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Mylène Farmer - Interview - Paris Match - 02 décembre 2010



  • Date
    02 décembre 2010
  • Média / Presse
    Paris Match
  • Interview par
    Nathalie Rheims
  • Fichiers
    Mylène Farmer Presse Paris Match 02 décembre 2010  Mylène Farmer Presse Paris Match 02 décembre 2010  Mylène Farmer Presse Paris Match 02 décembre 2010 Mylène Farmer Presse Paris Match 02 décembre 2010  Mylène Farmer Presse Paris Match 02 décembre 2010
  • Catégories interviews



Paris Match. Tu n'as jamais été aussi belle et épanouie. As-tu des ­secrets de beauté ?
Mylène Farmer. La seule chose importante est d'aimer et d'être ­aimée. C'est bien la seule certitude que j'ai aujourd'hui. Et la beauté ­dépend du regard que l'on pose sur les gens. Quand ce regard est celui de l'être aimé ou tout simplement celui de la bienveillance, il agit comme un baume enchanteur. La chance qui m'est donnée de vivre en harmonie avec ce que je fais est alors mon secret de beauté, c'est un lien fragile que je m'efforce à la fois de remettre en cause et de protéger.


Qu'es-tu capable de faire aujourd'hui et que tu n'aurais pas pu faire hier ?
Affronter des regards quand j'entre dans un lieu public sans ­vouloir fuir l'endroit dans la fraction de seconde. Souffrir d'un manque de confiance en soi, d'une timidité qui vous fait parfois passer pour quelqu'un de distant, de froid, n'est pas un atout majeur pour faire un métier public. Pourtant, depuis longtemps déjà, je n'ai eu d'autre choix que de dépasser mes peurs, les surmonter, n'en être pas – ou plus – l'otage. Quand j'y pense, c'est d'une violence inouïe de dépasser ce handicap... Seules les personnes qui sont de vraies timides peuvent ­comprendre ce par quoi l'on passe pour y parvenir.


“Bleu noir” est le premier album que tu fais sans Laurent Boutonnat. Pourquoi t'es-tu éloignée de lui ?
Je ne me suis en aucun cas ­éloignée de lui. Après la tournée et les concerts au Stade de France, il s'opère une effrayante descente aux enfers malgré le succès, un vide sidéral, un manque. Vous recevez tant d'amour, de vibrations, autant de sensations qui vous donnent l'envie... d'écrire. Laurent a tout à fait compris mon besoin de créer. C'est aussi ça, la complicité. Nous nous retrouverons pour le prochain ­album.


As-tu conscience que cet album est plus sombre que les précédents ?
Non... pas vraiment... Cet ­album, comme son titre, “Bleu noir”, l'indique, passe de la lumière au sombre puis à l'obscurité. Ou l'inverse, je ne sais plus.


On te dit solitaire, voire recluse. ­Travailler avec une nouvelle équipe fut-il un travail compliqué ?
Je m'adapte à de nouvelles ­manières de travailler si tant est que l'on respecte ma “bulle”, mes ­silences, autant que je respecte moi-même l'autre. Je suis quelqu'un de solitaire. Mais j'ai aussi un grand ­besoin de l'autre et je réfute le terme “recluse”... Quand j'étouffe, je prends un train, un avion, et vais voir d'autres cieux... C'est une ­liberté, une chance inestimable de pouvoir voyager quand j'en ressens le désir ou la nécessité. Face à un paysage de neige, je suis émue. J'ai grandi au ­Canada, je suis certaine que cette ­attirance pour les paysages immaculés vient de là-bas. Le grand froid a un parfum très particulier, un son qui lui est propre. J'ai retrouvé cette même émotion quand je suis allée en Russie découvrir Saint-Pétersbourg, en plein hiver. Au bord de la Neva, ses canaux gelés... on guette Catherine II de Russie...


D'autres endroits que tu aimes ?
La Corse est mon refuge. Le jour venu, la tentation pourrait être la Toscane. M'apaiser devant des ­collines d'oliviers et de vignes...


Tes biographes écrivent les mêmes clichés sur toi. Qu'as-tu à cacher ?
Je n'ai pas de biographe, c'est certainement pourquoi ce sont les mêmes clichés.


Dans ce qui a été écrit à propos de toi, qu'est-ce qui t'a fait le plus ­sourire ?
J'ai entendu parler de bain de jus de tomate, qui m'aurait conduite à une “phobie attractive” du sang, et de lit-cercueil. Je crois que tous les fantasmes me font ­sourire quand il ne s'agit pas de mes proches ou de ma vie privée. Pourtant, quand on me rapporte les médisances d'un animateur de jeu télévisé, quant à mon prétendu play-back sur scène, je finis par me demander si je ne préfère pas l'histoire tout aussi fausse du jus de ­tomate. C'est ­impressionnant de voir à quel point certaines ­personnes se sentent grandies en dénigrant, en tentant de blesser... Il s'agit bien souvent de gens qui rêveraientd'une vie ­meilleure. Encore faut-il en être à la hauteur. Je crois à la vertu de la décence. La critique est nécessaire ; la grossièreté, inutile.


Es-tu obsédée par l'idée de laisser une trace de toi après ta mort ?
Obsédée, non. Le moment ­présent m'importe. Laisser une trace... dans le cœur de quelques personnes, j'espère que oui.


Qu'aimerais-tu que l'on dise de toi ?
“C'était une grande astronaute.”


Quel regard portes-tu sur la variété française ? Y a-t-il des artistes qui t'intéressent ?
J'ai découvert Stromae, ce jeune artiste vraiment original. J'aime beaucoup son titre “Alors on danse”, sa silhouette, son phrasé et son timbre de voix si particuliers. Il dit des choses graves sur un ton léger.


