Mylène Farmer - Je m'ennuie - Analyse des paroles
La vie oscille à l’envie Comme un pendule rouillé Me balancer De la tourmente à l’ennui L’ennui naquit un jour gris D’une uniformité que je Sais invincible Qu’on traîne toute sa vie Toute sa vie durant Obstinément Sempiternelle rêverie De l’ennui à Bovary Vivre en beauté Vivre en blessure Sa finitude |
Je
m’ennuie C’est le vide Déesse Détresse Le spleen C’est l’hymne À l’ennui d’être Je m’ennuie Un néant béant Petite nausée Temps dilué À l’infini Paroles: Mylène Farmer Musique: Laurent Boutonnat |
L'ennui, un sentiment qui taraude Mylène depuis de nombreuses années et qui s'était essentiellement exprimé avant Point de Suture à travers le personnage de Lisa dans le clip C'est une belle journée en 2002 puis dans "Lisa Loup et le Conteur" en 2003.
On sentait néanmoins déjà l'ennui poindre le bout de son nez dans certaines chansons des années 90.
Dans L'Amour naissant, Mylène cite "La Fille de Ryan" le film de David Lean (non, il ne s'agissait pas d'une référence anticipée à Kate Ryan !) l'un de ses réalisateurs préférés, film dans lequel l'héroïne, Rosy, s'ennuie dans un mariage qui ne répond pas à ses espérances.
Dessin: Mylène Farmer
Source: lonelylisa.com
La même année, dans la chanson L'Âme-Stram-Gram, Mylène écrit:
" Partager mon ennui le plus Abyssal,
au premier venu qui trouvera ça banal... "
La seule échappatoire semble alors le plaisir sous toutes ses formes et peut-être... dans toutes les positions.
Il était donc temps que Mylène lui consacre une chanson, à cet Ennui.
Précisons enfin, que Mylène a mis en ligne quelques semaines après la sortie de l'album Point de Suture le site lonelylisa.com, le premier site communautaire de l'ennui.
Lonely Lisa - Dessin de Mylène Farmer
Un Ennui plus proche de la conception qu'en a Cioran, philosophe que Mylène lit depuis des années et qui l'a inspirée pour de nombreux textes.
L'Ennui est une épreuve, une douleur mais de laquelle on peut s'extraire pour retrouver la lumière.
De cet Ennui profond, presque existentiel et qui semble éternel, Mylène arriverait à faire naître une lucidité ou une force créatrices.
Et l'Ennui deviendrait alors une muse pour elle ?
Mylène a choisi de créer un texte autour de l'ennui sur une musique dance, très entraînante de Laurent Boutonnat.
Une discordance totale entre ces arrangements et les paroles qui rappelle d'autres titres tels Désenchantée ou C'est une belle journée.
On notera qu'en chantant, Mylène prolonge à souhait la dernière syllabe de "Je m'ennuie" dans les refrains, peut-être pour marquer le caractère éternel de cet état qui semble destiné à revenir inéxorablement ou, simplement faire comprendre que le temps semble bien long quand on s'ennuie.
Mylène a interprété Je m'ennuie lors de chaque concert du Tour 2009
En tout cas, Schopenhauer semble l'avoir inspirée.
On retrouve dans un extrait du livre "Le Monde comme volonté et comme représentation" les mots suivants: "la vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui."
On ne peut également, à la lecture du texte de Mylène, ne pas penser à Heidegger pour lequel il n'y a pas de création sans un ennui dont on cherche à se distraire ou une mélancolie, à Baudelaire et ses poèmes "Spleen" dans "Les Fleurs du mal" ou encore à Pascal que Mylène citait dans son interview à "Paris Match" en 2008 lorqu'on lui demandait pourquoi elle avait choisi de remonter sur scène:
"Parce que je m'ennuie! J'ai besoin de réinventer ma vie... Pascal a dit: "Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans divertissements, sans passions, sans affaires..."
Ma raison de vivre est mon métier, le spectacle, le partage."
"Petite nausée / Temps dilué / À l’infini" évoque évidemment "La Nausée" de Jean-Paul Sartre. Intéressant aussi de savoir que le titre initialement choisi par Jean-Paul Sartre était "Mélancholia", titre qui nous conduit au refrain de Tous ces combats: "Tous ces combats / Qui brisent insouciance / Mordent l'existence / J'ai la mélancholia / Qui rend l'âme à nue / Qui me constitue"
"Madame Bovary" de Flaubert est une référence incontournable pour un texte sur l'ennui, l'ennui au féminin étant d'ailleurs un thème très présent dans la littérature du XIXème siècle.
Peut-être Mylène se reconnaît-elle dans le personnage d'Emma Bovary qui cherchait à s'échapper de son ennui et se créer un nouvel univers notamment grâce à de nombreuses lectures.
Des mots de Flaubert qui ne sauraient évoquer certains aspects de l'oeuvre de Mylène:
"Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l'ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l'ombre, à tous les coins de son cœur."
"Vivre en beauté
Vivre en blessure
Sa finitude"
La fin du deuxième couplet semble démontrer que Mylène ne souhaite pas laisser l'ennui la conduire à un état de vacuité profonde et inhibitrice.
Mais, plutôt, toujours vivre sans compromis, consciente de sa, notre, "finitude".
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