Je t'aime
mélancolie peut-il être
précurseur d'une métamorphose à
venir ? Si Mylène Farmer reste un personnage
androgyne, dans la peau d'une boxeuse, elle se
révèle également lumineuse et sexy en
danseuse, proche de l'icône qu'elle deviendra sur
Anamorphosée.
Par Eymeric Manzinali
Je
t'aime mélancolie sera, des clips de
Laurent Boutonnat, le plus
conforme à ce qui
se fait alors dans la musique.
Conforme étant un
bien grand mot, les images étant plus proches, dans leur
plastique, d'un produit cinématographique que
télévisuel. Mais Je t'aime
mélancolie est le premier clip dont
l'ossature est une chorégraphie, tout en faisant de
Mylène Farmer une véritable icône pop.
Un vent U.S est déjà dans l'air : ring
de boxe, mise en scène dynamique ponctuée de
parties chorégraphiées... Il met en
scène Mylène Farmer dans un combat contre un
boxeur hargneux. Après un premier round musclé,
les adversaires se relèvent et le combat monte en
intensité. L'homme élimine l'arbitre puis tout
deux s'affrontent sans leurs gants jusqu'à la victoire
finale de Mylène Farmer. Celle-ci s'effondre au milieu du
ring, seule et plongée dans la semi-obscurité.
Le clip associe à la chorégraphie
sophistiquée un combat de boxe où rien ne nous
est épargné : craquements d'os et jets
de salive. Mélange plutôt curieux dans lequel
Mylène Farmer apparaît tantôt
féminine, tantôt masculine. A commencer par sa
tenue de combat : débardeur noir et jarretelles,
terminées par des chaussures montantes. Un style que l'on
retrouvera dans la série de clichés qui
accompagnera Dance Remixes. Une certaine rupture donc avec le costume
d'époque, tout en restant dans la veine androgyne.
Pourtant, ce clip nous ouvre à une Mylène Farmer
plus féminine dans les parties
chorégraphiées, un look
déjà précurseur
d'Anamorphosée.
Dans son match contre l'homme, elle semble
d'ailleurs porter cette féminité comme une arme.
Le clip débutera sur la préparation des deux
adversaires, Mylène Farmer enfilant et nouant ses
jarretelles, dans un gros plan, comme une tenue de combat. Partie de
danse et de boxe s'entremêlent dans la plus grande harmonie,
et se font écho l'une à l'autre. Il n'est pas
rare qu'un mouvement de danse soit suivit d'un craquement ou qu'un coup
reçu par Mylène Farmer la boxeuse soit
accompagné d'un rejet de la tête en
arrière dans la chorégraphie.
La confrontation des deux parties du clip lui donne d'ailleurs un
caractère ironique, comme si le boxeur était
nargué par la danse. Dans la lignée de la
chanson, la réponse aux attaques que reçoit
Mylène Farmer se veut artistique, usant de la
métaphore d'un combat physique contre un adversaire.
Attaques qui proviennent de certains médias, qui tendent
avec acharnement à la discréditer, l'accusant
d'user de son image et de son univers sombre comme un fond de commerce.
L'homme sera violent, enfreignant les règles en
éliminant l'arbitre d'un coup de poing. La
réplique de l'artiste est au contraire subtile :
elle utilise la création comme arme, au travers de la
chorégraphie qui émaille le clip. Ses adversaires
sont dénués de cette capacité de
création et ne peuvent se résoudre
qu'à la tricherie et aux coups bas. Loin de
déstabiliser l'artiste, qui ne les suit pas sur ce terrain
là, celle-ci se retourne en femme victorieuse.
Les rapports de Mylène Farmer aux hommes sont, à
l'époque et de ses propres mots, compliqués. Ses
clips reflètent particulièrement des conflits
entre homme et femme, qui prennent parfois l'allure de
séduction (dans Sans
Logique notamment) et qui finissent par
la victoire de la femme sur l'homme, souvent dans des conditions
tragiques où l'amant/adversaire meurt. Chacun de ces combats
se résout par une prise de conscience tardive de la femme,
par rapport à ses actes. Avec une nuance de tristesse et de
regret, comme si elle provoquait la mort par impulsion.
