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le 2/11/1986

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Mylène Farmer - Interview - Rock News - Avril 1988






Rock News : Avant de parler de ton nouvel album, j'aimerais revenir sur Sans contrefaçon et te demander si, à choisir, tu aurais préféré être un garçon ?
Mylène Farmer : La seule chose que je puisse dire, c'est que toute une période de mon enfance fut un "purgatoire", c'est à dire que, dans mon comportement, je ne figurais ni comme jeune fille, ni comme jeune garçon. Une chanson, c'est plus un plaisir et un amusement. Même si aborder ce sujet n'est pas un hasard, ce qu'il faut mettre en avant, c'est une chanson.


Rock News : Combien de temps as-tu travaillé avec Laurent Boutonnat pour arriver à sortir Ainsi soit je...
Mylène Farmer : Quatre mois de studio et, avec l'écriture des textes, l'écoute des musiques de Laurent, etc., on peut estimer cela globalement à cinq, six mois de travail.


Rock News : Ainsi soit je..., ce n'est pas un peu mégalo comme titre ?
Mylène Farmer : C'est vrai que de dire et d'affirmer "Ainsi soit je" est une forme de mégalomanie mais, dans mon esprit, je ne l'ai pas formulé dans cette intention. Maintenant, chacun va interpréter comme il le sent. Ainsi soit je..., c'est la présentation d'une jeune fille avec tous ses paradoxes et ses ambiguïtés. Ainsi soit je..., c'est aussi l'univers d'Edgar Poe et, indirectement, celui de Baudelaire. C'est la présentation d'une personne et de sa personnalité.


Rock News : Y'a-t-il un fil conducteur dans Ainsi soit je... ?
Mylène Farmer : On me parle d'album concept, je comprends ce que ça veut dire sans trop le comprendre. Je peux en parler différemment, car j'ai écrit tous les textes et j'ai abordé des auteurs, des personnages et des thèmes qui sortent de moi. Quand je parle d'Edgar Poe, c'est parce qu'il est quelqu'un qui a vraiment fait partie de ma vie. Baudelaire, c'est encore autre chose. Sans logique, c'est le paradoxe satanique et angélique. Ma personnalité et ma dualité, c'esr réellement ça. Je peux basculer très facilement d'un extrême à l'autre.


Rock News : Tu définissais Cendres de lune, ton précédent album, comme un disque d'ambiance plutôt que de promotion. Comment définirais-tu Ainsi soit je... ?
Mylène Farmer : Je n'aime pas définir quelque chose. Quand on répond à des interviews, on est un peu obligé de réduire les choses. Si je te dis que le premier album était intuitif et que le second est beaucoup plus profond, c'est caricatural, mais c'est un peu vrai. Quand tu fais une première oeuvre, disque ou livre, tu veux parler de tellement de choses que c'est parfois un peu confus. Avec un second album, tu maîtrises mieux ton oeuvre.


Rock News : Tu me parles d'Edgar Poe et de Baudelaire, ce sont deux auteurs étranges aux univers bizarres. Ce qui est frappant quand on parle de toi avec d'autres artistes, c'est qu'ils adorent ce que tu fais mais tu les inquiètes par tes côtés un peu morbides...
Mylène Farmer : C'est vrai que la mort, la mère, l'infanticide, tous les thèmes tabous n'ont pas été tellement abordés et, quand on en parle, on dérange et on inquiète. Ce sont des sujets qui me passionnent et qui me tourmentent comme Edgar Poe, qui faisait ressentir à travers ses écrits toutes ses angoisses sur la mort et la peur du néant. Aborder ces thèmes dans une chanson peut déranger, voire choquer. Tout cela est dur à expliquer, les gens ont l'air d'apprécier ce côté ambigu de ma personnalité.


Rock News : C'est vrai aussi que ta promotion a l'air d'être extrêmement calculée...
Mylène Farmer : Oui, et c'est peut-être frustrant pour le public mais ça l'est aussi pour moi. Il est dur d'arriver à imposer sa personnalité et c'est facile de la détruire. Le jour où je déciderai de faire de la scène, de donner rendez-vous aux gens qui m'aiment, il se passera forcément quelque chose d'important pour le public et pour moi.


Rock News : Qu'est-ce qui a changé en toi depuis un an ?
Mylène Farmer : Il y a une chose très importante, c'est le courrier. Je ne parle pas des demandes d'autographes mais des lettres qui font deux ou trois pages et qui vous disent des choses sur vous, sur la manière dont les gens vous perçoivent. Plus ça va, plus ce courrier contient des choses importantes qui me touchent réellement par rapport à ce que moi je propose.
D'autre part, le succès change forcément les choses, plus par rapport à l'esprit qu'à la vie courante. Je crois que c'est un mélange d'angoisse et de plaisir décuplés, et l'un ne va pas sans l'autre. C'est une jouissance qui vous meurtrit.


