Au départ, le
cylindre devait s'ouvrir
avec une
trappe extérieure, avec une charnière, et,
Mylène
voulait absolument un mouvement qui sorte de l'ordinaire.
Donc,
il y a toute la partie du couvercle qui vient s'enrouler
autour
du corps de la navette. Et, je sais que le décorateur a
tergiversé pendant très, très
longtemps pour
trouver une ouverture correcte. Et, en fait, maintenant je peux le dire
puisque les secrets ont été depuis longtemps
éventés, c'est un groom de porte qui
sert à
l'ouverture. Et, en fait, c'est ce qui donne ce
mouvement
magique d'ouverture, où on a
l'impression
qu'il s'agit d'une mécanique
parfaitement
huilée, alors qu'en fait il s'agit
d'une
mécanique très, très basique
qu'il a
imaginée pour ouvrir ce cylindre sur lui-même.
Lorsque Mylène, pour la première fois,
m'a
parlé du rideau d'eau, je lui ai dit : "Ecoute,
voilà,
moi je connais quelqu'un à Strasbourg, si tu veux,
je peux
le démarcher, je peux lui parler de notre projet et voir ce
qu'il a à me proposer". Et il m'a dit :
"Ecoute, il
faut absolument que je te présente mon dernier projet", qui,
en
fait, était un rideau à écritures.
Je ne pouvais vraiment pas m'imaginer à quoi
ça
ressemblait, et il m'a montré ce truc
là, et
là, quand même, j'ai
halluciné. J'ai
jamais vu quelqu'un faire avec de l'eau ce que eux
ils
faisaient. Ils faisaient une ouverture et une fermeture, comme un
rideau en tissu, c'est-à-dire avec une ouverture
centrale,
une fermeture. Ils écrivaient dessus, ils dessinaient
dessus.
Enfin, moi, ça m'a totalement conquis.
J'ai
insisté pour qu'on fasse une
présentation à
Mylène et à Laurent, et au producteur en
même temps
parce que le rideau d'eau coûte quand
même
très cher. Et, on a fait cette présentation, ici
(au
POPB), le 28 septembre. Et, tout le monde est resté quand
même scotché.
Premièrement, parce que c'est quelque chose de
totalement
physique : le rideau d'eau déplace un vent
absolument
incroyable et une espèce d'impression de
fraîcheur
à laquelle on ne s'attend pas. Et, en plus,
esthétiquement, c'est vraiment une des plus belles
choses
que j'aie vue jusqu'à
présent. Par contre, il
est totalement instable, c'est-à-dire
qu'il
réagit aux phénomènes
météorologiques internes à la salle de
spectacles.
Donc, aussi bizarre que ça puisse paraître, une
salle de
spectacles n'est pas neutre,
c'est-à-dire que
lorsqu'on fait des calculs par exemple, on est
obligés de
prendre un coefficient vent dans une salle. Pourquoi ? Parce
qu'il y a toujours des portes ouvertes, parce qu'il
y a des
courants d'air, et, qu'effectivement,
multipliés par
le nombre de mètres carrés et de tissus
qu'on a, il
faut les prendre en compte, sinon on risque d'avoir un
problème. Et le rideau d'eau, lui, en fait, on ne
sait
jamais si c'est la salle qui va aspirer la scène
à
cause de la chaleur, ou, si c'est la scène qui va
aspirer
la salle. Donc, ça veut dire qu'on ne sait pas
à
quel endroit va se placer le rideau précisément.
Ça, bien sûr, on ne l'a appris
qu'à
partir du moment où le public était
là, et on
s'est rendus compte qu'effectivement, ça
nous lavait
un petit peu la scène, mais, vu que
c'était le
dernier moment, on pouvait vivre avec. Donc, on vit avec pendant treize
représentations, et, c'est toujours aussi magique.
Et les
gens mettent toujours vingt secondes à se demander : "Mais
c'est quoi ce truc là ? Qu'est-ce que
c'est
?". Jusqu'au moment où ils se rendent compte que
c'est de l'eau. Et là, vraiment, ils
sont
totalement… ils sont scotchés.
