OK : Que vous a appris la
scène sur vous-même et sur votre public ?
Mylène Farmer : C'est encore un peu confus. Mais on est
forcément transformée quand on fait de la
scène. Écrire était très
important pour moi. Mettre maintenant un visage sur mon public
m'intéresse et m'impressionne. Tout à coup, il y
a une correspondance.
OK : Votre public
vous a-t-il surprise ?
Mylène Farmer : Ce qui m'a surprise, c'est la chaleur et la
capacité d'émotion. Je m'aperçois
qu'il est aussi difficile pour un public que pour soi-même
d'aller au-devant de ses émotions. Il s'est
laissé aller comme moi je me suis laissée aller
sur scène.
OK : En quoi votre
génération est-elle
désenchantée ?
Mylène Farmer : Je me considère comme faisant
partie d'une telle génération. Mais il s'agit ici
d'un portrait narcissique. Cela n'engage que moi. Je dirais que cette
génération n'a plus grand-chose à
perdre, n'a plus grand espoir. Ou l'on se révolte, ou l'on
pousse un cri. En tout cas, je ne crois pas qu'il y ait un sens
pessimiste, à savoir qu'aujourd'hui on a conscience des
choses et de ses propres désillusions. On les assume
finalement.
OK : Au fond,
chaque
génération peut dire la même chose. Il
y a eu la génération perdue, maintenant la
désenchantée. Mais où va-t-on ?
Mylène Farmer : (Rires) Nous courons à notre
perte. Etre désenchanté est pire
qu'être perdu.
OK : Alors vous
êtes toujours désespérée ?
Mylène Farmer : Le désespoir fait
partie
de mes thèmes de prédilection, comme la
tristesse, la
mélancolie. On ne change pas. Je pense que c'est encore pire
aujourd'hui, mais géré et ressenti d'une autre
façon. J'ai un regard un peu différent sur la
difficulté de vivre.
OK : Qui a
à voir avec celle de Gainsbourg ?
Mylène Farmer : Par rapport à ce qu'il a
écrit, oui. Je crois que la
désespérance est commune à tout le
monde. Après ce sont les mots qui changent.
OK : Vous avez eu
beaucoup de peine lorsqu'il est parti ?
Mylène Farmer : Oh oui ! C'est triste pour l'homme, sa
famille et égoïstement pour nous. Parce qu'il
était infiniment doué. Je l'aimais
réellement. Comme interprète aussi. On met
toujours en avant les albums qu'il a fait pour les autres. J'adorais sa
première période Poinçonneur des
Lilas et ses albums conceptuels très beaux.
OK : Qui est
"L'autre" ?
Mylène Farmer : Je puis dire que c'est la même
personne, le même souffle, le même compositeur.
Qu'il y a un avant scène et un après
scène. Que nous avons passé quatre mois en studio.
OK : Pourquoi un
duo, Regrets,
avec Jean-Louis Murat ?
Mylène Farmer : Emmener quelqu'un dans mon univers n'est pas
toujours facile. Mais quelle belle rencontre ! Pour moi, c'est la
personne qui vient après Gainsbourg. Nous sommes
très proches bien que nous ayons des lieux de naissance
différents. Lui parle de nature vivante, moi de nature morte
ou d'absence de nature. En cela c'était
intéressant.
OK : Toujours
fascinée par les miroirs ?
Mylène Farmer : Ils m'épouvantent toujours
autant.
Ils deviennent de plus en plus cruels. J'en ai beaucoup...
OK : Pourquoi avoir
choisi la Hongrie pour votre clip ?
Mylène Farmer : La qualité de travail des
Hongrois
est formidable. C'est moins cher là-bas, on peut donc
envisager des choses grandioses. Le dépaysement est total.
Enfin, on désirait 100 enfants jeunes et
déjà "habités". J'avoue qu'il n'y a
pas mieux que les pays de l'Est pour ça. Ils portent une
violence en eux très étonnante.
OK : La Fille de
Ryan (une histoire d'amour impossible entre une Irlandaise
et un
officier anglais) est-il toujours votre film
préféré ?
Mylène Farmer : Je m'autorise à en voir d'autres.
Mais il fera partie des films que j'encenserai toujours. J'en ai vu un
magnifique récemment : Danse avec les Loups.
OK : Un livre sur
vous (Ainsi soit-elle
de Philippe Séguy) vient de sortir.
Comment le ressentez-vous ?
Mylène Farmer : Par pudeur, je dirais que cette
idée me dérange. Cette personne a eu le souhait
de réaliser ce livre. Je n'avais pas le droit de le lui
interdire. Je sais qu'il s'agit de quelqu'un de grande
qualité humaine. Malgré tout, je me sens absente
de cela. C'est aussi en réaction à un
précédent livre, qui, lui, était mal
fait. On ne m'avait alors rien demandé, j'ai
trouvé inadmissible que l'on se serve de mon image ainsi. Au
moins, celui-là est beau. Le reste ne m'appartient pas.
OK : Quelles sont
vos grandes craintes actuelles ?
Mylène Farmer : La mort des choses, plus que la mienne. La
mort des sentiments, la déchéance physique, la
maladie.
OK : A ce propos,
pour en revenir à la génération dont
vous faites partie, vous sentez-vous concernée par le sida ?
Mylène Farmer : C'est tragique parce qu'on ne vit plus.
Cette
association amour- mort mise en avant à ce
point-là est terrifiante. On peut y voir le symbole de
beaucoup de choses. La maladie est tellement monstrueuse.