Pourquoi as-tu enregistré un duo avec Line Renaud ?
Je l'ai rencontrée lors d'un dîner et, comme chacun semble le dire, quand on croise le regard bleu de Line... une magie s'opère. C'est une femme belle, décalée et ­charmeuse. Je suis instinctive, le désir l'emporte dans ces moments-là. Son énergie ­vitale est impressionnante. Mais c'est aussi quelqu'un qui doute, c'est imperceptible mais touchant.


Tu navigues continuellement entre Eros et Thanatos. L'amour et la mort sont-ils tes deux seules sources d'inspiration ?
Il y a aussi la solitude. L'isolement. J'ai essayé la joie de vivre, mais ça n'a pas marché !


La politique t'intéresse-t-elle ? As-tu de l'estime pour ceux qui nous ­gouvernent ?
J'ai de l'estime pour le courage de tous ceux qui acceptent cette lourde responsabilité sans abuser de leur pouvoir.


Quelle est ton image idéale du couple ?
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre : l'intelligence complice.


Comment t'imagines-tu dans dix ans ?
Ailleurs...


Ta dernière tournée a été un triomphe, envisages-tu de remonter sur scène ?
Oui... au moins une dernière fois !


Pourrais-tu renoncer un jour à la chanson ? A la scène ?
Comment renoncer à ce et ceux qu'on aime ? Mais je vais devoir ­apprendre...


Lors de tes concerts, tu attaches une importance particulière aux ­créateurs de mode : recherches-tu de nouveaux talents, de nouvelles marques, de nouvelles inspirations ?
Quand il s'agit de préparer un spectacle, oui. Ce choix est toujours délicat. Il ne suffit pas de faire du “couture”, ce n'est pas un défilé
de mode. Le créateur doit être aussi ­capable de transposer les costumes pour une scène, qui devront s'intégrer aussi à un décor, à des ­lumières, à un univers afin de rendre le tout homogène. Il faut rencontrer alors des stylistes inspirés et qui ­acceptent de se fondre dans l'univers de l'artiste, afin que celui-ci ne disparaisse pas derrière le costume, justement, mais se sente comme dans un écrin... Je ne suis pas ­certaine que tous les créateurs de mode en soient capables, il faut beaucoup d'humilité...

http://www.parismatch.com



MYLENE en 10 questions

1. Ton livre de chevet ?
Tous les livres de Stefan Zweig... le dernier lu étant "La guérison par l'esprit", une réflexion sur les pouvoirs de l'esprit et le besoin vital de croire. C'est passionnant.

2. Ton film culte ?
Choix difficile... il y en a plus d'un... mais je vais choisir "L'important c'est d'aimer", d'Andrzej Zulawski. C'est sans doute l'un des films qui m'ont le plus troublée. Romy Schneider y est magnifique, sans fard, fragile, tragique.

3. Ton personnage préféré de l'Histoire ?
Padre Pio, un moine capucin qui a eu une vie extraordinaire. Il me fascine. Il a été canonisé en 2002, je crois... Durant sa vie, il a reçu les stigmates de la Passion du Christ, a dû affronter le diable... Ca me renvoie à quelque chose de profond chez moi: l'inexplicable, qui me bouleverse.

4. Une émission de télé que tu ne rates pas ?
"Un jour, un destin" parce que j'aime les histoires vraies, les biographies, les destins hors du commun. J'aime connaître l'histoire des gens tout simplement. Je trouve que tout y est remarquablement traité à travers des reconstitutions de vie qui évitent le piège facile du "jugement". Le fond comme la forme sont vraiment réussis et les sujets souvent passionnants, émouvants. J'aime aussi l'habillage de ces documentaires. Et puis rien n'est laissé au hasard. Cette finesse est rare dans le paysage audiovisuel. Et je regarde très souvent "Faites entrer l'accusé". Les faits divers m'ont toujours fascinée. C'est peut-être une forme de voyeurisme, même si je ne le ressens pas comme ça. Je suis saisie par l'horreur que m'inspirent ces criminels, mais aussi submergée par l'évidente compassion que j'ai pour les victimes et leurs proches. Qui peut penser un jour finir son destin si tragiquement ? L'horreur et la perversité sans limite de certains humains, parfois même sans remords, glacent le sang. Si cette émission m'intéresse, c'est parce que j'ai besoin de comprendre "l'inhumain".

5. La femme que tu pourrais prendre comme modèle ?
Une comtesse âgée et discrète qui vit non loin de chez moi, et recueille tous les chats errants. J'ai moi-même adopté il y a quelques années une chatte qui a élu domicile chez moi pour finir sa vie.

6. Ton idéal masculin ?
Jean Rochefort, un acteur unique, un homme d'une classe folle, un charme renversant. Je suis sensible à sa grande délicatesse, c'est un être totalement décalé, si émouvant aussi. Bref...magnifique.

7. L'oeuvre d''art que tu pourrais voler dans un musée ?
Une oeuvre de Giacometti.

8. Le disque que tu emporterais sur une île déserte ?
Mais il n'est pas question que j'aille sur une île déserte !

9. La soirée de tes rêves ?
En Corse, en Sicile ou en Irlande, un feu de cheminée, l'hiver, la neige qui tombe... bien qu'il n'y ait pas beaucoup de neige en Corse et en Sicile ! Le vent souffle dehors, un verre de côte-rôtie et s'enivrer doucement... en écoutant la musique du film "Mission" par Ennio Morricone... Le reste est top secret !

10. Une épitaphe ?
Quel souci ! Ici gît "Je".



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