Le cahier des charges, en fait, était relativement simple.
Les
contraintes de charges, en fait, étaient clairement
définies par les directeurs de Bercy lors d'une
réunion. On a essayé de pousser un petit peu les
murs.
Et, on a été rappelés à
l'ordre au
mois d'avril. La donne était la suivante,
c'est-à-dire qu'on avait le droit
d'accrocher
à la charpente de Bercy un total de 54 tonnes, qui
étaient donc dispatchées en 45 tonnes dans la
zone
scénique et 9 tonnes dans la zone salle.
Il y avait une autre contrainte qui était qu'on ne
pouvait
accrocher que 1250 kilos par point, espacés d'un
certain
nombre de mètres. En fait, ça voulait dire
qu'on ne
pouvait pas faire de Y, c'est-à-dire de pas de
doigts,
comme on appelle ça, pour aller se reprendre sur deux
appuis, ce
qui nous a obligés vraiment de faire une recherche de
produits
sur un certain nombre d'éléments
structurels.
Donc, en fait, on avait des contraintes en haut, on avait des
contraintes en bas et au milieu il fallait qu'on monte un
spectacle, donc, ça a été vraiment une
partie assez
dure. Donc, j'ai fait appel, effectivement, à un
bureau de
contrôle très rapidement, à un
ingénieur
conseil de manière à ce que il suive tout le
dossier
parce que lorsqu'on est aussi près de la limite de
ce
qu'on nous autorise, il faut absolument qu'on
arrive
à certifier ce qu'on fait. Donc, on a
été
obligés de retravailler le décor, mais
d'une
manière drastique, pour qu'effectivement le
décor
laisse de la place aux autres. Parce que dans ce type de projet, le
problème, c'est que quand on crée un
décor
et qu'après on essaie de tout rentrer dedans au
chausse-pied, il y a forcément des grincements de dents. Et,
tous les autres corps de métier peuvent se sentir
floués,
ce qui a été le cas, parce que effectivement,
tout le
monde a grogné à un moment donné
contre le
décor. Seulement, le décor, il est là,
c'est
ce que Mylène a choisi, et c'est "point
à la
ligne", c'est-à-dire que c'est
Mylène la
patronne quelque part, et, à partir du moment où
Mylène dit : "Je veux ça", nous on regarde. Moi,
mon
rôle c'est de trouver les possibilités de le
réaliser. Je ne suis jamais qu'un centralisateur
de bonnes
énergies et de savoir-faire. Je me suis entouré
d'une équipe vraiment très,
très
performante. Mais, il a fallu faire des compromis. Le son, je leur ai
donné 9 tonnes. Et, effectivement, c'est vraiment
très, très peu.
L'utilisation de portiques en acier pour supporter toute la
partie vidéo, qui, à elle toute seule
pèse 6 200
kilos, hors mécanique. C'est-à-dire le
poids pur
des écrans vidéo est de 1 tonne 580 exactement
par
module. Que cette charge se déplace, donc que ça
apporte
un certain nombre de contraintes dynamiques aussi. Que cette charge,
malheureusement, on n'a pas pu l'accrocher au
plafond,
parce qu'on était déjà
très,
très réduits dans nos capacités, donc
on a
été obligés de la ramener au sol. Et
donc,
malheureusement, j'ai découvert, ce que je ne
savais pas,
que la pression au sol de Bercy, elle-même, était
réduite à une tonne au mètre
carré, vue la
présence dans les sous-sols de groupes froids et de
tuyauteries
pour l'alimentation de la patinoire. Donc,
puisqu'on
était limités à une tonne au
mètre
carré au niveau du sol, il fallait qu'on cherche
des
matériaux plus légers, parce qu'en fait
on s'est
rendus compte que ce qui existait sur le marché de la
location
était beaucoup trop lourd. Donc,
c'est-à-dire que
là, on a construit une poutre qui fait 2 mètres
20 de
haut, 32 mètres de long, qui pèse 2,2 tonnes
précisément, alors que n'importe quelle
poutre
qu'on trouvait pour résister à des
charges
pareilles, pesait entre cinq et six tonnes.
