicatesse de me laisser carte blanche. J'ai malgré tout beaucoup partagé avec lui. Faire revivre son père, parler des étoiles...



Le Point : Michel, qui vous a inspiré ce livre ?
Michel Onfray : Mon père, mon enfance, les enfants de mes amis, et plus particulièrement le fils de mon ami Pierre Thilloy, compositeur de musique contemporaine, puisqu'il faut utiliser ces redondances, avec lequel je sortais d'un musée consacré aux Vikings en Norvège, lors d'une tournée que nous faisions lui et moi en Suède et au Danemark, où avait été créée une pièce de lui sur un texte poétique de moi : La Constellation de la baleine. La version pour enfants procède de ce texte écrit dans une version poétique.



Le Point : Mylène Farmer, quelle corde ce texte a-t-il fait vibrer chez vous ?
Mylène Farmer : Dans ce texte, ce qui m'a bouleversée, c'est la filiation de l'auteur avec son père. Le voyage extraordinaire, épique, que nous propose Michel Onfray est avant tout celui d'un petit garçon qui aime se plonger dans les récits de son père et nous rappelle notre enfance, celle des contes merveilleux.



Le Point : Mylène Farmer a beaucoup chanté le libertinage. Vous reconnaissez-vous dans cette bible érotique ?
Michel Onfray : Mylène Farmer est au-delà de ce succès, qui ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. Sa production va bien au-delà de ce "tube". La réputation est la somme des malentendus qu'on accumule sur son compte. Et la réputation empêche qu'on voie qui est qui, en l'occurrence qui elle est. Le monde de Mylène Farmer déborde le libertinage.



Le Point : Êtes-vous des lecteurs de la Bible ou des livres saints des autres religions ?
Michel Onfray : Oui, bien sûr. Ce sont de grands poèmes contemporains de l'époque orale où, l'écrit n'existant pas, les rythmes et les cadences, les périodes et les allitérations, mais aussi les allégories et les paraboles, les mythes et les apologues facilitaient la mémorisation, donc la récitation, donc la pratique religieuse.
Mylène Farmer : Dans l'art en général, le sacré prend une place importante pour qui veut comprendre notre monde. Cela procède de l'intime aussi.


Le Point : Vous semblez l'un et l'autre développer une forme de misanthropie.
Michel Onfray : En ce qui me concerne, je ne crois pas être misanthrope. Je ne crois pas que, sinon, je m'évertuerais à donner des cours gratuits dans des universités populaires créées par mes soins depuis quatorze ans en Normandie, où je vis ! Avouez qu'on fait plus misanthrope ! En revanche, ne pas aimer les gens qui ne sont pas aimables n'est pas le fait du misanthrope, mais bien plutôt d'un individu qui a expérimenté chez autrui les délices parfois pervers de l'âme humaine et pratique une sage défense de soi. Il n'y a plus d'obligation à aimer son prochain, que je sache ?
Mylène Farmer : Je ressens la même chose. Si je sens de l'hostilité, je m'extrais du cadre... Se protéger me paraît essentiel. Essentiel à mon équilibre, en tout cas, pour pouvoir se concentrer sur ce qui est important. Ce qui n'empêche pas le dialogue, le partage, mais pas à n'importe quel prix. Les êtres sont faits aussi de noirs mélanges, il faut savoir se protéger. Je dirais plutôt que je pratique une philanthropie modérée...


Le Point : Qu'y a-t-il de rationnel en vous ?
Michel Onfray : Ce qui échappe à la déraison...
Mylène Farmer : La perception des signes du destin et ma façon d'aligner systématiquement chaque objet sur une étagère... Pas très rationnel, tout ça !



Le Point : Envisagez-vous d'autres collaborations ?
Michel Onfray : Pourquoi pas !

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