Jeune et Jolie : Vous
êtes
plutôt timide et solitaire, chanter vous aide-t-il
à surmonter ces états ?
Mylène Farmer : Oui, et l'écriture davantage.
Quant à
la solitude, c'est une chose que j'essaie de bannir
aujourd'hui. J'aime désormais
l'idée du dialogue et de la rencontre.
J'aime probablement donner plus aussi puisque le dialogue est
une forme de don.
Quelle est
l'origine de cette métamorphose ?
J'ai l'impression d'avoir vécu
une autre naissance. Je me dis que j'ai eu de la chance soit
parce que la vie me l'a donnée, soit parce que
j'ai eu le courage ou
l'intérêt d'aller vers autre
chose que ce vers quoi je tendais. Je ne sais si c'est la
Californie, mais c'est ce voyage et cette rupture avec une
vie. Je parlerais plutôt de perte
d'identité pour retrouver ma véritable
identité. Je m'essoufflais et j'ai eu
besoin de me reconstruire.
Comment vous
êtes-vous reconstruite ?
Grâce à la liberté tout simplement, et
aux rencontres. J'ai pu me déployer et avancer
sans être regardée, parce que lorsqu'on
n'a plus le désir d'être
regardée, il faut s'échapper. Sinon
c'est une prison et une vraie névrose.
J'avais envie de respirer et de vivre des choses au quotidien
qui sont très banales.
Qu'acceptez-vous
que vous refusiez auparavant ?
J'ai accepté - même si ça
résonne de façon un peu pompeuse -
l'idée de vivre, l'idée de la
joie et des plaisirs simples. Ce sont des choses que je
n'avais jamais envisagées. Peut-être ce
métier m'a-t-il enfermée en me
confortant dans une nature plutôt tournée vers
l'isolement. Le voyage en Californie m'a beaucoup
aidée. Le fait de partir seule, donc
l'idée du danger, m'a fait ouvrir les
bras pour recevoir et découvrir. C'est nouveau
pour moi.
On vous imagine mal
en Californie, vous n'êtes ni très
show-biz, ni très cocotiers-plages dorées-corps
bronzé?
C'est pour cela que
ça aurait pu être ailleurs.
L'idée de vacances, de soleil et de palmiers est
une chose que je n'envisage pas, même si je
reconnais, maintenant, que le soleil peut être parfois
agréable. J'avais vraiment besoin de larges
espaces et je connaissais quelques personnes là-bas.
J'y allais aussi pour les studios et les musiciens. La
Californie m'a offert une qualité de vie et de
liberté que je ne connaissais pas.
Quel regard
portez-vous sur vous ?
Je ne sais pas bien. Ce doit être diablement personnel pour
que je ne puisse pas y répondre. Pas très tendre,
au fond, si ce n'est qu'il y a l'autre
moi qui regarde et dit: "Ça a tenu le coup."
Physiquement, je me suis toujours trouvée trop
maigre. Je n'ai jamais employé le
mot mince, mais maigre! Ça
m'a toujours hantée et continue de me hanter.
J'aime plutôt la femme qui a des formes. Et puis ma
foi, vous voulez vraiment qu'on parle de choses physiques
(rires) ? Je n'aime pas mon nez, je
n'aime pas... Oh, je sais pas !
Vous mangez, au
moins ?
J'ai l'impression de manger beaucoup parce que je
mange à n'importe quelle heure, mais
c'est plus une façon de picorer qui reste
très anarchique. J'aime davantage le
salé aujourd'hui, que le sucré, et
j'ai appris à apprécier le vin. Je ne
mange pas de viande, par goût et parce que j'aime
de moins en moins ce qu'on fait aux animaux. J'aime
les féculents, je pourrais manger des pâtes tous
les jours ! On dit que je suis difficile, j'ai
l'impression d'être très
facile puisque j'aime les aliments de base et pas
forcément les choses compliquées ! Maintenant,
peut-être est-il difficile de me nourrir ! (rires)
Est-ce parce que
vous n'aimez pas votre corps que vous vous êtes
souvent déguisée ?
J'aime me déguiser, ce qui n'implique
pas forcément la notion de mensonge, même si
ça en fait aussi partie. L'idée du
changement, de la pirouette, m'intéressait
beaucoup. C'était me travestir et garder ma
personnalité tout en montrant d'autres facettes.
Il y a quelque chose de très ludique, sans parler des peurs
qu'on peut avoir, ni des mécontentements de soi.
Ces choses-là m'ont beaucoup aidée.
Est-ce que vous
vous trouvez belle ?
Je vais vous dire, j'espère. Et je tiens
à ce "j'espère". Je pense
être belle à l'intérieur,
maintenant, c'est sans prétention aucune, sans
narcissisme. Je pense n'avoir jamais fait sciemment de mal
à quelqu'un, et plus je vieillis plus je pense
à l'autre.
Quel constat
faites-vous sur Mylène Farmer ?
Je ne crois pas faire ce genre d'exercice, c'est
peut-être pour ça que je n'arrive pas
à répondre. Ça reste toujours un
combat. L'idée de lutte et à la fois de
détachement, mais pas au sens négatif. Je sors
toujours très peu parce que, dans le fond, j'ai
toujours craint l'exposition,
l'extérieur,
l'excès... On en revient toujours au
regard de l'autre.
Ce regard, vous
l'avez attisé en cultivant un look toujours
très original...
La mode est une chose très importante dans ma vie.
J'aime les couleurs, j'aime m'habiller et
me changer autant de fois que je le veux. J'aime penser que
le vêtement et l'humeur ont quelque chose
à voir ensemble. Je n'ai jamais rejeté
l'idée de séduire, même si je
ne saurais préciser quelle est ma séduction.
L'idée de plaire est importante.
