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Mylène Farmer - Interview - Déjà le retour - France 2 - 17 décembre 1995






Deuxième interview et prestation en télévision de Mylène pour la sortie de l'abum Anamorphosée, sorti alors depuis déjà près de deux mois.

Emission diffusée en direct dont Mylène est l'invitée principale.

À ses côtés, la psychanalyste Marie de Hennezel et l'acteur François Cluzet.

 
Jean-Luc Delarue : Mylène Farmer, d’abord. Bonsoir.
Mylène Farmer : Bonsoir.


Jean-Luc Delarue : Ça va ?
Mylène Farmer : Très bien ! 


Jean-Luc Delarue : On est contents de vous revoir. On se demandait même, presque, si vous ne nous aviez pas un peu oubliés. Tout le temps, vous avez été extrêmement discrète, vous parlez assez peu, mais alors là, c’est depuis un an, depuis deux ans...
Mylène Farmer : J'ai quatre ans d'absence.


Jean-Luc Delarue : Quatre ans !
Mylène Farmer : Mais, j'ai fait quand même un long métrage, et le réalisateur est aussi le compositeur. Donc ça a été un travail extrêmement long pour lui, le montage du film. Et puis j'ai eu besoin d'un peu de recul, je crois.


Jean-Luc Delarue : D'accord. Donc à l'étranger. Vous êtes partie à Los Angeles, un peu à New York également. On peut parler presque d'un exil dans un pays où on ne vous connaît pratiquement pas, par rapport à la France où, c'est fou le phénomène qu'il y a autour de Mylène Farmer. C'est la première fois qu'on reçoit un invité où quatre jours, cinq jours avant, c'est : "Mais à quelle heure elle sera là ?","Où elle sera là ?" On appelle au bureau. Ce sont des choses assez étonnantes ! Qu'est-ce qui a motivé votre départ et, qu'est-ce qui a motivé votre retour ?
Mylène Farmer : Le besoin d'oxygène, avant tout. L'envie de voyages, de découvrir des choses que je ne connaissais pas. L'envie de s'oublier soi-même. Rencontrer de nouvelles personnes. Autant de choses qui font... C'est une nourriture dont j'avais besoin.


Jean-Luc Delarue : Et le retour ? Qu'est-ce qui vous donne envie de revenir en France ?
Mylène Farmer : Définitivement l'envie de faire mon métier, de revenir... à mon métier.


Jean-Luc Delarue : En tous cas, vos fans ne vous ont pas oubliée. Je ne sais pas s'il y a toujours des fans qui vous dispensent cet amour "XXL" en bas de chez vous, partout, dans tous vos déplacements. Ça doit être assez délicat à vivre, j'imagine, parce que vous devez vous demander ce que vous pouvez leur donner en retour quand on vous donne autant d'amour comme ça ?
Mylène Farmer : C'est toujours un petit peu difficile, si ce n'est qu'ils sont relativement discrets eux-mêmes, même s'ils attendent en bas de chez moi. C'est une présence à la fois effacée et très démonstrative, donc c'est...


Jean-Luc Delarue : C'est quoi ? C'est des sourires ? Vous leur dites des mots ?
Mylène Farmer : Des choses très simples. C'est des échanges de paroles mais ils ne me demandent pas davantage.


Marie de Hennezel, Jean-Luc Delarue, Mylène Farmer, François Cluzet Déjà le retour France 2 17 décembre 1995


Jean-Luc Delarue : Alors, sur votre proposition, nous avons donc invité Marie de Hennezel, qui a écrit La mort intime qui est un livre consacré à l'accompagnement aux mourants. Pourquoi est-ce que vous aviez envie qu'on parle de ce livre ?
Mylène Farmer : Parce que j'ai beaucoup aimé ce livre, je le trouve merveilleusement écrit et surtout, c'est le témoignage de choses qui me touchent profondément. Que la mort est un sujet qui me passionne, qui m'a hantée de nombreuses années, et qui aujourd'hui me... j'oserais dire, ne m'obsède plus de la même façon, et, c'est aussi grâce à cette lecture.