On l'appelle la force d'inertie,
c'est-à-dire que,
vue sa taille, elle est capable d'accepter des charges
conséquentes, et, surtout des transferts de charges, puisque
les
écrans bougent, c'est-à-dire
qu'il y a des
moments où les écrans sont totalement au bord de
la
poutre qui est en porte-à-faux, et, il y a des moments
où
les quatre écrans sont assemblés au milieu. Donc,
à ce moment là, il y a 7 tonnes 400, je crois,
qui sont
en plein centre de la poutre. À ce moment là, la
poutre a
tendance à s'affaisser
légèrement, ce qui
est normal, puisqu'à un moment donné,
il faut
qu'on arrive à garder une distance toujours
égale
entre les différents écrans. On a
été
obligés d'inclure une contre flèche qui
fait que
lorsque les écrans sont au milieu de la poutre, la poutre
est
droite, ce qui permet aux écrans de s'ajuster
parfaitement. Et ça, ça a
été, donc,
construit spécialement, calculé
spécialement par
Loïc Durand notre ingénieur. Et, effectivement il a
fait un
travail admirable.
Ces compromis ont coûté beaucoup
d'argent, parce que
ça voulait dire qu'il fallait qu'on
change
fondamentalement notre manière de construire le
décor, ce
qui a été fait. Et, à ce niveau
là, le
constructeur de décor ici, que je salue vraiment avec
beaucoup
de respect, a fait un travail absolument admirable. Parce que, non
seulement son décor est d'une qualité
incroyable,
et ça, même de la reconnaissance de Mark Fisher,
mais en
plus il a fourni un travail d'engineering qui est absolument
exceptionnel.
On se retrouve quand même avec une amplitude de
scène de
27 par 17 pratiquement. C'est vraiment de l'ordre
d'un
gros plein air, c'est-à-dire avec un gros toit,
avec du
lest, avec des balastres, avec une grosse mécanique, sauf
qu'on est à Bercy ici, et que l'avantage
qu'a un
spectacle ici à Bercy, c'est qu'il rend
Bercy un
petit peu plus humain, plus chaud, puisqu'en fait le
spectateur
est beaucoup plus proche de l'artiste qu'il ne
l'est
en extérieur.
Il y a des moments où, en tant que technicien, je perds
totalement le sens du magique. Je vois ça qu'en
termes de
contraintes, en termes de cahiers des charges, en termes de
coûts, en termes de montage, démontage. Et,
c'est
vrai qu'il y a des moments, quand on se rend compte, dans le
spectacle, que le public rentre vraiment à
l'intérieur du spectacle, qu'il se
laisse
impressionner, qu'il se laisse porter par le spectacle,
c'est vraisemblablement la plus belle récompense
qu'on puisse avoir, parce que ça veut dire
qu'effectivement on a réussi à garder
cette
espèce de magie du spectacle intacte, même avec
des moyens
technologiques importants.
Un spectacle, c'est ni plus ni moins qu'une
espèce
de communion entre un artiste et son public, où, pour une
fois
l'artiste sort de l'imaginaire pour entrer dans une
espèce de réel, pour autant qu'un
spectacle soit du
réel, mais, enfin au moins dans une relation où
on la
voit en chair et en os. Je veux dire, en plus, Mylène
étant quelqu'un de très secret,
qu'on ne voit
pas souvent, là elle est dans les gens, au-dessus des gens,
avec
eux. Ils lui en sont énormément reconnaissants,
et
ça se voit et c'est un vrai plaisir dans ces
moments
là d'avoir un tel retour sur un spectacle, ici
à
Bercy, où vraiment le public a l'impression cette
fois-ci
d'être avec 'son' artiste. Et, on le sent dans les
réactions du public.