Concepteur
des images de scène Avant
que l'ombre... à Bercy
Mai/Juin 2006
IAO (N°8)
IAO : Comment "Le conte
du monde flottant" est-il arrivé en première
partie du show de Mylène Farmer ?
Alain Escalle : La société de production du
court-métrage leur a présenté mon
travail, il y a
très longtemps, juste après la
réalisation du
"Conte du monde flottant". Cette équipe m'a tout de suite
demandé si j'étais
intéressé pour
travailler sur du clip et s'il y avait des artistes que je
voulais privilégier. Et l'univers de Mylène et
Laurent se rapprochant beaucoup du mien, la suite était
logique.
IAO : Etait-il question
dès le
départ que ce film ouvre le show ou avez-vous d'abord
été contacté pour l'habillage
général du show ?
Alain Escalle : En fait il a tout de suite été
question
de cette première partie, puis de la création des
images
pour les projections pendant le spectacle.
IAO : Quelle a
été votre réaction lorsque l'on vous a
proposé pareille collaboration ?
Alain Escalle : Plus qu'étonné, car nous avions
laissé la bande démo de mon travail naviguer au
sein de
la maison de disques pendant longtemps, sans aucun retour
jusqu'à ce jour de fin d'été 2005. Il
aura fallu un heureux hasard. J'aime cette idée de
spectacle global.
IAO : Et dans votre
entourage,
notamment professionnel, comment a été
perçu ce
projet dans le milieu de la variété ?
Alain Escalle : Je n'ai personnellement aucun a priori. Tous les
domaines m'intéressent, si je peux y trouver une
résonance à mon propre univers. Ce qui est
regrettable,
c'est de nous perdre dans des choses qui ne nous font pas
apprendre ou avancer. Je ne me préoccupe pas du tout des
étiquettes ou de ceux qui peuvent émettre ce type
de
réactions. J'essaie de garder une même ligne de
conduite. J'aime avant tout être un touche-à-tout.
Il faut savoir que j'évolue depuis le début entre
le milieu publicitaire, la vidéo de création, le
court-métrage… Donc, j'ai l'habitude des
étiquettes et de m'en défaire aussi. J'aime
apprendre et découvrir.
IAO : C'est la
première
fois que Mylène laisse la place à une
première
partie, fût-elle virtuelle et cinématographique.
En
êtes-vous flatté ?
Alain Escalle : Bien sûr !
IAO : Saviez-vous que
Mylène appréciait votre travail ?
Alain Escalle : Je l'ai su à notre première
rencontre lors de cette commande pour Bercy 2006 puisqu'elle a
découvert le film peu de temps auparavant.
IAO : Et de votre
côté, que pensiez-vous de son travail et de celui
de Laurent ?
Alain Escalle : J'y retrouve beaucoup de choses qui me sont
personnelles. Comme deux mondes qui entrent en résonance.
IAO : Quel a
été votre
sentiment à l'idée d'être
diffusé à une si large échelle ?
Alain Escalle : Au début je ne réalisais pas du
tout !
J'avais beaucoup trop de travail pour penser à tout cela.
J'en ai vraiment profité à la première
du
spectacle. J'étais fébrile, beaucoup plus que
pour
le concert lui-même, car j'avais suivi toutes les
répétitions à Bercy. Pour le concert
nous avions
tous les mains dans le cambouis. La projection du film fut
très
importante pour moi. Il faut imaginer que le film a certainement eu
plus de spectateurs en treize jours qu'en cinq années,
c'est presque le nombre d'entrées d'un
long-métrage !
IAO : Qu'avez-vous
pensé de la réaction du public ?
Alain Escalle : Ils sont libres d'apprécier ou
non…
Que dire ? C'est finalement comme dans une salle de
cinéma… de 13 000 places ! Il y a des gens qui
aiment,
d'autres qui détestent et d'autres qui ne
comprennent pas… Je pense que beaucoup n'ont pas compris
le choix de Mylène et Laurent, d'où certains cris
éparses. Ou, alors, ils n'ont pas essayé de
comprendre pourquoi ce choix, pourquoi le choix d'un film. Cela
ne s'est jamais fait avant, je crois. Je suis pour ma part
flatté d'avoir été choisi, et d'autre
part je suis prêt à recevoir les critiques. Le
film a
déjà beaucoup voyagé en cinq
années.
