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Mylène Farmer - Interview - Radio 21 - 21 octobre 1995






Promotion pour l'album Anamorphosée sorti le 17 octobre 1995.



Radio 21 : L'heure tourne. Quatre ans d'absence, mais cette fois, ça y est ! Mylène revient avec un nouvel album. Rencontre exceptionnelle avec l'artiste la plus énigmatique et la plus adulée du show-biz français. Disponible, attentive. C'est l'Instant X !
C'est vrai que vous donnez très, très peu d'interviews radio. C'est une des premières fois ?
Mylène Farmer : C'est très, très peu d'interviews en général ! Peu de radios, peu de presse. Et, c'est la deuxième je crois, puisque je débute la promotion.


Vous n'aimez pas ?
C'est un exercice difficile pour moi. Donc, je préfère le rendre rare.


Votre tout nouvel album s'appelle Anamorphosée. Est-ce que ça signifie que Mylène Farmer a décidé de rompre un petit peu avec l'image qu'elle donnait ou est-ce que vous avez envie de la transformer ? Quelle métamorphose est en train de se produire ?
C'est plus ma perception du monde qui a changé et qui s'est élargie. Donc, l'idée de l'anamorphose était pour moi le moyen de rassembler toutes ces idées, de les concentrer pour n'en faire plus qu'une. Voilà, ce pourrait être l'image autorisée de l'image réelle. Et puis, c'est un joli mot.


Vous avez enregistré cet album aux Etats-Unis, à Los Angeles. C'était la première fois. C'est un passage obligé les Etats-Unis pour un artiste confirmé ? D'où est partie cette envie d'aller travailler là-bas ?
J'ai passé beaucoup de temps aux Etats-Unis. Neuf mois à Los Angeles, un mois à New York. C'est un pays que j'aime bien. Et,l'idée de l'album là-bas ? Il se trouve que j'étais là-bas et que j'avais un besoin, moi, de liberté donc c'est pour ça que j'ai choisi ce pays et qu'il y a de bons studios. Maintenant, l'idée de l'Amérique pour faire un album en aucun cas n'est définie parce que l'Amérique. Il se trouve, une fois de plus, que j'étais là-bas, donc c'était plus simple pour moi d'amener tout le monde là-bas.


Qu'est-ce qui vous plaît aux Etats-Unis ? Qu'est-ce qui vous attire là-bas qu'il n'y a pas ici ?
Déjà, le fait que je ne sois pas connue, donc qui pour moi, est "une grande liberté", à savoir je peux vivre comme tout le monde. D'autre part, j'aime bien cette notion d'espace, de grandeur. Je préfère définitivement New York à Los Angeles. Aujourd'hui, je peux me l'avouer en tout cas.


Pourtant, vous consacrez une chanson entière à la Californie...
Oui, parce que c'était un passage qui était quand même important, et, une fois de plus, vivre neuf mois dans un pays ou dans une ville, c'est un moment qui est important dans la vie. Et, c'était un moment important pour moi. Donc California, cette chanson, est née, effectivement de ce passage.


Lorsqu'on écoute, j'ai noté Rêver, Comme j'ai mal , California et Laisse le vent emporter tout. Vous y parlez beaucoup de rupture. C'est un sujet qui vous préoccupe pour l'instant ou qui vous inspire particulièrement pour écrire des chansons, des textes ?
Moi j'y vois dans la notion de rupture plus, pas quelque chose, pas une notion négative mais, au contraire, là encore, je parlerais de passage. C'est plus peut-être parler d'un niveau de conscience, en tout cas de l'esprit qui s'échappe. Donc, en ce sens, c'est probablement une rupture. Donc peut-être n'y voyons-nous pas la même lecture, dans le fond. Après, ça, c'est quelque chose qui vous appartient plus que ça ne m'appartient.


La rupture, c'est peut-être un nouveau départ, aussi ?
J'y vois dans ces cas-là effectivement, oui, quelque chose porté vers le haut. L'esprit qui s'échappe, une fois de plus. Donc, oui, c'est une rupture.


