Deuxième
interview et prestation en télévision de
Mylène pour la sortie de l'abum Anamorphosée,
sorti alors depuis déjà près de deux
mois.
Emission diffusée en direct dont Mylène est
l'invitée principale.
À ses côtés, la psychanalyste Marie de
Hennezel et l'acteur François Cluzet.
Jean-Luc Delarue :
Mylène Farmer, d’abord. Bonsoir. Mylène
Farmer : Bonsoir. Jean-Luc Delarue :
Ça va ? Mylène
Farmer : Très bien ! Jean-Luc Delarue :
On est contents de vous revoir. On se demandait même,
presque,
si vous ne nous aviez pas un peu oubliés. Tout le temps,
vous avez été extrêmement
discrète, vous parlez assez peu, mais alors là,
c’est depuis un an, depuis deux ans... Mylène
Farmer : J'ai quatre ans d'absence. Jean-Luc Delarue : Quatre ans ! Mylène
Farmer : Mais,
j'ai fait quand même un long métrage, et le
réalisateur est aussi le compositeur. Donc ça a
été un travail extrêmement long pour
lui, le montage du film. Et puis j'ai eu besoin d'un peu de recul, je
crois. Jean-Luc Delarue :
D'accord. Donc à l'étranger. Vous êtes
partie à Los Angeles, un peu à New York
également. On peut parler presque d'un exil dans un pays
où on ne vous connaît pratiquement pas, par
rapport à la France où, c'est fou le
phénomène qu'il y a autour de Mylène
Farmer. C'est la première fois qu'on reçoit un
invité où quatre jours, cinq jours avant, c'est
: "Mais à quelle heure elle sera là
?","Où
elle sera là ?" On appelle au bureau. Ce sont des choses
assez étonnantes ! Qu'est-ce qui a motivé votre
départ et, qu'est-ce qui a motivé votre retour ? Mylène
Farmer : Le besoin d'oxygène, avant tout.
L'envie de voyages, de découvrir des choses que je ne
connaissais pas. L'envie de s'oublier soi-même. Rencontrer de
nouvelles personnes. Autant de choses qui font... C'est une
nourriture dont j'avais besoin. Jean-Luc Delarue :
Et le retour ? Qu'est-ce qui vous donne envie de revenir en France ? Mylène
Farmer : Définitivement l'envie de faire
mon métier, de revenir... à mon métier. Jean-Luc Delarue : En
tous cas, vos fans ne vous ont pas oubliée. Je ne sais pas
s'il y a toujours des fans qui vous dispensent cet amour "XXL" en bas
de chez vous, partout, dans tous vos déplacements.
Ça doit être assez délicat à
vivre, j'imagine, parce que vous devez vous demander ce que vous pouvez
leur donner en retour quand on vous donne autant d'amour comme
ça ? Mylène
Farmer : C'est toujours un petit peu difficile, si ce
n'est qu'ils sont relativement discrets eux-mêmes,
même s'ils attendent en bas de chez moi. C'est une
présence à la fois effacée et
très démonstrative, donc c'est... Jean-Luc Delarue :
C'est quoi ? C'est des sourires ? Vous leur dites des mots ? Mylène
Farmer : Des choses très simples. C'est
des
échanges de paroles mais ils ne me demandent pas davantage.