J'ai eu beaucoup de réactions.
IAO :
N'était-ce pas un
peu frustrant d'être mis en avant pour un travail
déjà 'vieux' de cinq ans ?
Alain Escalle : Pas du tout. Ce film marque une étape que je
ne
vais pas dépasser d'ici longtemps. Car pour cela, il faut
du courage, des idées et de la patience. Mes principaux
court
métrages, les plus importants pour moi:
"D'après le naufrage", "Le conte du monde
flottant")
ont à peu près un intermède temporel
de sept ans,
alors… Pour l'instant je me nourris de nouvelles choses.
Je repars un peu à zéro et cela me fait du bien;
je
n'aime pas me répéter, même si l'on
peut y retrouver des thématiques qui me sont propres.
IAO : Parlez-nous du
travail sur les
images diffusées pendant le spectacle. Certaines
étaient
inédites et d'autres anciennes, n'est-ce pas ?
Mylène Farmer : J'ai rencontré Mylène
une
première fois pour comprendre le concept du spectacle et
j'ai laissé tout cela mariner pendant une semaine pour
revenir avec un dossier d'idées pour les chansons
qui
pouvaient m'inspirer. Une sorte de cahier de tendances dans
lequel il fallait piocher, car nous n'avions pas le temps de tout
faire. Et puis parfois il a fallu épurer les choses, car les
événements sur scène
étaient eux aussi
importants.
IAO : Sur combien de
chansons avez-vous travaillé pour des images
inédites ?
Alain Escalle : Presque toutes sauf "Les mots" et "Avant que
l'ombre…" qui utilisent respectivement des images du
court-métrage "D'après le naufrage" et de
l'installation "Je serai flamme" (présents sur le DVD du
"Conte du monde flottant", NDLR). Par manque de temps j'ai aussi
utilisé pas mal de textures créées
auparavant.
IAO : Comment
s'organisait votre travail : réunions avec Mylène
ou travail en solitaire ?
Alain Escalle : Les deux… Des périodes de travail
plus ou
moins solitaires et des séances de présentations,
de
rencontres et de validations.
IAO : Les
thèmes choisis étaient-ils vos choix ou ceux de
Mylène ?
Alain Escalle : L'élément de départ a
été je pense, "Le conte du monde flottant". Je
crois que
pour Mylène, me demander de penser aux images de
scène
était un moyen de justifier la première partie et
d'homogénéiser l'ensemble du spectacle. La
première réunion a servi à
m'imprégner des idées de Mylène et de
ses
impressions. Le reste s'est fait dans une grande liberté.
Et un grand dialogue aussi. Tout travail évolue toujours au
cours de sa réalisation, jusqu'à sa forme finale.
IAO : Était-il
contraignant de devoir correspondre à la durée
d'une chanson ?
Alain Escalle : Non.
IAO : Y avait-il d'autres
contraintes (les décors, les
lumières…) ?
Alain Escalle : Je pense toujours que des contraintes naît le
style, alors ce n'est pas un problème pour moi.
IAO : Pourquoi des images
d'une opération à cœur ouvert sur
"Porno Graphique" ?
Alain Escalle : J'ai tout de suite eu envie de quelque chose de
violent sur cette chanson. Le morceau est déjà
assez
bizarre et expérimental, alors je voulais retrouver cette
idée au niveau de l'image, sans tomber dans le
côté porno… Et puis le sang, c'est beau
et
graphique !
IAO : Pouvez-vous nous
guider dans
l'explication du tableau final, ce Jésus très
ambivalent dans son comportement ?
Alain Escalle : Difficile d'expliquer ce type
d'émotion… Ce tableau est tiré
directement
d'une de mes installations vidéo intitulée "Je
serai flamme". Le propos de base était pour moi de faire
vivre
cette image latente du Christ apparaissant sur le linceul (Linceul de
Turin). Ce n'est pas de la provocation bien sûr, juste une
envie d'humaniser cette image. Il s'est trouvé que
l'installation collait parfaitement à la
thématique
de "Avant que l'ombre…". Ensuite je l'ai juste
remonté pour changer la structure.
IAO : Comment
travaillez-vous (mélange d'images réelles et
d'images de synthèse) ?