Jean-Luc Delarue : De quelle manière ? Comment vous expliquez ce déclic ?
Mylène Farmer : J'ai lu deux livres. J'ai lu un autre livre, que vous devez connaître, qui s'appelle Le livre tibétain de la vie et de la mort et qui parle justement de cet apprentissage que de ne pas craindre et être obsédé, justement, hanté par l'idée de la mort. Et, l'idée peut-être d'une autre vie, également, après la mort, ce n'est pas une fin en soi, et c'est aussi le message que vous donnez dans ce livre. Et puis, c'est un... je ne dirais pas un métier, mais un don de soi qui est merveilleux. Et, voilà... J'avoue que ce livre m'a aidée et m'a confortée dans certaines choses.


Jean-Luc Delarue : (Jean-Luc Delarue s'adresse à Marie de Hennezel, ndlr) En fait, vous êtes psychanalyste, il faut l'expliquer. Depuis une dizaine d'années, vous travaillez dans ces centres de soins palliatifs où, donc, on apporte une présence, une chaleur humaine, quelqu'un avec qui parler à ceux qui sont en train de quitter la vie. C'est un livre qui est à la fois très positif parce qu'on se dit que, finalement, que les mourants sont… Vous ne les appelez pas les mourrants, vous n'aimez pas ce terme parce que jusqu'au dernier jour, on est encore vivant.
Marie de Hennezel : Oui.


Jean-Luc Delarue : Ceux qui vont mourir, en tout cas, sont souvent beaucoup plus en harmonie avec eux-mêmes, qui voient la mort arriver avec beaucoup plus de facilité, s'ils l'acceptent, que ceux qui sont autour d'eux. C'est assez étrange.
Marie de Hennezel : Non, ce n'est pas étrange parce qu'ils sont malades depuis longtemps, donc ils ont fait tout un chemin. On ne se rend pas compte du chemin que des gens font quand ils sont atteints d'une maladie grave et que, d'étape en étape, finalement, et souvent dans la solitude, c'est ça qui... souvent dans la solitude parce que les autres autour ne veulent pas voir qu'ils font ce chemin. Donc, effectivement, quand ils arrivent à quelques mois, ou à quelques semaines de cette échéance, ils sont souvent beaucoup plus prêts que leur entourage. Et, vous voyez, ce qui est important dans ces moments-là, c'est vrai qu'on ne peut plus porter de masque. On a besoin d'aller au bout de soi-même, d'être dans une authenticité très, très grande. Et pour cela, je crois que les personnes ont besoin de pouvoir échanger avec les autres parce qu'ils sont vivants, justement, jusqu'au bout. Et malheureusement, ce qu'on voit, c'est qu'à cause du tabou de la mort, à cause de cette peur dont vous parlez, les proches, les soignants aussi, la société en général n'est pas capable simplement d'être là  et de se mettre à l'écoute de ce qu'ils ont à nous dire. Alors, j'ai voulu simplement, à partir de mon expérience dire : "Ne passez pas à côté de cette expérience". Parce que c'est une expérience... je crois que c'est l'expérience humaine la plus profonde qui existe, que de pouvoir être auprès de quelqu'un qui est en train ou qui va mourir.


Jean-Luc Delarue : Mais, à la limite, on se dirait même, presque, le meilleur moment de sa vie, ce serait la veille de sa mort si on est en harmonie avec soi-même. Il y a un film qui va sortir, de Xavier Beauvois, au début du mois de janvier, qui s'appelle, N'oublie pas que tu vas mourir. Vous pensez qu'il faut vivre avec cette idée-là pour vivre heureux ?
Marie de Hennezel : Je crois que... Pas pour vivre heureux, mais pour vivre peut-être plus consciemment...
Mylène Farmer :  Pour redonner les vraies valeurs de la vie probablement...
Marie de Hennezel : Parce que, qu'est-ce que ça veut dire vivre heureux?  On a des moments de bonheur, et puis... Enfin, le malheur fait aussi partie de la vie. Justement, la souffrance fait partie de la vie. Donc, vivre plus consciemment, habiter davantage tous les moments de la vie, que ce soient les peines et les joies, mais être là, vraiment, dans sa vie.


Jean-Luc Delarue : Vous avez été surprise par l'invitation de Mylène Farmer ?
Marie de Hennezel : J'ai été très touchée. Surprise, oui. Très touchée.  Et j'avais très envie de savoir pourquoi vous m'aviez invitée. (elle s'adresse à Mylène, ndlr)


Jean-Luc Delarue : Elle nous l'a dit, plus ou moins.
Marie de Hennezel : Oui, tout à fait.


