Cool : Libertine, le titre que l'on entend
beaucoup en ce moment est extrait d'un album Cendres de
lune. J'ai
trouvé que c'était un LP féminin,
intime. C'est ton avis ?
Mylène Farmer : Féminin, je ne comprends pas
pourquoi et j'avoue que c'est le cadet de mes soucis. Cet album est un
premier album. On peut dire ça. C'est quelque chose que
j'aurai pu illustrer d'images. Voilà, si j'ai quelque chose
à dire sur l'album. Le reste, c'est plus les personnes qui
vont l'écouter qui vont dire des choses dessus.
Cool : Lorsqu'on
fait un choix de chansons, on va dans une certaine direction. On pense
à ce qu'on a envie de faire passer au public. Ce n'est pas
un hasard...
Mylène Farmer : Non, ce n'est jamais un hasard ce qu'on
fait. Je ne sais pas s'il y a un fil conducteur dans l'album. Il y a
une chanson qui va parler de Greta Garbo, une autre sur un autre
sujet"plus grandir", une autre "libertine" qui est encore autre
chose... Je ne pense pas que ce soit aller dans un sens. C'est essayer
d'amener le maximum de choses dans un même album.
Cool : La chanson
était présente dans tes rêves depuis
toujours ?
Mylène Farmer : Non la chanson est pour moi, avant tout un
métier qui est très difficile. Et puis c'est ma
vie. Voilà !
Cool : À
quel moment as-tu décidé de faire de la chanson
professionnellement ?
Mylène Farmer : J'ai réellement
décidé à partir du moment
où je l'ai matérialisée.
C'est-à-dire il y a deux ans et demi quand Maman a tort est
sorti. C'est à ce moment précis que j'ai
décidé de travailler, de transpirer, de mener un
combat pour ça.
Cool : Quelle a
été la démarche ?
Mylène Farmer : Ce sont les
opportunités, ce sont les rencontres de la vie. Je crois
vraiment à des moments qui sont rares mais
précis. J'ai rencontré des personnes et on a
entrepris de faire ce métier là.
Cool :Tu estimes
avoir eu de la chance ?
Mylène Farmer : J'estime que toute personne qui fait un
métier public doit prendre en compte la chance parce qu'elle
existe et que pour d'autres personnes elle n'existe
réellement pas. Après, c'est une aventure
personnelle. Le travail n'est pas non plus inexistant. Chance, travail,
c'est cela.
Cool : Maman a tort était un texte ambigu
qui ne te définissait pas clairement. Tu peux en parler ?
Mylène Farmer : Avec le recul d'avantage. Mais là
encore, l'important n'était pas de
définir Maman
a tort, mais de le chanter et puis de l'imposer.
Ça c'est plus mon aventure que d'expliquer :
"Voilà, j'ai voulu dire ça, parce que ceci ou
cela". C'est un peu moins mon rôle. Enfin moi, j'estime que
c'est comme ça. S’il y a quelque chose
à dire sur Maman
a tort, c'est que c'est à la fois un peu une
comptine tragique d'enfants, qui va dire sous des airs
ingénus des choses graves. C'est vrai que si on veut
approfondir, parce qu'on peut le faire, c'est l'hôpital
psychiatrique, c'est les rapports indirectement avec la mère
et l'enfant, et l'infirmière qui va prendre le
rôle de mère. Mais est-ce qu'on a besoin de
dramatiser, d'aller jusque là ? Je n'en sais rien.
Maintenant, les gens ont perçu d'autres choses, des phrases
comme "J'aime ce qu'on m'interdit, les plaisirs impolis"...
Cool : Libertine c'est la phase n° 2
après Maman a tort ?
Mylène Farmer : Oui, c'est une étape. Se
complaire là dedans, ça ne m'intéresse
pas non plus. Maintenant ce que je veux, c'est faire autre chose, voir
autre chose, un autre univers, une autre démarche. Libertine c'est un
peu le tremplin. Ça va me permettre d'aller plus loin que
ça, parce qu'il y a eu un succès
médiatique dans les ventes, au niveau du clip aussi.
Là, il y a une image qui commence à
être précisée dans l'esprit des gens. A
partir de ça, demain je ne vais pas refaire du "Libertine".
Ce serait à la fois facile et un suicide.
Cool : Libertine donne une image de toi coquine,
ingénue, et à la fois tragique par rapport au
clip...
Mylène Farmer : C'est à dire que dans le clip, on
a fait mourir les héros. Ça fait partie des
références qu'on a du romantisme. C'est vrai que
c'est toujours poussé à l'extrême, que
le héros doit mourir, parce que ça prend une
ampleur plus importante, c'est peut-être ça, le
côté tragique. Sinon, c'est encore quelque chose
d'assez léger. Je suis "libertine" mais qu'on me prenne la
main.
Cool : Qui a eu
l'idée de ce clip ?
Mylène Farmer : C'est une idée commune
à la personne qui travaille avec moi, qui l'a
réalisé, et moi-même. Depuis le
début que je pense chanson, je pense image.
Cool : Ce clip
n'est pas tout à fait dans le courant actuel des
vidéos. Il y a une sorte d'attachement au passé
également...
Mylène Farmer : C'est normal, je n'ai pas envie de faire
partie du courant actuel. Mais il ne faut pas que ça
devienne généralité. C'est toujours ce
qui me dérange. Là, dans Libertine,
c'était une démarche, c'était
intéressant de traiter le 18è siècle,
les salons libertins avec les bougies, les scènes un peu
osées. C'était intéressant.
Là. Mais une fois de plus, sur Plus grandir, c'était
pas ça du tout. C'était un château
baroque qui pouvait se passer en 85, comme en 70,
comme avant. C'était comme dans un rêve.
Cool : Pour toi une
chanson et son clip sont des aventures ponctuelles ?
Mylène Farmer : Bien sûr. Sinon, c'est que je ne
comprends pas bien. Je parle toujours de dramatisation, mais c'est vrai
qu'une chanson n'est qu'une chanson. On en fait ce qu'on veut, on
l'habille, on la déguise, on en fait des choses
merveilleuses, mais il ne faut pas se reposer là-dessus.
Sinon ou on n'avance pas, ou on ne réfléchit pas
trop. C'est peu de choses une chanson et à la fois c'est
tout. Quand j'ai pris le chemin du studio pour une autre, l'aventure de
la précédente est terminée.
Cool : Pourquoi
fais-tu ce métier ?
Mylène Farmer : Parce qu'il m'est essentiel pour l'instant.
Je me donne le droit de changer d'humeur dans quelques
années. Je pense qu'il y a beaucoup de personnes qui se
mentent, et spécialement les artistes, quant ils disent :
"C'est ma vie". C'est vrai que sur le moment, c'est ma vie aussi. Mais
il faut se donner la possibilité de faire aussi d'autres
choses.
Cool : Quelles sont
tes envies en dehors de la chanson ?
Mylène Farmer : Il y a le cinéma, mais pour
l'instant je peux plus facilement me livrer au métier de la
chanson, qu'au cinéma. C'est encore une autre entreprise
difficile.
Cool : Quels sont
tes projets immédiats ?
Mylène Farmer : On va sortir un autre 45 T qui ne sera pas
extrait de l'album. On travaille dessus.
Cool : Le
succès fait peur pour la suite ?
Mylène Farmer: On appréhende la suite parce que,
qui dit succès, dit forcément couteau sous la
gorge pour le pas suivant. C'est quelque chose que je sais, et que je
sais trop bien. Donc il faut aller un peu plus loin que ça.
Bien sûr, il faut faire attention à cette
identité qui tout d'un coup peu prendre des proportions
démentes...