Alain Escalle : C'est un mélange de tout cela.
J'utilise de lourds outils de compositing. Les mêmes que
ceux utilisés par le cinéma pour les gros films,
mais ici
j'essaie de les détourner de leur fonction de base. Je
n'aime pas beaucoup faire des
effets réalité.
C'est très certainement dû à ma
formation
artistique et à mes références
cinématographiques aussi.
IAO : Quelle formation et
quelles références ?
Alain Escalle : J'ai fait trois ans d'arts appliqués
et une école de cinéma et d'audiovisuel. Pour les
références cinématographiques, elles
sont vastes.
Cela va du cinéma expérimental à
l'animation
traditionnelle (comme Youri Norstein), en passant par le
cinéma
de Greenway ou de Lynch, qui ont inventé un nouveau mode de
narration et qui possèdent une vraie esthétique
visuelle.
IAO : David Lynch est un
des
cinéastes préférés de
Mylène. Il est
d'ailleurs venu la voir à Bercy. L'avez-vous
croisé ?
Alain Escalle : Hélas non ! Je ne savais pas. Mais je suis
très timide, vous savez. Je reste dans mon coin. Les
flonflons,
c'est pas trop pour moi.
IAO : Y a-t-il eu des
changements lors des premières
répétitions ?
Alain Escalle : Oui, mais très peu, surtout des ajustements
ou
des suppressions d'images sur la croix qui prenaient trop de
place dans le champ de vision.
IAO : Et des images non
retenues pour le spectacle ?
Alain Escalle : Rien qui ait été
tourné… Le
choix des idées s'est arrêté assez
rapidement
sur certains tableaux et sur des envies que je pouvais avoir sur
certains titres. La demande de Mylène a dès le
départ été plus que respectueuse
envers mon
travail et mes propositions. Les choses ont ensuite
évolué dans un dialogue parfait car,
même si il y a
beaucoup d'espace de liberté, Mylène et Laurent
savent très bien ce que peut donner le concert. C'est
normal. Il a surtout fallu épurer au stade du concept le
contenu
des images.
IAO : Vos
créations,
conçues pour le spectacle de Bercy, seront-elles (en bonus)
sur
le DVD live de Mylène ?
Alain Escalle : Là, cela concerne Mylène et
Laurent, ce
n'est pas à moi de divulguer ce type d'information.
Ce n'est pas mon rôle et ce ne serait pas très
honnête de ma part.
IAO : Etes-vous davantage
sollicité depuis janvier ?
Alain Escalle : C'est encore tout frais, et je ne tiens pas
à ce que le travail ou les commandes deviennent
systématiques. Je travaille peu et c'est un choix
personnel pour pouvoir travailler pour moi et pour avoir la
liberté de choisir les projets qui m'inspirent et qui se
présentent à moi au bon moment. Mais pour
répondre
à votre question, non, je ne pense pas être plus
sollicité qu'avant. Ce sont des métiers en dents
de
scie et il faut apprendre à gérer l'absence.
IAO : Qui a eu
l'idée de proposer votre DVD au stand merchandising ?
Savez-vous combien vous en avez vendu ?
Alain Escalle : C'est venu au fil des discussions, naturellement.
Là encore c'est une grande chance pour moi et pour
l'équipe de production du court-métrage. Je sais
que c'est chose très rare ; le merchandising est
logiquement réservé à l'artiste
principal.
Le DVD était déjà existant, mais
uniquement
disponible sur mon site. Là, ça nous a permis de
le
vendre à plus grande échelle, même si,
hélas, on a du augmenter le prix pour couvrir les frais
supplémentaires inhérents à la vente
à
Bercy. Nous avons maintenant presque épuisé
l'édition je crois. Nous pensons de plus en plus
à
une nouvelle édition. Peut-être dans un circuit de
plus
grande distribution, au moment où Mylène sortira
son DVD.
IAO : Revoyez-vous
Mylène et Laurent ? D'autres projets avec eux ?
Alain Escalle : Non.
IAO : Sur quoi
travaillez-vous en ce moment ?
Alain Escalle : Sur un long-métrage produit par la
télévision Japonaise, la NHK, en co-production
avec
plusieurs pays dont la France et les Etats-Unis. Si le projet se
réalise il parlerait des fantômes dans la culture
traditionnelle Japonaise.