Jean-Luc Delarue : François, vous vouliez faire un commentaire ?
François Cluzet : J'ai lu il n'y a pas longtemps que le fait de se savoir mortel était la première maturité. C'est-à-dire qu'on devient mûr quand on sait qu'on est mortel. Et puis, je me demande toujours si la mort n'est pas bien plus longue que la vie. Et, en ce sens, alors, il faut profiter de ce qui est court ! 


Jean-Luc Delarue : D'accord ! C'est pour ça qu'on dit que le sida, c'est une maladie transmissible, est particulièrement dangereux pour les jeunes gens parce qu'on se sent immortel quand on a 17 ou 18 ans et qu'on fait pas gaffe. François Cluzet n'a pas été choisi par Mylène Farmer mais je suis certain qu'elle est contente de... Vous vous connaissiez ?
Mylène Farmer : Bien sûr. Nous nous sommes rencontrés sur le tournage du film que j'ai fait, à Prague (Giorgino en 1993, ndlr).


L'émission évoque alors la sortie du film dans lequel joue François Cluzet avec Guillaume Deparideu, Les Apprentis, film de Pierre Salvadori


Mylène Farmer Déjà le retour France 2 17 décembre 1995


Jean-Luc Delarue : Vous avez été au cinéma quand vous étiez à Los Angeles ?
Mylène Farmer : Oui, bien sûr.


Jean-Luc Delarue : Quels sont les derniers films que vous avez vus et que vous avez aimés ? C'est embêtant comme question, ça, parce qu'il faut fouiller...
Mylène Farmer : C'est toujours quand on me pose cette question que je ne trouve pas de réponse.


Jean-Luc Delarue : Oui. Vous dites : "J'ai plus d'humour en moi que de joie". Quelqu'un a fait une démonstration, par exemple, en disant que dans les jeux télévisés, avant, c'était de l'humour qu'on essayait de dispenser, et aujourd'hui, c'est vraiment de la joie : on applaudit, on va gagner un truc etc. Comment vous situez la différence entre l'humour et la joie ? Et dans quelles situations vous pratiquez l'humour, si vous le pratiquez, si vous êtes seulement sympathisante ?
Mylène Farmer : Avec un vrai recul sur moi-même. Quant à la joie, c'est des moments très, très, très furtifs. Et ce peut être tout et n'importe quoi.


Jean-Luc Delarue : Vous vous marrez dans la vie?
Mylène Farmer : Bien sûr. Bien sûr.


Jean-Luc Delarue : Non, je ne sais pas. On connaît... On  a peu l'occasion de vous voir vous marrer, Mylène. Je voudrais qu'on se penche un peu sur... Je ne sais pas quel regard vous portez sur ce qu'on dit sur vous, parce qu'on dit beaucoup de choses, on écrit beaucoup de choses sur vous. Des journaux se permettent de faire des dossiers énormes alors que vous ne leur avez même pas accordé une interview. Donc on s'est amusés à se plonger là-dedans. Gilles Bornstein, un des journalistes qui travaille avec nous, s'est penché sur l'image à travers la presse, à travers tout ce qu'on voit dans les journaux. C'est incroyable de voir à quel point vous occupez donc une place importante dans les journaux, sans même parfois être au courant.


Diffusion du reportage avec des images du clip L'Instant X, un montage n'incluant que des plans avec Mylène


Jean-Luc Delarue : L'an 2000 sera spirituel. Le XXIè siècle sera spirituel ou ne sera pas. J'ai l'impression qu'on en parle de toutes les semaines mais, André Malraux avait eu une sorte de vision quand il parlait de ça. Je crois qu'on est en plein dedans, en parlant avec vous Marie de Hennezel. D'abord, sur la revue de presse, est-ce que, pour vous, c'est une revue de presse qui donne une idée de ce que vous êtes vraiment, ou est-ce que vous avez plutôt l'impression d'avoir, je ne sais pas, une espèce de revue de fantasmes de journalistes qui n'ont pas assez d'informations pour pouvoir nourrir leurs lecteurs ?
Mylène Farmer : Là encore, je pense que je suis responsable. Mon silence est la cause de... j'allais dire autant de papiers, ou de choses qui sont, ou vraies ou fausses. Là encore, j'ai un recul suffisant pour, ou ne pas être heurtée, ou prendre ça justement avec un certain recul.


