France Soir : Virage à
180 ° ? Plus tout à fait la même ni tout
à fait une autre ? Aussi désenchantée
qu'elle veut bien nous le faire croire ?
Mylène Farmer : Disons que je me sens plus douée
pour flotter dans le chaos que pour nager dans
l'éventualité des lendemains qui chantent.
Toujours ce vieux sentiment d'échec qui me poursuit. Et je
ne tiens pas à ce qu'il s'en aille. J'aurais trop peur de ne
plus rien avoir à dire. Mais ce qui a changé,
c'est de ne plus avoir envie de m'appitoyer sur moi-même et
de régler de vieux comptes. En fait, ces images (dans le
clip) d'enfants meurtris que j'incite à s'évader
de prison pour se retrouver dans une immensité
effroyablement vide, c'est bouleversant mais pas triste. Finalement,
c'est beau comme le romantisme. Mieux vaut la liberté,
quitte à s'apercevoir qu'elle est vaine, plutôt
que la condition de brimés et de mutilés.
France Soir : A
propos de mutilation, que s'est-il passé avec Agnus Dei
("De mutilation / En convulsion / Te voir ici / Quelle
hérésie / Les bras m'en tombent") ? Vous avez vu
Jésus ?
Mylène Farmer : J'ai eu envie de parler de mutilation, et
puis l'association Agnus
Dei est venue toute seule. Mais Dieu, je ne
connais pas. Peut-être que c'est ça, ma mutilation.
France Soir : Et
les culbutes en tous sens, les hymnes à l'amour recto-verso
? Jetés aux oubliettes de l'ancienne Mylène ?
Mylène Farmer : J'ai besoin de choses moins tapageuses. La
nouvelle Mylène, l'autre, enfin celle vers qui je vais...
(Hésitation. Silence. Obstination à trouver le
juste compromis, et haussement d'épaules
désarmé) Au fond, je suis toujours la
même. C'est la forme qui change. Je suis beaucoup plus
impudique dans cet album que dans le précédent.
Le sexe, c'était le rempart. Parler de ce que je ressens
dans mon cœur et dans mon âme, c'est de la mise
à
nu.
France Soir : Une
façon de voir que ne partageront peut-être pas les
kids qui se reconnaissaient en vous et se sentaient enfin compris et
déculpabilisés.
Mylène Farmer : (Candide) Mais pourquoi ? Puisque ce sont
les même névroses qui me mènent mais
traduites autrement. Le pire, c'est que plus les choses semblent
s'éclaircir pour moi, plus je me sens envahie de confusion.
Avec la scène, j'entrevoyais la délivrance. Bercy
fut quelque chose de magique et de prodigieux. On me disait,
à présent que tu as connu ça, tu n'as
plus le droit de douter. Tu passes à autre chose. Mais cette
nourriture (d'ordre spirituel même, qui sait ?),
dès qu'on ne l'a plus, on replonge.
France Soir :
Encore plantée par Dieu, comme dans "Je t'aime
Mélancolie". Mine de rien, vous en parlez beaucoup de cet
inconnu. Fascination du sacré au moment où la
récupération est à la mode ?
Mylène Farmer : (Parfaitement digne et calme). C'est une
fascination que j'ai depuis toujours. Justement parce que je me sens
coupable et impure. Alors, je choisis d'être iconoclaste. Ou
de croire qu'un ange passe (sa chanson L'autre). L'ange,
c'est
quelqu'un de plus proche. Quand je suis seule, au plus profond d'un
spleen, je sais qu'il est là. C'est peut-être mon
double, meilleur. Cette "Autre"... Je ne sais pas. En tous les cas,
c'est une présence amie. Voilà pourquoi
même si tout me semble sans espoir, je continuerai
d'être en quête de quelque chose... De l'innocence
retrouvée, peut-être. Mais je n'aurais jamais
envie de me suicider.
France Soir :
Finalement, vous vous accommodez rudement bien de vos peurs et de vos
névroses. Quelle qualité vous manque ?
Mylène Farmer : J'aimerais être
profondément généreuse.