Cela explique les
photos très sensuelles du CD ?
Le choix d'Herb Ritts n'était pas
innocent. Je savais qu'il pouvait m'emmener vers
une certaine sensualité sans me donner
l'impression d'être
dénudée. Peut-être y a-t-il aussi le
mot FEMME qui me fait moins peur et que j'accepte totalement.
Ces photos sont peut-être plus femme.
Vous mettez
même des jeans !
Je m'autorise des silhouettes qu'avant je refusais,
ça fait partie de cette rupture, de cette renaissance.
C'est difficile pour moi de vous dire le pourquoi du comment,
si ce n'est que ça fait partie d'un
tout. Le talon, par exemple, est une chose que je n'avais
jamais abordée et dont je ne peux plus me passer.
C'est clinique, dans un sens ou dans l'autre.
Accepter votre
féminité veut-il dire que vous envisagez
d'être mère ?
J'y pense probablement. Oui. En tout cas, il y a une
réelle et profonde envie, alors qu'avant
l'idée de la prolongation de moi-même
était impensable. Je l'accepte
aujourd'hui comme une chose évidente : rien ne
ressemble au fait d'avoir un enfant.
La beauté
:
La beauté, c'est la
générosité. Je trouve belle Marie de
Hennezel, auteur de La
mort intime. C'est quelqu'un qui irradie et
dégage quelque chose d'étonnant. Quant
à moi, je crois sans narcissisme ni prétention,
être belle à l'intérieur dans le sens
où je pense n'avoir jamais fait de mal sciemment
à quelqu'un.
Quelle est votre
définition de l'amour ?
L'envol. C'est vrai que, dans le fond, si on me
demandait sous la torture quelle est la chose la plus essentielle,
c'est cette chose que je demanderais. Ce ne serait ni mon
métier, ni la reconnaissance, mais l'amour.
L'idée du partage.
Existe-t-il des
preuves d'amour ?
Oh oui, de multiples! Dialoguer, s'ouvrir,
s'abandonner, écouter, sont de
véritables preuves. Tout ce qui va vers l'autre,
pas nécessairement pour revenir vers soi, mais simplement
pour donner, est un acte d'amour.
Quels sont votre
film et votre chanson d'amour
préférés ?
Si je devais emporter une seule chanson sur une île, ce
serait Don't give up, le duo de Kate Bush et
Peter Gabriel.
Et bizarrement, je pense à d'autres titres qui ne
sont pas nécessairement des chansons d'amour comme
des titres de Neil Young qui a, par ailleurs, bien chanté
l'amour. Pour le film, j'ai
été profondément
bouleversée par "Je t'aime, moi non plus". Ou
plutôt, non, c'est un lapsus! Je voulais dire
L'important, c'est d'aimer de Zulawski.
Êtes-vous
jalouse ? Comment votre jalousie se manifeste-t-elle ?
Malheureusement, je pense l'être. Je pense
être surtout possessive. Ce qui engendre et
entraîne la jalousie. Ça se manifeste parfois par
de la colère. Une colère intérieure
surtout et parfois exprimée. Mais il vaut mieux
l'exprimer (rires) que la garder pour soi.
À quoi
voit-on que vous êtes amoureuse ?
Je souris (rires).
Et il semble que
l'on vous voit beaucoup sourire, ces derniers temps !
NDLR: Mylène ne répond pas et esquisse un
très très large sourire.
Que regardez-vous
en premier chez un homme ?
Très honnêtement, je crois, ses mains et bien
sûr son regard.
Et s'il
fait moins 30 et qu'il a des moufles ?
Eh bien (rires), je lui retire ses moufles !
Y a-t-il des choses
impardonnables en amour ?
Est-ce que je vais dire la trahison ? Sans doute. Et puis aussi
l'irrespect.
Seriez-vous
prête à faire des sacrifices en amour ?
(Sans hésitation.) Oui, bien sûr ! Là
encore c'est compliqué. Donnez-moi des exemples!
L'homme
de votre vie vous demande de tout abandonner pour le suivre au
Pérou, que faites-vous ?
(Elle réfléchit longuement) J'aimerais
dire oui. Et dans le fond, je vais vous dire non. J'aime
passionnément la passion mais ma nature me pousse vers la
raison; et là encore, ce sont deux notions qui viennent se
percuter. Il y a des choses et des êtres que j'aime
profondément ici, en tout cas dans ma vie
d'aujourd'hui. Et cette idée de partir
et de laisser un pays pour aller vers un autre... ma réponse
est non ! En revanche, s'il est un sacrifice auquel on peut
se plier, c'est d'essayer de s'oublier
soi-même.
Quels sont vos mots
d'amour favoris ?
Je ne sais pas si j'en ai. Je crois que le mot ne viendra pas
parce que ce sera quelque chose de difficile pour moi. Ce sera
plutôt un geste.
Ecrivez-vous des
lettres d'amour aux personnes que vous aimez ?
Non. Mais je me souviens (ou du moins on me l'a
rappelé car j'avais oublié)
d'une petite histoire à propos de lettre
d'amour. À l'école,
j'avais tenté d'apprendre le russe. Et
je n'avais retenu que trois ou quatre formules dont "Je
t'aime" que j'ai écrit et remis
à quelqu'un.
Le mariage est-il
la plus belle expression de l'amour ?
Non, en aucun cas. Je pense que c'est même
plutôt embarrassant parfois parce qu'on vous
emprisonne sur un papier et que le sentiment n'est pas
emprisonnable. C'est quelque chose que je ne
considère pas comme très utile et qui, moi,
m'emprisonnerait. J'aime
l'idée de l'anneau passé au
doigt et, en même temps je n'aime pas ce que
ça représente. Là, encore,
c'est conflictuel.