Jean-Luc Delarue : Je vous ai vue sourire. Ça vous a amusée plutôt, non ?
Mylène Farmer : Maintenant, il y a une presse que je n'aime vraiment pas du tout, c'est la presse, et je ne parle pas de moi d'ailleurs, mais, qui attaque physique et choses extrêmement privées ou personnelles. Et ça, c'est assez inadmissible. Le reste, peu m'importe.


Jean-Luc Delarue : À chacun de vos albums, surtout dans vos clips, vous avez joué des personnages. Cette fois-ci, autant la pochette de l'album d'ailleurs que le clip, donnent le sentiment d'avoir affaire à une Mylène Farmer qui veut se montrer nue, dans tous les sens du terme. Elle-même. Est-ce que ça correspond à une réalité ou est-ce que c'est moi qui ai l'esprit tordu ?
Mylène Farmer : Tordu, je ne pense pas. Mais, c'était plus, moi, l'idée, la tête étant inexistante, de l'esprit qui s'échappe. Et c'est un peu le parcours que j'ai eu, en tout cas cette initiation que j'ai eue pendant quatre années, d'avoir l'esprit qui voyage.


Jean-Luc Delarue : Il ya une lettre que vous aimez bien, qui revient souvent dans vos chansons, c'est la lettre "X". Rayons X , amour "XXL". Bon, utilisée dans ces circonstances-là, on ne peut pas vraiment dire que ça parle de choses cochonnes ou que ça parle d'anonymat, mais est-ce que ça correspond... Le "X", c'est votre lettre préférée ?
Mylène Farmer : J'aime le X ! (rires) Quant à l'anonymat, c'est parfois agréable.


Jean-Luc Delarue : Je prends cette phrase, "J'aime le X", je la mets dans un article, et je lui donne un tout autre sens si je veux...
Mylène Farmer : Voilà ! (rires)


Jean-Luc Delarue : Quand on parle de vous, inévitablement on parle de votre singe capucin, E.T.  Donc, Léon n'est pas mort, contrairement à ce qu'on a entendu dans le reportage. E.T. est remercié sur la pochette de votre album. Je voulais savoir quelle était sa collaboration,  qu'est qu'il avait apporté ?
Mylène Farmer : Sa présence, sa présence, et...


Jean-Luc Delarue : Qu'est-ce qu'il vous apporte ?
Mylène Farmer : Un animal apporte beaucoup de choses. C'est un compagnon, ce sont des jeux, ce sont autant de choses qui font que ça provoque un sourire.


Jean-Luc Delarue : Il vous a accompagnée donc aux Etats-Unis j'imagine ?
Mylène Farmer : Non. Non, c'est impossible. On ne peut pas voyager avec un singe, non.


Jean-Luc Delarue : Tous vos clips aussi sont des vrais petits films. Vous avez également joué dans un long métrage. Vous avez dit à un moment, vous avez été jusqu'à dire : "Si je ne fais pas du cinéma, j'en mourrai". Est-ce que cette phrase est encore d'actualité ?
Mylène Farmer : C'est toujours pareil. C'est-à-dire que c'est vrai que quand on parle à un journaliste, vous le savez aussi bien que moi, après, on vous prend une phrase comme ça et puis on la sort, non pas de son contexte...


Jean-Luc Delarue : Celle-là, elle est suffisamment forte pour vivre toute seule, presque.
Mylène Farmer : Ce que moi j'ai voulu évoquer, c'est vrai que j'avais besoin absolument de faire un long métrage, de faire un film, de jouer. Donc, en ce sens, j'avais l'impression que si je ne pouvais pas atteindre cette chose-là, c'était une mort en soi. Vous dire que demain, je me serais suicidée, non, probablement pas. Mais, une fois de plus, ça, c'est toujours très réducteur, et...


Jean-Luc Delarue :Je n'insiste pas ! Est-ce que vous pourriez reprendre cette phrase à votre compte, François ?
François Cluzet : Non, je ferais du théâtre !


Entretien de Jean-Luc Delarue avec François Cluzet notamment sur le film Les Apprentis avec diffusion d'un extrait puis sur le mouvement social qui se déroulait alors en France


Jean-Luc Delarue: Vous, Mylène, vous l'avez vécu comment ce mouvement ? Quel regard vous avez sur ce mouvement ?
Mylène Farmer : Justement, c'est cette façon que de prendre des personnes, comme ça, en autostop, ça a réhumanisé un peu notre ville, c'est vrai.


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