Mylène Farmer - Album Monkey Me - Critique de Arnaud (Arnaud Ruymen - arnaudbxl)
Les
chemins sont multiples, tout est question de choix...
Monkey Me, un titre elliptique. L'album de Mylène Farmer
aura déjà fait couler beaucoup d'encre avant
même sa sortie officielle. Chez les fans, mais
également dans la presse. L'album enfin sorti,
accrochez-vous: critiques, reviews, notes
étoilées en provenance des médias vont
déferler. Articles objectifs et
référencés bien entendu, chacun
connaît l'amour immodéré des
médias pour la chanteuse qui fait la nique au
système depuis 30 ans.
Alors avant de parler de l'album en lui-même, il serait
intéressant de parler des reproches d'ores et
déjà formulés à son
encontre, et de démontrer que les procès qui sont
faits au tandem Farmer/Boutonnat, qu'il s'agisse des avis
tranchés de fans sur forums ou du fiel médiatique
en cours ou à venir, sont spécieux et d'une
mauvaise foi caractérisée. Maintenant, n'ayant
rien d'un extrémiste ni même d'un fanatique (moi
aussi, il y a des chansons de Mylène Farmer que je n'aime
pas!), les choix posés peuvent ne pas plaire, c'est une
évidence. Mais vu les barils d'acide
déversés après un seul jour de sortie,
les précisions et analyses qui suivent me
démangent depuis un bail et c'est
décidé, je vais vider mon sac.
#1 L'album
n'est pas surprenant, ça sonne comme du Farmer/Boutonnat.
Il ne manquerait plus que ça! Le contraire aurait vu fleurir
les réactions du genre "ils n'ont plus la magie", "ils n'y
arrivent plus", etc. Reproche-t-on à Sardou de faire du
Sardou, avec cette patte reconnaissable entre toutes dès les
15 premières secondes? Incendie-t-on Goldman parce qu'il
fait du Goldman, ramenant le délai de 15 secondes du
précédent à 5 dans son cas, tant la
griffe de l'auteur, du compositeur, est imparable? Parlons
même de monstres sacrés bobos inattaquable parce
prétendument hors Mainstream: Cabrel, ou Bénabar,
Sanson ou encore Cali ou même Delerm, Raphaël et
Biolay, Voulzy ou Souchon. De la chanson fronnçaise de
qualité Môssieur, pas cette soupe commerciale qui
n'a rien dans le ventre, rien dans la tête et tout dans le
portefeuille (et faisant les poches d'un public abruti et
décérébré comme il se
doit). Les exégètes de Paris IXème
peuvent bien s'étrangler, leur snobisme n'est en rien un
argument. Nous parlons d'artistique et donc de liberté,
d'expression et qualité de style. Brassens (dont le
producteur était également celui de Stone
& Charden) l'avait bien compris, n'hésitant pas
à confesser son affection et son soutien pour Dalida, de
même que Barbara adorait Vartan, ou aujourd'hui Aznavour
quand il se rencarde à la moindre apparition d'Annie
Cordy... les vrais, les grands artistes dont tous ces moutons
branchés se réclament se foutent royalement des
clivages et des castes qui les rassurent. Réflexe de petits
épargnants de la vie, de la
spontanéïté, du plaisir, de la
tolérance et de la diversité dont ils se
réclament pourtant avec hauteur. L'album porte une signature
évidente et claire, oui. Et heureusement, c'est bien ce que
l'on attend d'un tandem pareil.
#2 Les
arrangements de Boutonnat sonnent datés, de la soupe
eurodance.
Faux. Boutonnat est un homme subversif, surdoué depuis
l'âge tendre. Ne pas voir l'aspect volontaire de sa
démarche, c'est être aveugle. Quand un homme passe
son temps à mettre en image et en son le nihilisme,
l'autodestruction, la folie avec autant d'inspiration, lui
prêter une faute d'amateur débutant est une
grossière erreur. Pourquoi ce mélange
électro-pop alors? Parce que c'est un choix. Un parti pris.
Il aurait dû s'embarquer dans quoi? Du R&B
branchouille (démodé dans 5 ans, j'ouvre les
paris, il n'y a qu'à écouter les productions dans
cette catégorie datées début
XXIème)? Du
trans-world-tribal-garage-underground-hardcore-crypto-disco? C'est cela
qui aurait marqué cette évolution qui semble si
absente aux oreilles de certains?
Après 30 ans de carrière, l'évolution
est dans le respect d'un parcours hors normes et unique dans l'univers
de la chanson française, une collection de records, un
triomphe populaire inattendu et un lien profond qui ne
l'était pas moin avec un public de tous horizons, de toutes
confessions,de toutes conditions. Voilà les
éléments, le cahier de charge que ces
deux-là ont le devoir de respecter. Ce reproche absurde a
été fait à d'autre radoteurs
bidouillant des sons nuls pour masses affectées de
surdité: Elvis Presley, Michael Jackson, Queen, Abba,
Prince, Elton John, Tina Turner, même les Beatles ont eut
droit à ces avis éclairés qui auraient
fait hurler de rire Rainer Maria Rilke, lui qui avait si bien compris
l'exigence absolue du métier de critique.