Pour la première fois, vous enregistrez un album aux Etats-Unis. Vous êtes photographiée sur la pochette de l'album par Herb Ritts et pas par Marianne Rosenstiehl qui, d'habitude, travaille avec vous, je crois. Vous avez un nouveau manager (info fausse puisque Thierry Suc était déjà le manager de Mylène en 1991 lors de la sortie du précédent album studio, L'autre, ndlr). Vous avez un nouveau clip,  XXL, qui a été filmé par Marcus Nispel, si je ne me trompe pas. Ça fait pas mal de changements aussi, de ruptures avec le passé. Vous avez décidé de tourner une page par rapport aux gens avec lesquels vous étiez habituée de travailler ?
Je ne pense pas que ça... Ce n'est pas quelque chose qui a été défini de cette façon-là, décidé. Il s'est trouvé donc que ce passage à Los Angeles a provoqué d'autres choses en moi. Par exemple, pour parler du clip, j'ai quand même travaillé dix ans avec Laurent Boutonnat et, je pense qu'il était intéressant que d'avoir un autre regard sur moi. Quant à cette volonté que de travailler avec un autre photographe, ça, ça fait appel à la même chose. Cette envie que d'avoir un nouveau regard. Maintenant, parler de métamorphose radicale: non, bien sûr que non. Je suis toujours la même, si ce n'est qu'on apprend tous les jours et que la vie fait que, ou vous changez, ou une fois de plus vous apprenez des choses et, cette vie va vous diriger vers d'autres choses, d'autres envies, d'autres pensées. Une fois de plus, parlant de ce photographe, je savais que lui pouvait m'amener, non pas dans mon univers, mais, en tout cas photographiquement, amener quelque chose qui était propre à lui et, peut-être, enrichir le mien.


En parlant de changement, justement, on vous sent, enfin c'est une impression toujours personnelle, plus préoccupée qu'auparavant des problèmes de société, de la vie qui nous entoure, des problèmes de chacun...
Sans doute. Sans doute, puisque ma vraie préoccupation est dans le fond mon passage et notre passage dans le monde, enfin dans notre vie terrestre donc, c'est vrai que fatalement, on regarde l'autre avec un peu plus d'attention.


Auparavant, il me semble que c'était plus axé plutôt sur vous. Là, j'ai l'impression que vous regardez tout d'un coup plus vers l'autre...
Oui, probablement. Probablement. Mais, j'ai toujours regardé l'autre, j'ai toujours été sensible à la sensibilité de l'autre. Maintenant c'est vrai que c'est peut-être moins concentré sur moi. Et... Peut-être d'avoir décidé tout simplement d'accepter de vivre, et cette acceptation vous ouvre des portes énormes et vous ouvre très certainement, en tout cas, vous acceptez le regard de l'autre et vous acceptez de porter le regard sur l'autre.


C'est une certaine maturité ?
Très certainement. En tout cas, je ne dirais pas que c'est agréable mais, c'est vrai que c'était important pour moi, en tout cas, que ça arrive.


C'est un album où émerge plusieurs paradoxes. Vous parlez d'amour mais à la fois de séparation, vous parlez d'envie de vie et à la fois toujours cette attirance un petit peu morbide. C'est quelque chose que vous gérez bien d'être attirée par des extrêmes comme ça ?
Je vais dire une énorme banalité, probablement, mais la mort fait partie de la vie, donc, c'est vrai que, est-ce que j'ai apprivoisé la mort ou est-ce que la mort m'a apprivoisée : je ne sais pas bien, si ce n'est être attirée par les mêmes choses... moi, je n'appelle pas ça de la morbidité mais simplement un intérêt et en tout cas une interrogation quant à la mort. Maintenant, la vie, comme je l'ai dit auparavant, je tente de l'accepter et de l'apprivoiser.


C'est quelque chose qui vous préoccupe au quotidien ?
Je vis au quotidien de la même façon que vous vivez, donc, bien sûr que c'est une préoccupation.