Rock News : Et ce rendez-vous "d'amour", c'est prévu pour quand ?
Mylène Farmer : Un an, deux ans, en tout cas pas au-delà de deux ans.


Rock News : Le clip de Sans contrefaçon a donné lieu à une rencontre surprenante, celle de Zouc et de Mylène Farmer, comment cela s'est-il passé ?
Mylène Farmer : Je ne connaissais pas Zouc personnellement mais j'apprécie énormément son personnage et ses spectacles. Elle a effectivement des points communs avec moi parce qu'elle a abordé, entre autres, le domaine de l'enfance et de ses problèmes, de la mort, de la naissance. C'est une femme impalpable, une artiste. C'est un personnage étonnant, dérangeant.
La rencontre s'est déroulée au cours de l'émission "Mon zénith à moi", et quand, avec Laurent, nous avons commencé à écrire le clip, le personnage de Zouc s'est imposé. Elle représente une sorcière, mais la sorcière dans son côté ambigu, tu ne sais pas si c'est une fée ou une sorcière.


Rock News : Le clip, surtout tel que vous le concevez Laurent et toi, peut pousser au cinéma. Qu'en est-il à l'heure actuelle ?
Mylène Farmer : J'espère vraiment que nous pourrons tourner un film ensemble, ce serait un beau cadeau. Maintenant, il n'y a rien de précis. Laurent a un projet qui va sûrement se concrétiser. Quant à moi, j'ai reçu des propositions, mais rien de bien excitant. J'attends vraiment quelque chose qui me motive entièrement car j'ai vraiment la patience d'attendre, on fait des erreurs quand on n'a pas la force de patienter.


Rock News : J'aimerais qu'on connaisse un peu mieux le côté personnel de Mylène Farmer, qu'on arrête de parler de la chanteuse pour parler de ses goûts et de ses aspirations. Pout toi, le look, la mode, c'est important ?
Mylène Farmer : Le mot "look" me fait frémir, j'ai horreur de cette appellation. Quant à l'habit, c'est quelque chose que j'adore. Ma mère n'y est pas étrangère, elle adorait s'habiller et obligatoirement cela m'a marquée. Maintenant, l'aspect physique n'est pas toujours le reflet de l'aspect mental mais les chaussures sont très importantes et peuvent laisser transparaître une personnalité (NDLR : sur ce, nous éclatons de rire car je me suis instinctivement baissé pour regarder quelles chaussures je portais.)


Rock News : Et la politique, tu réagis àce qui se passe en ce moment ? (lors de l'interview se déroulait la campagne pour l'élection présidentielle de 1988, ndlr)
Mylène Farmer : Je peux avoir des opinions politique mais je ne me prononcerai jamais, à part sur des choses très, très importantes où je pourrais profiter de mon personnage public pour faire avancer des choses, voire influencer des gens.


Rock News : Justement, utiliserais-tu le fait d'être un personnage public pour soutenir une cause si on te le demandait ?
Mylène Farmer : Non. Il y a une chose que je trouve dommage c'est qu'à l'heure actuelle de nombreuses émissions télévisées demandent des dons pour telle ou telle cause. C'est formidable mais il arrive un moment où c'est trop , les gens ont des limites. On m'a souvent demandée de participer à des galas pour "X" ou "Y", je dis non. Le jour où j'aurai envie de faire quelque chose, je le ferai directement sans que tout le monde sache que j'ai fait un chèque de tant de francs. J'ai besoin de me respecter, et je ne pourrais pas faire autrement.


Rock News : Comment définis-tu l'amour et comment le vis-tu ?
Mylène Farmer : Qui est capable de la définir ?
C'est la chose la plus inabordable qui existe, c'est un mélange d'euphorie et d'horreur. Une fois de plus, je pense à Edgar Poe, qui a écrit une nouvelle sur une femme qui est sans doute la femme idéale. Tous les superlatifs pour la décrire sont destructeurs et impalpables.


Rock News : Arrives-tu à bien le vivre ?
Mylène Farmer : Ni bien ni mal. Je vis avec ce que je viens de dire, des moments d'euphorie et des moments terribles. Mais la vie, c'est ça pour tout le monde, artiste ou pas. Tu peux vendre des millions de disques comme être ouvrier et te lever le matin avec l'envie de te suicider. Le quotidien est la chose la plus difficile à vivre.


Rock News : Quel est le mot qui te fait horreur ?
Mylène Farmer : La chose qui me tourmente le plus et qui me fait le plus de mal, c'est la désillusion perpétuelle. C'est vivre avec cette notion du dérisoire, ça, c'est très dur à vivre.


Rock News : Et le temps ?
Mylène Farmer : Il m'obsède. C'est un peu pour ça le choix de L'Horloge de Baudelaire dans l'album. La fuite du temps, c'est horrible.


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