#3
Stratégie marketing, fans vaches à lait, etc...
Que c'est fatiguant. J'ai envie de vous parler de l'album, mais il me
faut hélas encore m'atteler à quelques poncifs
envoyés pour la centième fois comme des rockets
par des médias qui, pour le coup, se mettent à
radoter, à ne pas changer de style, à
émettre des sons datés dans une soupe inaudible
avec bien plus d'évidence que l'artiste visée...
30 ans avec les mêmes réflexions
dénuées de fond, les mêmes
sous-entendus, les mêmes reproches (rigolos quand
même, puisqu'en gros, c'est: "je te tape dessus puisque tu ne
joue pas le jeux, tu ne te couche pas pour passer dans mon
émission, pour avoir un article de moi, pour obtenir le buzz
grâce à nos accords secrets, et tout ce que vous
pouvez imaginer ou connaître du jeu
médiatico-people en France"...); 30 longues
années de clichés usés
jusqu'à la trame faute de savoir quoi que ce soit. Trop
paresseux pour écouter, alors autant
répéter ce qu'on disait avant. Et c'est
Mylène Farmer qui marquerait le pas et manquerait d'audace
et de nouveauté? Et c'est Laurent Boutonnat qui ne saurait
pas se renouveler? Mais moi, ce sont les mêmes articles que
je lis depuis 1989, les mêmes phrases de journalistes en
panne (champ lexical pauvre quand même...). On croit
rêver devant une mauvaise foi aussi bien assumée.
Quand à la stratégie marketing, elle fait partie
de tout parcours artistique, à fortiori dans la chanson,
univers volatile s'il en est. Il y a un produit ayant
demandé un très gros investissement de
départ qui exige de se faire connaître.
Après, c'est chacun sa façon selon sa
sensibilité. J'assume: je préfèrerai
toujours une femme discrète ne vendant rien de sa vie
privée à un chanteur plus ou moins
crédible prêt à vendre père
et mère pour obtenir Paris Match. Farmer est silencieuse et
ça marche. Une part de nature (elle n'a jamais
été une fille très expansive) et une
part de stratégie. Ca dérange qui,
excepté ceux qui font leur beurre grâce au bruit
qu'ils distribuent comme des récompenses rares pour
lesquelles il faut leur lécher les bottes
conscienscieusement?
Les fans vaches-à-lait... Seigneur, c'est lassant. Quand le
public est présent en masse, c'est un imbécile.
Quand il fait un triomphe à un artiste inconnu et
branché, il a raison. Quel écho populaire
admirable et mérité! Et quand l'artiste
branché parvient à garder son public, fatalement,
il s'est compromis, péché mortel pour les
médias parisiens: il est com-mer-cial. Beurk, enfer et
damnation, reprenons depuis le début: on encense un inconnu
qui ne le sera plus et qu'on pourra alors descendre et snober. Et c'est
sans fin. Farmer est à ce point commerciale qu'elle persiste
à refuser un fan-club officiel. Elle est à ce
point vaniteuse qu'elle ne veut toujours pas entrer dans le Larousse,
ni obtenir la Légion d'honneur. La
vérité, c'est que Mylène s'en fout, et
c'est bien ça que le public suit, volontairement, conscient
et nettement moins con que ce que les
désespérants reportages, toujours les
mêmes, montrent complaisamment.
Maintenant que ces thèmes rabâchés
jusqu'à la nausée sont derrière nous,
je vais demander une autorisation exceptionnelle à tous ces
donneurs de leçons, qu'ils soient fans ou journalistes:
parler de l'abum, enfin.
Monkey
Me: CQFD
Mylène Farmer est une artiste qui a
évolué, elle ne s'en est d'ailleurs jamais
caché: elle est caméléon. Son statut
de mégastar iconique se porte probablement parfois comme un
vêtement trop serré, on la comprend.
Néanmoins, l'évolution de l'écriture,
sa perdition parfois, la naissance dans la douleur d'autres mots,
d'autres vues, montrent une femme en auto-analyse permanente. Un masque
fissuré depuis Innamoramento par l'écho de plus
en plus audible d'une horloge qui ne fait de cadeaux à
personne. Mylène Farmer voit le temps qui passe et c'est le
portrait d'une femme dos au mur qui se dessine.
Si certains textes tournaient en rond dans un passé
récent, on sent dans tout Monkey Me un mouvement
déjà balbutiant dans Bleu Noir: l'obsession de
maîtriser un champ lexical plus large, d'autres teintes,
d'autres idées. sans se renier, sans se violenter. Car on
devine également une vraie violence, abrupte et froide,
derrière des phrases couchées sur le papier comme
un peintre rageur étale les couleurs au couteau sur la toile.
"Elle a dit", Je te dis tout", "Tu ne le dis pas", Monkey Me", "Quand",
chaque texte de cet album témoigne d'un véritable
bonheur d'écriture maîtrisée, jouant
sur les césures, le travestissement des subjonctifs, des
adjectifs, les néologismes, et de probables
références à découvrir
encore que votre serviteur ignore.
