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Mylène Farmer - Interview - France Soir - 13 avril 1991



  • Date
    13 avril 1991
  • Média / Presse
    France Soir
  • Interview par
    Monique Prevot
  • Fichiers
    Mylène Farmer France Soir 13 avril 1991
  • Catégories interviews



France Soir : Virage à 180 ° ? Plus tout à fait la même ni tout à fait une autre ? Aussi désenchantée qu'elle veut bien nous le faire croire ?
Mylène Farmer : Disons que je me sens plus douée pour flotter dans le chaos que pour nager dans l'éventualité des lendemains qui chantent. Toujours ce vieux sentiment d'échec qui me poursuit. Et je ne tiens pas à ce qu'il s'en aille. J'aurais trop peur de ne plus rien avoir à dire. Mais ce qui a changé, c'est de ne plus avoir envie de m'appitoyer sur moi-même et de régler de vieux comptes. En fait, ces images (dans le clip) d'enfants meurtris que j'incite à s'évader de prison pour se retrouver dans une immensité effroyablement vide, c'est bouleversant mais pas triste. Finalement, c'est beau comme le romantisme. Mieux vaut la liberté, quitte à s'apercevoir qu'elle est vaine, plutôt que la condition de brimés et de mutilés.


France Soir : A propos de mutilation, que s'est-il passé avec Agnus Dei ("De mutilation / En convulsion / Te voir ici / Quelle hérésie / Les bras m'en tombent") ? Vous avez vu Jésus ?
Mylène Farmer : J'ai eu envie de parler de mutilation, et puis l'association Agnus Dei est venue toute seule. Mais Dieu, je ne connais pas. Peut-être que c'est ça, ma mutilation.


France Soir : Et les culbutes en tous sens, les hymnes à l'amour recto-verso ? Jetés aux oubliettes de l'ancienne Mylène ?
Mylène Farmer : J'ai besoin de choses moins tapageuses. La nouvelle Mylène, l'autre, enfin celle vers qui je vais... (Hésitation. Silence. Obstination à trouver le juste compromis, et haussement d'épaules désarmé) Au fond, je suis toujours la même. C'est la forme qui change. Je suis beaucoup plus impudique dans cet album que dans le précédent. Le sexe, c'était le rempart. Parler de ce que je ressens dans mon cœur et dans mon âme, c'est de la mise à nu.


France Soir : Une façon de voir que ne partageront peut-être pas les kids qui se reconnaissaient en vous et se sentaient enfin compris et déculpabilisés.
Mylène Farmer : (Candide) Mais pourquoi ? Puisque ce sont les même névroses qui me mènent mais traduites autrement. Le pire, c'est que plus les choses semblent s'éclaircir pour moi, plus je me sens envahie de confusion. Avec la scène, j'entrevoyais la délivrance. Bercy fut quelque chose de magique et de prodigieux. On me disait, à présent que tu as connu ça, tu n'as plus le droit de douter. Tu passes à autre chose. Mais cette nourriture (d'ordre spirituel même, qui sait ?), dès qu'on ne l'a plus, on replonge.


France Soir : Encore plantée par Dieu, comme dans "Je t'aime Mélancolie". Mine de rien, vous en parlez beaucoup de cet inconnu. Fascination du sacré au moment où la récupération est à la mode ?
Mylène Farmer : (Parfaitement digne et calme). C'est une fascination que j'ai depuis toujours. Justement parce que je me sens coupable et impure. Alors, je choisis d'être iconoclaste. Ou de croire qu'un ange passe (sa chanson L'autre). L'ange, c'est quelqu'un de plus proche. Quand je suis seule, au plus profond d'un spleen, je sais qu'il est là. C'est peut-être mon double, meilleur. Cette "Autre"... Je ne sais pas. En tous les cas, c'est une présence amie. Voilà pourquoi même si tout me semble sans espoir, je continuerai d'être en quête de quelque chose... De l'innocence retrouvée, peut-être. Mais je n'aurais jamais envie de me suicider.


France Soir : Finalement, vous vous accommodez rudement bien de vos peurs et de vos névroses. Quelle qualité vous manque ?
Mylène Farmer : J'aimerais être profondément généreuse.

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