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Mylène Farmer - Interview - Jeune et Jolie- Avril, mai, juin 1996



  • Date
    Avril / Mai / Juin 1996
  • Média / Presse
    Jeune et Jolie
  • Interview par
    Isabelle Aithnard
  • Fichiers
    Mylène Farmer Presse Jeune et Jolie N°106 Mars 1996 Mylène Farmer Presse Jeune et Jolie N°106 Mars 1996  Mylène Farmer Presse Jeune et Jolie N°106 Mars 1996  Mylène Farmer Presse Jeune et Jolie Mai 1996  Mylène Farmer Presse 1996 Jeune et Jolie N°108   Mylène Farmer Presse 1996 Jeune et Jolie N°108
  • Catégories interviews



Jeune et Jolie : Vous êtes plutôt timide et solitaire, chanter vous aide-t-il à surmonter ces états ?    
Mylène Farmer : Oui, et l'écriture davantage. Quant à la solitude, c'est une chose que j'essaie de bannir aujourd'hui. J'aime désormais l'idée du dialogue et de la rencontre. J'aime probablement donner plus aussi puisque le dialogue est une forme de don.


Quelle est l'origine de cette métamorphose ?
J'ai l'impression d'avoir vécu une autre naissance. Je me dis que j'ai eu de la chance soit parce que la vie me l'a donnée, soit parce que j'ai eu le courage ou l'intérêt d'aller vers autre chose que ce vers quoi je tendais. Je ne sais si c'est la Californie, mais c'est ce voyage et cette rupture avec une vie. Je parlerais plutôt de perte d'identité pour retrouver ma véritable identité. Je m'essoufflais et j'ai eu besoin de me reconstruire.


Comment vous êtes-vous reconstruite ?
Grâce à la liberté tout simplement, et aux rencontres. J'ai pu me déployer et avancer sans être regardée, parce que lorsqu'on n'a plus le désir d'être regardée, il faut s'échapper. Sinon c'est une prison et une vraie névrose. J'avais envie de respirer et de vivre des choses au quotidien qui sont très banales.


Qu'acceptez-vous que vous refusiez auparavant ?
J'ai accepté - même si ça résonne de façon un peu pompeuse - l'idée de vivre, l'idée de la joie et des plaisirs simples. Ce sont des choses que je n'avais jamais envisagées. Peut-être ce métier m'a-t-il enfermée en me confortant dans une nature plutôt tournée vers l'isolement. Le voyage en Californie m'a beaucoup aidée. Le fait de partir seule, donc l'idée du danger, m'a fait ouvrir les bras pour recevoir et découvrir. C'est nouveau pour moi.


On vous imagine mal en Californie, vous n'êtes ni très show-biz, ni très cocotiers-plages dorées-corps bronzé?
C'est pour cela que ça aurait pu être ailleurs. L'idée de vacances, de soleil et de palmiers est une chose que je n'envisage pas, même si je reconnais, maintenant, que le soleil peut être parfois agréable. J'avais vraiment besoin de larges espaces et je connaissais quelques personnes là-bas. J'y allais aussi pour les studios et les musiciens. La Californie m'a offert une qualité de vie et de liberté que je ne connaissais pas.


Quel regard portez-vous sur vous ?
Je ne sais pas bien. Ce doit être diablement personnel pour que je ne puisse pas y répondre. Pas très tendre, au fond, si ce n'est qu'il y a l'autre moi qui regarde et dit: "Ça a tenu le coup."  Physiquement, je me suis toujours trouvée trop maigre. Je n'ai jamais employé le mot mince, mais maigre!  Ça m'a toujours hantée et continue de me hanter. J'aime plutôt la femme qui a des formes. Et puis ma foi, vous voulez vraiment qu'on parle de choses physiques (rires) ?  Je n'aime pas mon nez, je n'aime pas... Oh, je sais pas !