Je t'aime
mélancolie s'éloignant de ce
modèle en ce que l'homme n'est pas l'amant mais
peut-être le genre masculin en lui-même,
assuré de sa position dominante sur le sexe faible.
Je t'aime
mélancolie est clairement annonciateur
d'une certaine rupture dans le style de Laurent Boutonnat. De
là à affirmer qu'il serait précurseur
d'Anamorphosée
est chose plus délicate,
étant donné le laps de temps entre ce single et
l'album qui suivra. Pourtant,
Je t'aime
mélancolie sera un des rares clips, si
ce n'est le seul, à trancher avec les
caractéristiques de l'esthétique du
maître : la noirceur, la construction d'un univers
anachronique où le rêve n'est jamais
très loin... Le match de boxe, la chorégraphie,
lui donne, quant à eux, une touche américaine.
Pour finir, le maquillage inhabituel de la star, son look plus
sexy,
révèle un visage plus ouvert, plus lumineux. Une
féminité qui s'assume, un premier
départ avant d'être un icône,
à la proue d'une locomotive dans
XXL.
D'ailleurs,
Je t'aime
mélancolie sera le premier clip
où Mylène Farmer tient, en quelque sorte, son
propre rôle et propose une chorégraphie, si l'on
excepte le match de boxe.
Conçue par ses soins, la partie dansée du clip se
montre plus sophistiquée que ce qui avait
été imaginé pour la tournée
de 1989. Elle sera d'ailleurs reprise sans beaucoup de modifications
lors du Tour 1996.
Elle révèle en tout cas le
talent de danseuse de Mylène Farmer, qui ne cessera,
dès le début de sa carrière, de
s'impliquer dans le travail de chorégraphie qui accompagne
chacune de ses tournées.
D'un ton plus léger que les
précédentes réalisations, le clip
ouvre enfin le pas à Que
mon coeur
lâche, réalisé fin
1992 par Luc Besson, où cette fois Mylène Farmer
jouera vraiment sur la dérision, malgré un sujet
plutôt dur. L'humour ne sera jamais absent de son univers
jusque-là, mais il sera toujours accompagné d'un
ton pesant. Maman à tort joue ainsi sur la
légèreté d'une comptine, et le clip
qui l'accompagne introduit quelques drôleries sombres mais le
mal de vivre en est aussi présent...
D'une certaine façon également avec la conclusion
de Je t'aime
mélancolie, dans laquelle la boxeuse
Mylène Farmer s'effondre, seule, au milieu du ring. Fin
d'autant plus surprenante que la musique devient
atmosphérique, noire, traversée par ce que l'on
identifie comme le hurlement d'un loup. Plus aucun personnage n'est
présent dans la scène. Le bruit de la foule, qui
ouvre le clip, ne se fait plus entendre malgré le triomphe
de la boxeuse. Une seule lumière émane du
plafond, plongeant les abords du ring dans l'obscurité et
donnant une sensation de claustrophobie. Un vide succède
à l'euphorie du combat et la victoire, une fin qui rappelle
Désenchantée,
dans le désemparement
qui envahit la scène alors.
C'est à se demander si cette Mylène Farmer n'est
pas celle de l'après concert. La star confie
régulièrement en interview le vide qui l'envahit
à l'issue de chaque tournée. Dans le Podium de
septembre 1991, elle revient ainsi sur cette envie
de ne plus bouger, cette incapacité à
communiquer qui l'a atteinte pendant quatre mois
après Bercy. Comme si le succès la foudroyait
littéralement par le vide qu'il laisse derrière
lui.
Extrait de Styx Magazine spécial L'autre... - 2011 -
Editions Sunset Publishing