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Mylène Farmer - Interview - 0K - 25 janvier 1988



  • Date
    25 janvier 1988
  • Média / Presse
    OK ! (N°628)
  • Interview par
    -
  • Fichiers
    Mylène Farmer Presse OK 25 janvier 1988   Mylène Farmer Presse OK 25 janvier 1988
  • Catégories interviews



Mon caractère - L'envie d'être à part
Quelque part, j'étais peut-être un peu comme l'héroïne de ma dernière chanson : "Sans contrefaçon... Je suis un garçon...". Je n'étais pas un garçon manqué mais une fille manquée ! Depuis ma plus tendre enfance, je n'ai jamais aimé jouer à la poupée, à la dînette... J'ai toujours préféré la compagnie et les jeux des garçons. Certainement cela a dû influencer mon caractère... Jusqu'à l'âge de dix ans, j'ai vécu au Canada une enfance heureuse. J'étais très ouverte, bavarde... Et mon arrivée en France a été un véritable choc. J'ai eu du mal à m'intégrer à l'époque. Mais je n'ai pas souffert de cette période de transition qu'on appelle l'adolescence, disons que j'ai commencé à exister réellement il y a peu de temps, quand j'ai commencé à me réaliser dans le métier que j'ai choisi. Avant, j'étais mal à l'aise. Sûrement un peu déracinée... En fait, je n'avais qu'une envie déjà : être à part, être la personne élue. Ce que je ne supportais pas, adolescente, c'est d'être perdue parmi 30 000 fourmis. Et c'est justement ce qu'on vous demande lorsqu'on est adolescent : ne pas être marginal, bien se noyer dans la masse. De cela, oui j'ai souffert !


Mes études - Incolores et inodores
Je me souviens d'une chose étonnante : j'ai toujours refusé d'arriver en retard au cours. Hiver comme été, je me retrouvais seule à 7h30 devant la porte alors que nous ne commencions qu'à 8h... En revanche, je ne portais aucun intérêt quant à la suite de la journée. C'est un paradoxe bizarre que je n'ai jamais pu m'expliquer. Peut-être est-ce dû à mon signe zodiacal : Vierge ascendant Vierge, cause de conflit, de dualité ? En dehors de ça, j'ai vécu une scolarité que je qualifierais d'incolore, d'inodore. J'adorais le français, mais hélas! il m'a été enseigné par des profs qui le détestaient. J'aimais bien aussi le dessin, le théâtre et les sciences naturelles. Quant aux maths, j'étais archi nulle. En fait, mon esprit anti-cartésien ne pouvait pas s'accommoder de la logique mathématique.


Mes parents - Je leur dis : "Merci"
J'ai eu la chance d'avoir des parents intelligents, ouverts, généreux dans l'âme. Si je voulais leur parler, je pouvais le faire sans problème, mais mon caractère d'adolescente introvertie me poussait plutôt à me taire. En fait, à part notre "exode" difficile pour moi au début, j'ai vécu dans un univers plutôt agréable, entourée de frères et de soeurs, comme la plupart des autres familles. En tout cas, je ne remercierai jamais assez mes parents d'avoir su régler parfaitement le problème de l'argent de poche. J'en avais un peu, mais pas trop. Dans des limites raisonnables qui font qu'on apprécie toujours les choses, qu'il vous reste les désirs. J'avoue que j'avais été choquée par les sommes exorbitantes que recevaient certains élèves.


Mon look - Maman n'avait pas tort
Ma mère a toujours adoré s'habiller et de ce fait elle m'a forcément influencée, je m'en inspirais plus ou moins, fatalement. Mais à 14-15 ans, le budget alors était limité en ce qui concerne les vêtements, aussi je recherchais avant tout à bien marier les couleurs plutôt que de trouver des formes originales. J'étais déjà définitivement pantalons et je me souviens en particulier d'une tenue bordeaux - j'ai craqué un moment pour cette couleur - pull et pantalons assortis que je trouvais du plus bel effet ! J'avais les cheveux très courts et je n'ai jamais eu les cheveux plus longs que ma coupe actuelle. Et jusqu'à Maman à tort ils étaient bruns. Ce n'est qu'à partir de Libertine qu'ils sont devenus roux.


Mes loisirs - L'équitation, déjà...
La lecture, c'est venu assez tard. Non, vers 15 ans, j'étais surtout très dessin. Et puis déjà une passion pour les animaux et les zoos. J'avais essayé le piano, la danse classique (une seule séance, car à la fin la tête me tournait), puis j'ai tenté l'équitation et là mes parents ont dû se dire : "Encore un de ses caprices !". Maman a vraiment eu tort car là, j'ai vraiment craqué. Au point de monter trois fois par semaine, de partir en stage l'été... Bien sûr, il y a eu aussi la musique. A la maison on était plutôt musique classique et côté variétés c'était Serge Reggiani, Gréco, Brel, Brassens, Barbara... Serge Reggiani, j'ai beaucoup aimé, je suis même allée le voir deux fois sur scène. Et puis, il y a eu Dutronc. Je n'ose pas dire mon idole, car j'ai horreur de ce mot, mais comme je n'en vois pas d'autres... J'avais tous ses albums, des petits joyaux, musiques et textes sublimes. Et quand il me restait un peu de temps, j'allais au cinéma. J'ai toujours été fascinée par le cinéma, par l'image. Et ses stars mythiques : Marilyn et James Dean, bien sûr mais aussi et surtout, Greta Garbo. Une comédienne, un personnage et un destin hors du commun...


Mes premières amours - Elles étaient impossibles et platoniques...
C'est venu vraiment très tard ! Adolescente, je n'étais pas du tout branchée boums par exemple. J'y suis bien allée deux-trois fois, pour voir, mais c'était pas mon truc. Malaise. Plutôt que des amours, j'ai eu des intimités intellectuelles avec des garçons, des relations platoniques, évidemment sans contact physique... Mais mes copines, elles, avaient plein de flirts et, bizarrement, j'en ai souffert. Quelque part, je jalousais leur succès auprès des garçons. Encore un paradoxe. Mais j'avais trop d'appréhension pour franchir le pas... En fait, à l'époque je "fantasmais" sur des amours impossibles avec tel ou tel comédien. Quelque part je devais trouver ça moins difficile qu'une idylle "en chair et en os"...


En conclusion - La crise est dans nos vies
Nous sommes entrés, à mon avis, dans une ère de désintéressement. On se dit que la vie est difficile d'entrée de jeu (et c'est vrai qu'elle l'est, difficile), d'entrée de jeu aussi il y a le chômage. Notre époque a perdu son âme. Nous vivons une crise bien plus grave que les problèmes boursiers. La vraie crise, elle est mentale, c'est dans nos têtes qu'elle se passe. Cela dit, je reste optimiste car en période de crise, il se passe toujours des choses qui font avancer le monde, un renouveau, un regain de création, d'énergies...