Vous mangez, au moins ?
J'ai l'impression de manger beaucoup parce que je mange à n'importe quelle heure, mais c'est plus une façon de picorer qui reste très anarchique. J'aime davantage le salé aujourd'hui, que le sucré, et j'ai appris à apprécier le vin. Je ne mange pas de viande, par goût et parce que j'aime de moins en moins ce qu'on fait aux animaux. J'aime les féculents, je pourrais manger des pâtes tous les jours ! On dit que je suis difficile, j'ai l'impression d'être très facile puisque j'aime les aliments de base et pas forcément les choses compliquées ! Maintenant, peut-être est-il difficile de me nourrir ! (rires)


Est-ce parce que vous n'aimez pas votre corps que vous vous êtes souvent déguisée ?
J'aime me déguiser, ce qui n'implique pas forcément la notion de mensonge, même si ça en fait aussi partie. L'idée du changement, de la pirouette, m'intéressait beaucoup. C'était me travestir et garder ma personnalité tout en montrant d'autres facettes. Il y a quelque chose de très ludique, sans parler des peurs qu'on peut avoir, ni des mécontentements de soi. Ces choses-là m'ont beaucoup aidée.


Est-ce que vous vous trouvez belle ?
Je vais vous dire, j'espère.  Et je tiens à ce "j'espère".  Je pense être belle à l'intérieur, maintenant, c'est sans prétention aucune, sans narcissisme. Je pense n'avoir jamais fait sciemment de mal à quelqu'un, et plus je vieillis plus je pense à l'autre.


Quel constat faites-vous sur Mylène Farmer ?
Je ne crois pas faire ce genre d'exercice, c'est peut-être pour ça que je n'arrive pas à répondre. Ça reste toujours un combat. L'idée de lutte et à la fois de détachement, mais pas au sens négatif. Je sors toujours très peu parce que, dans le fond, j'ai toujours craint l'exposition, l'extérieur, l'excès... On en revient toujours au regard de l'autre.


Ce regard, vous l'avez attisé en cultivant un look toujours très original...
La mode est une chose très importante dans ma vie. J'aime les couleurs, j'aime m'habiller et me changer autant de fois que je le veux. J'aime penser que le vêtement et l'humeur ont quelque chose à voir ensemble. Je n'ai jamais rejeté l'idée de séduire, même si je ne saurais préciser quelle est ma séduction. L'idée de plaire est importante.


Cela explique les photos très sensuelles du CD ?
Le choix d'Herb Ritts n'était pas innocent. Je savais qu'il pouvait m'emmener vers une certaine sensualité sans me donner l'impression d'être dénudée. Peut-être y a-t-il aussi le mot FEMME qui me fait moins peur et que j'accepte totalement. Ces photos sont peut-être plus femme.


Vous mettez même des jeans !
Je m'autorise des silhouettes qu'avant je refusais, ça fait partie de cette rupture, de cette renaissance. C'est difficile pour moi de vous dire le pourquoi du comment, si ce n'est que ça fait partie d'un tout. Le talon, par exemple, est une chose que je n'avais jamais abordée et dont je ne peux plus me passer. C'est clinique, dans un sens ou dans l'autre.


Accepter votre féminité veut-il dire que vous envisagez d'être mère ?
J'y pense probablement. Oui. En tout cas, il y a une réelle et profonde envie, alors qu'avant l'idée de la prolongation de moi-même était impensable. Je l'accepte aujourd'hui comme une chose évidente : rien ne ressemble au fait d'avoir un enfant.


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La beauté :
La beauté, c'est la générosité. Je trouve belle Marie de Hennezel, auteur de La mort intime. C'est quelqu'un qui irradie et dégage quelque chose d'étonnant. Quant à moi, je crois sans narcissisme ni prétention, être belle à l'intérieur dans le sens où je pense n'avoir jamais fait de mal sciemment à quelqu'un.