Jean-Luc Delarue :
Alors, sur votre proposition, nous avons donc invité Marie
de Hennezel, qui a écrit La mort intime qui
est un livre consacré à
l'accompagnement aux mourants. Pourquoi est-ce que vous aviez envie
qu'on parle de ce livre ? Mylène
Farmer : Parce que j'ai beaucoup aimé ce
livre, je le trouve merveilleusement écrit et surtout, c'est
le témoignage de choses qui me touchent
profondément. Que la mort est un sujet qui me passionne, qui
m'a hantée de nombreuses années, et qui
aujourd'hui me... j'oserais dire, ne m'obsède plus
de la même façon, et, c'est aussi grâce
à cette lecture. Jean-Luc Delarue :
De quelle manière ? Comment vous expliquez ce
déclic ? Mylène
Farmer : J'ai lu deux livres. J'ai lu un autre livre,
que vous devez connaître, qui s'appelle Le livre
tibétain de la vie et de la mort et qui parle
justement de cet apprentissage que de ne pas craindre et être
obsédé, justement, hanté par
l'idée de la mort. Et, l'idée peut-être
d'une autre vie, également, après la mort, ce
n'est
pas une fin en soi, et c'est aussi le message que vous donnez dans ce
livre. Et puis, c'est un... je ne dirais pas un
métier, mais un don de soi qui est merveilleux. Et,
voilà... J'avoue que ce livre m'a aidée
et m'a confortée dans certaines choses. Jean-Luc Delarue :
(Jean-Luc Delarue s'adresse à Marie de Hennezel, ndlr) En
fait, vous êtes psychanalyste, il faut l'expliquer. Depuis
une dizaine d'années, vous travaillez dans ces centres de
soins palliatifs où, donc, on apporte une
présence, une chaleur humaine, quelqu'un avec qui parler
à ceux qui sont en train de quitter la vie. C'est un livre
qui est à la fois très positif parce qu'on se dit
que, finalement, que les mourants sont… Vous ne les appelez
pas les mourrants, vous n'aimez pas ce terme parce que jusqu'au dernier
jour, on est encore vivant. Marie
de Hennezel : Oui. Jean-Luc Delarue :
Ceux qui vont mourir, en tout cas, sont souvent beaucoup plus en
harmonie avec eux-mêmes, qui voient la mort arriver avec
beaucoup plus de facilité, s'ils l'acceptent, que ceux qui
sont autour d'eux. C'est assez étrange. Marie
de Hennezel : Non, ce n'est pas étrange parce qu'ils
sont malades depuis longtemps, donc ils ont fait tout un chemin. On ne
se rend pas compte du chemin que des gens font quand ils sont atteints
d'une maladie grave et que, d'étape en étape,
finalement, et souvent dans la solitude, c'est ça
qui... souvent dans la solitude parce que les autres autour ne
veulent pas voir qu'ils font ce chemin. Donc, effectivement, quand ils
arrivent à quelques mois, ou à quelques semaines
de cette échéance, ils sont souvent beaucoup plus
prêts que leur entourage. Et, vous voyez, ce qui est
important dans ces moments-là, c'est vrai qu'on ne peut plus
porter de masque. On a besoin d'aller au bout de soi-même,
d'être dans une authenticité très,
très grande. Et pour cela, je crois que les personnes ont
besoin de pouvoir échanger avec les autres parce qu'ils sont
vivants, justement, jusqu'au bout. Et malheureusement, ce qu'on voit,
c'est qu'à cause du tabou de la mort, à cause de
cette peur dont vous parlez, les proches, les soignants aussi, la
société en général n'est
pas capable simplement d'être là et de
se mettre à l'écoute de ce qu'ils ont
à nous dire. Alors, j'ai voulu simplement, à
partir de mon expérience dire : "Ne passez pas à
côté de cette expérience". Parce que
c'est une expérience... je crois que c'est
l'expérience humaine la plus profonde qui existe, que de
pouvoir être auprès de quelqu'un qui est en train
ou qui va mourir. Jean-Luc Delarue :
Mais, à la limite, on se dirait même, presque,
le meilleur moment de sa vie, ce serait la veille de sa mort si on est en harmonie avec
soi-même. Il y a un film qui va sortir, de Xavier Beauvois,
au début du mois de janvier, qui s'appelle, N'oublie pas que tu vas mourir.
Vous pensez qu'il faut
vivre avec cette idée-là pour vivre heureux ? Marie
de Hennezel : Je crois que... Pas pour vivre heureux,
mais pour vivre peut-être plus consciemment... Mylène
Farmer : Pour redonner les vraies valeurs de
la vie probablement... Marie
de Hennezel : Parce que, qu'est-ce que ça veut dire
vivre heureux? On a des moments de bonheur, et puis...
Enfin, le malheur fait aussi partie de la vie. Justement, la souffrance
fait partie de la vie. Donc, vivre plus consciemment, habiter davantage
tous les moments de la vie, que ce soient les peines et les joies, mais
être là, vraiment, dans sa vie. Jean-Luc Delarue :
Vous avez été surprise par l'invitation de
Mylène Farmer ? Marie
de Hennezel : J'ai été très
touchée. Surprise, oui. Très
touchée. Et j'avais très envie de
savoir
pourquoi vous m'aviez invitée. (elle s'adresse à
Mylène, ndlr) Jean-Luc Delarue :
Elle nous l'a dit, plus ou moins. Marie de Hennezel :
Oui, tout à fait. Jean-Luc Delarue :
François, vous vouliez
faire un commentaire ? François
Cluzet : J'ai lu il n'y a pas longtemps que le fait
de se savoir mortel était la première
maturité. C'est-à-dire qu'on devient
mûr quand on sait qu'on est mortel. Et puis, je me demande
toujours si la mort n'est pas bien plus longue que la vie. Et, en ce
sens, alors, il faut profiter de ce qui est court ! Jean-Luc Delarue :
D'accord ! C'est pour ça qu'on dit que le sida, c'est une
maladie transmissible, est
particulièrement dangereux pour les jeunes gens parce qu'on
se sent immortel quand on a 17 ou 18 ans et qu'on fait pas gaffe.
