Single Sans
contrefaçon
Grâce à ses
deux précédents singles
Libertine et
Tristana –
certifiés disques d’argent – et son
premier album
Cendres
de lune, Mylène Farmer a réussi
à s’imposer dans le milieu musical
jusqu’à créer de petits
évènements autour de ses clips. « Sans
contrefaçon » annonce pour sa part un tournant
décisif dans la carrière de l’artiste,
et l’élèvera au rang d’idole
chez toute une génération.
Avec son expression empruntée au
célèbre « 3e sexe »
d’Indochine dont le leader, Nicola Sirkis,
n’acceptera pas l’amalgame et se livrera
à dénigrer gratuitement Mylène Farmer
à toutes les occasions à partir de
l’album Le baiser, en 1990), « Sans
contrefaçon » est le premier morceau dans lequel
la chanteuse se livre plus en profondeur, de façon plus
intime.
Là où Mylène confiera à NRJ
en 1999 écrire sous l’influence de la musique de
Laurent Boutonnat, le processus de création
diffère quelque peu au début de sa
carrière. Référence à
l’enfance de l’artiste pendant laquelle elle
arborait des cheveux courts et aimait à se faire prendre
pour un garçon (jusqu’à glisser un
mouchoir dans son pantalon afin d’entretenir une certaine
confusion, recherchée), « Sans
contrefaçon » fait sans doute partie des titres
dont la portée dépasse leurs auteurs. Son texte
sera effectivement écrit en une demie-heure au bord
d’une piscine en août 1987, en compagnie
d’Elsa Trillat (amie et photographe de
l’époque) et d’un dictionnaire de
synonymes, alors que sa musique et ses gimmicks principaux seront
trouvés par Laurent Boutonnat.
Après les paroles plus adultes de « Libertine
» et « Tristana », « Sans
contrefaçon » renoue quelque peu avec
l’empreinte initiale Farmer / Boutonnat, c'est à
dire un caractère enfantin, féerique, quoique
toujours plus sombre qu’enjoué, qui a fait
connaître le duo.
« Sans contrefaçon » évoque
de façon poétique quoique simple un trouble
identitaire qui caractérisait Mylène Farmer
lorsqu’elle était enfant, en prenant pour
référence le Chevalier d’Eon
(« Et pour un empire je ne veux me
dévêtir ») et en contournant tout
débat sans intérêt ; les
qu’en-dira-t-on et les communautés,
Mylène s’en fout, ne se préoccupe pas
du regard extérieur.
Elle use ici des codes du travestissement (« Les yeux
cernés de noir », « Un mouchoir au creux
du pantalon / Je suis Chevalier d’Eon ») et de la
liberté, de l’acceptation de soi (« Je
n’en fais qu’à ma tête
», « Je me fous bien des qu’en-dira-t-on
») ; Mylène assume cette identité
qu’elle s’est choisie et se moque des
représailles (« Puisqu’il faut choisir /
A mots doux je peux le dire »), bien qu’elle
préserve son âme et ses réflexes
d’enfant (« Prenez garde à mes soldats
de plomb / C’est eux qui vous tueront »).
« Sans contrefaçon » semble davantage
inciter chaque individu à assumer et aimer ses
différences que proférer une forme de
démagogie racoleuse autour de
l’homosexualité (bien que
l’homosexualité en 1987, tout comme elle le
restera tristement en 2011, soit un sujet sensible).
L’amalgame d’avec
l’homosexualité n’est cependant pas
fortuit si l’on se fie au premier vers de la chanson
(l’expression « sortir du placard » se
lisant habituellement comme un symbole, sans équivoques, du
coming-out).
Mylène Farmer joue sur l’ambivalence sexuelle,
comme l’ont fait avant elle David Bowie, Freddy Mercury
(Queen) ou encore Patti Smith, en privilégiant cependant un
caractère nettement plus métaphorique, voire
onirique, et en endossant la panoplie d’un personnage
asexué, sans âge, qui n’utilise aucune
frasque dans le but de choquer la bourgeoise.
Là réside la force indéniable de
« Sans contrefaçon » : celle
d’avoir réussi à véhiculer
un message universel et percutant sans avoir recours à la
provocation. Un véritable coup de maître.
Par Arno Mothra
(extrait de "Styx Magazine" spécial Mylène Farmer
années 80 paru en 2011)