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Quelle est votre définition de l'amour ?
L'envol. C'est vrai que, dans le fond, si on me demandait sous la torture quelle est la chose la plus essentielle, c'est cette chose que je demanderais. Ce ne serait ni mon métier, ni la reconnaissance, mais l'amour. L'idée du partage.


Existe-t-il des preuves d'amour ?
Oh oui, de multiples! Dialoguer, s'ouvrir, s'abandonner, écouter, sont de véritables preuves. Tout ce qui va vers l'autre, pas nécessairement pour revenir vers soi, mais simplement pour donner, est un acte d'amour.


Quels sont votre film et votre chanson d'amour préférés ?
Si je devais emporter une seule chanson sur une île, ce serait Don't give up, le duo de Kate Bush et Peter Gabriel. Et bizarrement, je pense à d'autres titres qui ne sont pas nécessairement des chansons d'amour comme des titres de Neil Young qui a, par ailleurs, bien chanté l'amour. Pour le film, j'ai été profondément bouleversée par "Je t'aime, moi non plus". Ou plutôt, non, c'est un lapsus! Je voulais dire L'important, c'est d'aimer de Zulawski.


Êtes-vous jalouse ? Comment votre jalousie se manifeste-t-elle ?
Malheureusement, je pense l'être. Je pense être surtout possessive. Ce qui engendre et entraîne la jalousie. Ça se manifeste parfois par de la colère. Une colère intérieure surtout et parfois exprimée. Mais il vaut mieux l'exprimer (rires) que la garder pour soi.


À quoi voit-on que vous êtes amoureuse ?
Je souris (rires).


Et il semble que l'on vous voit beaucoup sourire, ces derniers temps !
NDLR: Mylène ne répond pas et esquisse un très très large sourire.


Que regardez-vous en premier chez un homme ?
Très honnêtement, je crois, ses mains et bien sûr son regard.


Et s'il fait moins 30 et qu'il a des moufles ?
Eh bien (rires), je lui retire ses moufles !


Y a-t-il des choses impardonnables en amour ?
Est-ce que je vais dire la trahison ? Sans doute. Et puis aussi l'irrespect.


Seriez-vous prête à faire des sacrifices en amour ?
(Sans hésitation.) Oui, bien sûr ! Là encore c'est compliqué. Donnez-moi des exemples!


L'homme de votre vie vous demande de tout abandonner pour le suivre au Pérou, que faites-vous ?
(Elle réfléchit longuement) J'aimerais dire oui. Et dans le fond, je vais vous dire non. J'aime passionnément la passion mais ma nature me pousse vers la raison; et là encore, ce sont deux notions qui viennent se percuter. Il y a des choses et des êtres que j'aime profondément ici, en tout cas dans ma vie d'aujourd'hui. Et cette idée de partir et de laisser un pays pour aller vers un autre... ma réponse est non ! En revanche, s'il est un sacrifice auquel on peut se plier, c'est d'essayer de s'oublier soi-même.


Quels sont vos mots d'amour favoris ?
Je ne sais pas si j'en ai. Je crois que le mot ne viendra pas parce que ce sera quelque chose de difficile pour moi. Ce sera plutôt un geste.


Ecrivez-vous des lettres d'amour aux personnes que vous aimez ?
Non. Mais je me souviens (ou du moins on me l'a rappelé car j'avais oublié) d'une petite histoire à propos de lettre d'amour. À l'école, j'avais tenté d'apprendre le russe. Et je n'avais retenu que trois ou quatre formules dont "Je t'aime" que j'ai écrit et remis à quelqu'un.


Le mariage est-il la plus belle expression de l'amour ?
Non, en aucun cas. Je pense que c'est même plutôt embarrassant parfois parce qu'on vous emprisonne sur un papier et que le sentiment n'est pas emprisonnable. C'est quelque chose que je ne considère pas comme très utile et qui, moi, m'emprisonnerait. J'aime l'idée de l'anneau passé au doigt et, en même temps je n'aime pas ce que ça représente. Là, encore, c'est conflictuel.


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