La voix de Mylène Farmer a toujours
été un instrument bien à part, ni
formaté pour le chant, ni puissant, ni classique. C'est une
voix d'ailleurs, qui produit un son identifiable entre mille, et une
émotion bien particulière. Pas de mensonge ni de
stratégie ici: la voix, auto-tunée ou pas, est un
vecteur basique d'enregistrement, et elle offre toutes les
sensibilités à l'auditeur. Farmer presque trop
sincère sans en faire des tonnes, ce qui explique
peut-être le puissant trouble émotionnel, la
fragilité qui émanent de cet album-ci bien plus
que des trois ou quatre précédents. Une forme de
lâcher-prise dans le chant, dans les notes
abordées; la volonté, c'est certain, d'utiliser
la voix avec une ambition de communication plus grande.
Monkey Me est un reflet de facéties (trouvaille admirable et
touchante pour évoquer sans verser dans le cul-cul gnangnan
une relation avec une primate qui s'est achevée il y a
près d'un an à présent).
Mylène Farmer vivait avec un singe, un capucin, depuis plus
de 25 ans. On se souvient de rares reprotages (Mon Zénith
à moi 1988) où ET (c'est le nom de l'animal)
pouvait être vue jouant avec sa maîtresse,
composant au téléphone, dessinant.
Enveloppée dans une abondante chevelure rousse pour un calin
volé en images. C'est Farmer, ça sort de
l'ordinaire, c'est clair. Néanmoins, l'album se met en
demeure d'explorer des voies de vies, enjouées,
sautillantes, puis dramatiquement sombres, voir
déchirées. Jusqu'au bouleversant titre
éponyme, et cet aveux: "Là, c'est un autre moi,
c'est Monkey Me, l'animal (...)"... Mylène ne s'en est pas
cachée: le décès de son primate l'a
laissé désemparée. Normal, elle est
étroitement liée à la femme et
à l'artiste, partageant son quotidien alors qu'elle
débutait, ayant tout vécu de sa vie
privée si dissimulée aux regards
extérieurs. Quiconque a aimé un animal de
compagnie peut comprendre. La relation humain/primate, si proche de
nous, ne peut que s'imaginer comme un déchirement encore
plus important dès lors qu'elle se définit sur
une semblable intimité avec une femme aussi
privée, discrète jusqu'à l'obsession.
Parlant de sa fascination pour les mains d'ET, Farmer, resasse ces
mains qui se posent "sur sa joue, sur ses seins"... ET est la
clé ouvrant des textes qui, comme d'habitude, s'offrent
à plusieurs degrés de lecture:
maternité jamais concrétisée
(à tort ou à raison, qui peut le dire?),
perdition des sentiments, vieillesse en devenir encore, aspiration
à la légèreté, et un regard
réjouissant sur soi, bardé
d'autodérision et d'humour noir ("Elle a dit").
Laurent Boutonnat s'est mis en demeure de traduire l'intention de
l'artiste: fusion des époques, mélange des
genres, jusqu'à risquer des sons mid-eighties (ouverture de
"A l'ombre", "A force de", etc) qui parlent d'une époque
marquée elle aussi par ET, et invitent à observer
avec recul ce parcours insensé d'une femme timide qui
n'était pas faite pour chanter et se retrouve, à
51 ans, objet de tous les fantasmes, des plus adorateurs aux plus
haineux, culte et mépris, respect et indifférence
un jour, forcément. Quel espoir conserver après
"tout ça"?
De ses arrangements contestés, on remarquera qu'ils se
plaisent à allier des sons définitivement vintage
à des sons actuels, sans complexes, sans scrupules et sans
la moindre attention pour les hordes d'experts qui vont hurler (et il
le sait, n'en doutez pas) au radotage ou au foutage de gueule d'un
compositeur en charentaises.
Rien n'est moins faux, il n'est qu'à regarder le clip si une
image parle plus que les sons. Conservant sa signature (dont il peut
effectivement être fier), il habille le tout avec fantaisie,
voir un grain de folie (lumineuse avec "Love Dance", qui fait songer
à une séance à 03h00 du matin du
tandem, raides déhirés et laissant libre cours
à leur imagination enfantine galopante, le simple plaisir
d'enregistrer comme un gosse peut tirer la langue ou un ado envoyer un
doigt d'honneur, ou à l'inverse de folie sombre, glaciale,
avec une Nuit d'hiver reprenant une Chloé
millésimée 1986 -tiens donc, l'année
d'adoption d'ET, simple hasard bien entendu- pour en faire une chute
vertigineuse dans le noir d'encre, le désespoir, la
finalité).
L'auditeur lambda se dira que tout cela sonne "spécial".
Daté et présent à la fois.
Comme le deuil d'un singe que l'on a aimé: échos
du passé qui hante également le
présent.
Comme sa propre personne lorsque l'on aborde la cinquantaine et un
avenir incertain, des souvenirs pleins la tête, le
désespoir à portée de vue aujourd'hui.
Là, c'est un autre moi, c'est Monkey me: CQFD.