François Cluzet n'a pas été choisi par
Mylène Farmer mais je suis certain qu'elle est contente
de...Vous
vous connaissiez ? Mylène
Farmer : Bien sûr. Nous nous sommes
rencontrés sur le tournage du film que j'ai fait,
à Prague (Giorgino
en 1993, ndlr). L'émission
évoque alors la sortie du film dans
lequel joue François Cluzet avec Guillaume
Deparideu, Les
Apprentis, film de Pierre Salvadori
Jean-Luc Delarue :
Vous avez été au cinéma quand vous
étiez à Los Angeles ? Mylène
Farmer : Oui, bien sûr. Jean-Luc Delarue :
Quels sont les derniers films que vous avez vus et que vous avez
aimés ? C'est embêtant comme question,
ça, parce qu'il faut fouiller... Mylène
Farmer : C'est toujours quand on me pose cette
question que je ne trouve pas de réponse. Jean-Luc Delarue :
Oui. Vous dites : "J'ai plus d'humour en moi que de joie". Quelqu'un a
fait une démonstration, par exemple, en disant que dans les
jeux télévisés, avant,
c'était de l'humour qu'on essayait de dispenser, et
aujourd'hui, c'est vraiment de la joie : on applaudit, on va gagner un
truc etc. Comment vous situez la différence entre l'humour
et la joie ? Et dans quelles situations vous pratiquez l'humour, si
vous le pratiquez, si vous êtes seulement sympathisante ? Mylène
Farmer : Avec un vrai recul sur moi-même.
Quant à la joie, c'est des moments très,
très, très furtifs. Et ce peut être
tout et n'importe quoi. Jean-Luc Delarue :
Vous vous marrez dans la vie? Mylène
Farmer : Bien sûr. Bien sûr. Jean-Luc Delarue :
Non, je ne sais pas. On connaît... On a
peu l'occasion de vous voir vous marrer, Mylène. Je voudrais
qu'on se penche un peu sur... Je ne sais pas quel regard vous
portez sur ce qu'on dit sur vous, parce qu'on dit beaucoup de choses,
on écrit beaucoup de choses sur vous. Des journaux se
permettent de faire des dossiers énormes alors que vous ne
leur avez même pas accordé une interview. Donc on
s'est amusés à se plonger là-dedans.
Gilles Bornstein, un des journalistes qui travaille avec nous, s'est
penché sur l'image à travers la presse,
à travers tout ce qu'on voit dans les journaux. C'est
incroyable de voir à quel point vous occupez donc une place
importante dans les journaux, sans même parfois
être au courant. Diffusion
du reportage avec des images du clip L'Instant X, un
montage n'incluant que des plans avec Mylène Jean-Luc Delarue :
L'an 2000 sera spirituel. Le XXIè siècle sera
spirituel ou ne sera pas. J'ai l'impression qu'on en parle de toutes
les semaines mais, André Malraux avait eu une sorte de
vision quand il parlait de ça. Je crois qu'on est en plein
dedans, en parlant avec vous Marie de Hennezel. D'abord, sur la revue
de presse, est-ce que, pour vous, c'est une revue de presse qui donne
une idée de ce que vous êtes vraiment, ou est-ce
que vous avez plutôt l'impression d'avoir, je ne sais pas,
une espèce de revue de fantasmes de journalistes qui n'ont
pas assez d'informations pour pouvoir nourrir leurs lecteurs ? Mylène
Farmer : Là encore, je pense que je suis
responsable. Mon silence est la cause de... j'allais dire
autant de papiers, ou de choses qui sont, ou vraies ou fausses.
