Il est
conseillé de lire l'article ci-dessus car il est difficile
de retranscrire cette interview parfaitement.
Mohand Mestiri : La musique ?
Mylène Farmer : C'est peut-être un accident.
J'écoutais Genesis,
les Doors, les Eagles, Bob Marley, Gainsbourg, Dutronc, Barbara, sans y
penser plus que ça... Je n'avais qu'une chose en
tête quand j'ai arrêté mes
études : être actrice. Je me disais que si je ne
faisais pas du cinéma, j'en mourrais.
Les
désirs contradictoires :
Celui de m'exposer en pleine lumière et celui de me
protéger. Je me suis inscrite au cours Florent mais j'avais
autant de plaisir à jouer que de déplaisir. Je
n'ai pas insisté.
La musique et la
rencontre avec Laurent Boutonnat au début des
années 80 :
Il parlait peu, comme moi. Comme moi, il avait pris des cours d'acteur.
Il avait composé une chanson, Maman a tort.
Je
correspondais à l'image qu'il se faisait d'une chanteuse...
C'est comme ça que la machine s'est mise en marche. J'ai
toujours aimé exister à travers le regard de
l'autre... Il rêvait de cinéma, à en
mourir et de faire un film Giorgino.
L'échec
de Giorgino
:
Une sanction inhumaine... Ce film, je l'avais attendu dix ans !
La chute lors d'un
concert à Lyon :
Je me demande si ce n'était pas une
bénédiction... Non, je voulais dire le contraire,
une... (malédiction)
Ses silences :
Je préfère être un morceau de savon
humide qu'on a du mal à saisir.
Un rêve :
Un rêve est ma seule mémoire d'enfance : un lit
immense, des draps blancs. J'y suis blottie en position de
fœtus. Devant moi un énorme cordon ombilical,
vraiment énorme... Il m'incombe de le couper. Comment ? Avec
les dents ? Je ne suis qu'une enfant...
Agir
plutôt que subir ?
Ce qui sauve l'homme, l'enfant, la femme, c'est que, se sentant
risqué par la nature, il se risque.
J'avais de vous une
image d'espièglerie intelligente, saine et
décapante. Sous la plume de mes confrères, il est
question de morbidité, de voluptés
décadentes...
Morbidité, mordre à la vie, Le goût du
néant répond à un goût
d'absolu... Un dessin animé comme Bambi est
coloré de morbidité... C'est vrai que j'ai voulu
parler, évoquer le "trouble", la "confusion des sentiments".
Je ne me justifie pas. Je ne me résume pas à des
chansons, mais à travers elles, libertine,
désenchantée, anamorphosée, sans
contrefaçon ni logique. J'ai exprimé ce que j'ai
réellement ressenti. Oui, je me suis promenée un
mouchoir dans le creux de mon pantalon. Oui, qu'on soit des filles de
cocktails, des filles rares ou des fleurs de trottoir, qu'on fasse la
une des magazines, toutes les filles ont besoin d'amour, d'un amour
extra-extra-large.
Naguère, j'ai hanté les cimetières...
Il y a toujours quelque chose de fascinant dans le spectacle de la fin,
mais le mystère, c'est que la vie ne connaît pas
le point final. La fin marque l'aurore d'un monde nouveau, à
venir... Maintenant, je suis moins oppressée par la mort.
Un, je suis apaisée à l'idée qu'il y
ait une vie après. Deux, la notion du "non-attachement" et
de "l'impermanence" m'intéresse... Saisir l'instant,
accepter les métamorphoses,
l'éphémère, le mouvement…
On a besoin d'amour mais j'aime les dialogues silencieux, ceux que l'on
entretient avec les livres, la poésie. Une
présence humaine à ses côtés
c'est bien, mais pas suffisant. Après le
désenchantement, l'anamorphose, je suis en pleine
renaissance.
Anamorphose ? Le
"Petit Robert", qui n'est pas infaillible, dit : "Image
déformée et grotesque donnée par un
miroir courbe".
Un grand angle. Pour moi, ce mot signifie à la fois une
perception plus large du monde et un moyen de rassembler toutes ses
impressions, toutes ses sensations, en une seule image.
Dans vos chansons
et vos clips, la violence est surtout dans la musique et l'image.
Quand la frustration est trop forte, je ne dirais
pas violence, mais énergie.
Vous n'avez pas de
souvenirs d'enfance, mais avez-vous envisagé
d'être mère ?
L'idée de l'adoption me plaît. J'ai toujours
été perturbée par la "prolongation de
soi", mais maintenant, je peux y penser.