Oui, mais tous les jours vous vous posez une question par rapport à la mort ? C'est quelque chose vraiment qui est là, qui est latent, qui vous travaille ?
Dans la mesure où j'ai à la fois, oui, une vraie question que je me pose, des livres qui m'accompagnent qui parlent de ça. J'ai découvert, je vais essayer d'être un petit peu plus précise, un livre qui, je pense m'a beaucoup aidée et qui est très, très intéressant, qui s'appelle Le livre tibétain de la vie et de la mort et qui parle justement de cette acceptation de la mort et qui vous parle de la vie comme jamais on en a parlé, en tout cas moi c'est mon sentiment.


Vous êtes partie en Inde. Ça a un rapport direct avec ça ?
Non, parce que mon passage en Inde c'était juste un voyage éclair (voyage durant l'été 1989, après la première partie du Tour 89, ndlr), à savoir que quelquefois on a des urgences, il faut absolument partir, donc j'avais choisi l'Inde parce que... je ne sais pas. Je n'ai pas, non, pas ressenti grand chose en Inde. Maintenant, je sais qu'aujourd'hui, si j'y retournais, je sais que ce serait tout à fait différent. Donc l'Inde, a priori en tout cas sur ce premier voyage, non, n'était en aucun cas dirigé par telle ou telle pensée.


Est-ce que vous êtes consciente que sur ce nouvel album, certainement vous l'êtes, votre voix a changé ?
Oui, je le suis, parce qu'on me l'a dit beaucoup. Et puis, c'est vrai qu'en studio on s'en rend compte aussi quand on chante.


Certains morceaux sont plus rock qu'auparavant. Vous vous sentez plus rock'n roll qu'il y a quelques années ?
Non. (Rires.) Non, non, non. Simplement, faire appel à des instruments live donne toujours cette connotation rock'n roll mais en aucun cas, ce n'est ma revendication. Non, j'avais réellement le souhait que de travailler avec... avoir des guitares, avoir une batterie live, une basse donc, toutes ces choses font que le climat est un peu différent. Mais, en aucun cas une revendication, non.


Vous écoutez quoi en ce moment, comme musique ?
J'écoute beaucoup Bob Marley, je me suis rachetée Hotel California, j'ai découvert,comme tout le monde je pense, Alanis Morissette, que j'aime bien. Harvest, Neil Young, donc, que j'aime vraiment, vraiment beaucoup. Et je m'aperçois de plus en plus que, indépendamment de l'aspect musical, c'est la voix et, la particularité d'une voix qui me touchent énormément. Et c'est vrai qu'entre Neil Young et Bob Marley, ce sont des voix qui sont tellement divines d'ailleurs.


Quels souvenirs gardez-vous de cette grande tournée que vous avez fait il y a six ans, maintenant ?
Oui. Un grand souvenir. Je me souviens du public belge très, très bien. Je l'ai réellement en mémoire. Je sais pas... Un moment qu'on a une fois dans sa vie, parce que je crois que la première fois est la première fois. Si je dois refaire une scène, je ressentirai des choses différentes mais, c'est de la même façon que quand on rencontre quelqu'un, la première fois, la première nuit, le premier moment est quelque chose d'absolument magique et qu'on ne peut pas vous enlever. Donc, c'est quelque chose d'assez étonnant.


Il faut être deux à un rendez-vous, et là, en l'occurrence le public était là, nombreux...
J'ai beaucoup de chance,. Je le sais. Beaucoup, beaucoup de chance. J'ai eu beaucoup de monde mais, ce qui est plus important, toute cette masse, finit par ne faire plus qu'un aussi, donc c'était une attention qui était... Oui, c'est un beau cadeau de la vie, ça.


Quand pourra-t-on vous revoir sur une scène en Belgique ?
Je n'ai pas la réponse moi-même. Je préfère dire que je ne sais pas, parce que je pense que je ne sais pas, dans le fond. Je ne sais pas.