Là encore, j'ai un recul suffisant pour, ou ne pas
être heurtée, ou prendre ça justement
avec un certain recul. Jean-Luc Delarue :
Je vous ai vue sourire. Ça vous a amusée
plutôt,
non ? Mylène
Farmer : Maintenant, il y a une presse que je n'aime
vraiment pas du tout, c'est la presse, et je ne parle pas de moi
d'ailleurs, mais, qui attaque physique et choses extrêmement
privées ou personnelles. Et ça, c'est assez
inadmissible. Le reste, peu m'importe. Jean-Luc Delarue :
À chacun de vos albums, surtout dans vos clips, vous avez
joué des personnages. Cette fois-ci, autant la pochette de
l'album d'ailleurs que le clip, donnent le sentiment d'avoir affaire
à une Mylène Farmer qui veut se montrer nue, dans
tous les sens du terme. Elle-même. Est-ce que ça
correspond à une réalité ou est-ce que
c'est moi qui ai l'esprit tordu ? Mylène
Farmer : Tordu, je ne pense pas. Mais,
c'était plus, moi, l'idée, la tête
étant inexistante, de l'esprit qui s'échappe. Et
c'est un peu le parcours que j'ai eu, en tout cas cette initiation que
j'ai eue pendant quatre années, d'avoir l'esprit qui voyage. Jean-Luc Delarue :
Il ya une lettre que vous aimez bien, qui revient souvent dans vos
chansons, c'est la lettre "X". Rayons X , amour
"XXL". Bon, utilisée dans ces circonstances-là,
on ne peut pas vraiment dire que ça parle de choses
cochonnes ou que ça parle d'anonymat, mais est-ce que
ça correspond... Le "X", c'est votre lettre
préférée ? Mylène
Farmer : J'aime le X ! (rires) Quant à
l'anonymat, c'est parfois agréable. Jean-Luc Delarue :
Je prends cette phrase, "J'aime le X", je la mets dans un article, et
je lui donne un tout autre sens si je veux... Mylène
Farmer : Voilà ! (rires) Jean-Luc Delarue :
Quand on parle de vous, inévitablement on parle de votre
singe capucin, E.T. Donc, Léon n'est pas mort,
contrairement à ce qu'on a entendu dans le
reportage. E.T. est remercié sur la pochette de
votre album. Je voulais savoir quelle était sa
collaboration, qu'est qu'il avait apporté ? Mylène
Farmer : Sa présence, sa
présence, et... Jean-Luc
Delarue : Qu'est-ce qu'il vous apporte ? Mylène
Farmer : Un animal apporte beaucoup de choses. C'est
un compagnon, ce sont des jeux, ce sont autant de choses qui font que
ça provoque un sourire. Jean-Luc Delarue :
Il vous a accompagnée donc aux Etats-Unis j'imagine ? Mylène
Farmer : Non. Non, c'est impossible. On ne peut pas
voyager avec un singe, non. Jean-Luc Delarue :
Tous vos clips aussi sont des vrais petits films. Vous avez
également joué dans un long métrage.
Vous avez dit à un moment, vous avez
été jusqu'à dire : "Si je ne fais pas
du cinéma, j'en mourrai". Est-ce que cette phrase est encore
d'actualité ? Mylène
Farmer : C'est toujours pareil. C'est-à-dire
que c'est vrai que quand on parle à un journaliste, vous le
savez aussi bien que moi, après, on vous prend une phrase
comme ça et puis on la sort, non pas de son
contexte... Jean-Luc Delarue :
Celle-là, elle est suffisamment forte pour vivre toute
seule, presque. Mylène
Farmer : Ce que moi j'ai voulu évoquer,
c'est vrai que j'avais besoin absolument de faire un long
métrage, de faire un film, de jouer. Donc, en ce sens,
j'avais l'impression que si je ne pouvais pas atteindre cette
chose-là, c'était une mort en soi. Vous dire que
demain, je me serais suicidée, non, probablement pas. Mais,
une fois de plus, ça, c'est toujours très
réducteur, et... Jean-Luc Delarue :Je n'insiste
pas ! Est-ce que vous pourriez reprendre cette
phrase à votre compte, François ? François
Cluzet : Non, je ferais du
théâtre ! Entretien
de Jean-Luc Delarue avec François Cluzet
notamment sur le film Les
Apprentis avec diffusion d'un extrait puis
sur le mouvement social qui se déroulait alors en France Jean-Luc Delarue:
Vous, Mylène, vous l'avez vécu comment ce
mouvement ? Quel regard vous avez sur ce mouvement ? Mylène
Farmer : Justement, c'est cette façon que
de prendre des personnes, comme ça, en autostop,
ça a réhumanisé un peu notre ville,
c'est vrai.