Salut : Après que les
grilles se soient refermées sur vous pour la
dernière fois à Bercy, que s'est-il
passé ?
Mylène Farmer : Beaucoup de choses peu exprimables. J'ai eu
un peu de mal à gérer mon temps. J'ai eu des
périodes un peu difficiles comme toute personne qui quitte
un public et des émotions. Je crois que j'ai lu, beaucoup de
poésie. J'ai surtout pensé en fait à
faire un autre album.
Salut : Vous vous
êtes remise au travail tout de suite ?
Mylène Farmer : Non, j'y ai pensé mais sans
prendre ma plume. J'ai attendu un peu parce que je me suis
aperçue que quand on sort d'états
d'émotions fortes, ce n'est pas forcément le bon
moment pour écrire. J'ai laissé venir pendant
quatre-cinq mois. J'ai attendu. Il faut que ça vienne
naturellement, ce n'est pas moi qui calcule. Comme je travaille avec
Laurent Boutonnat il faut que ce soit une envie commune. On a besoin de
souffle aussi pour créer. En fait, c'est ça,
quand on sort de scène, on perd son souffle. Il y a cette
peur de ne pas être capable de refaire quelque chose. Et puis
il faut se nourrir un petit peu aussi !
Salut : De quoi
vous êtes-vous nourrie ?
Mylène Farmer : Très bonne question ! J'ai
beaucoup lu, énormément de poésie.
Beaucoup de réflexion. Pas des choses forcément
palpables. J'ai découvert la peinture, je m'y suis
intéressée et ça demande du temps. Et
puis ma foi j'ai fait tout ce que je n'avais pas pu faire pendant un an
et demi, c'est-à-dire aller au cinéma ou passer
des journées à ne rien faire. Ce qui n'est pas
formidable d'ailleurs ! (Rires).
Salut : Lors de
cette première tournée, vous avez
rencontré votre public. Comment l'avez-vous
trouvé ?
Mylène Farmer : Je pense que j'ai été
très gâtée. Maintenant, est-ce que j'ai
mis un visage sur mon public, je ne pense pas. Si ce n'est ce qui peut
nous réunir, c'est-à-dire une quête
d'émotions, que j'espère fortes.
Salut : Des
émotions fortes, il y en avait beaucoup dans ce spectacle !
Mylène Farmer : Oh oui. C'est ce qui fait que c'est
difficile après, quand il n'y a plus rien.
Salut: Au milieu de
la tournée est sorti le single "A quoi je sers…".
Est-ce que ça n'est pas paradoxal de se poser ce genre de
questions quand on donne des concerts avec un tel succès ?
Mylène Farmer : Très sincèrement je ne
pense être utile à personne. Ce serait
très prétentieux de ma part. Je pense qu'on peut
réunir des personnes autour d'une émotion.
Maintenant avoir des gens aussi chaleureux en face de moi chaque soir,
ça ne m'empêche pas de me demander à
quoi je sers.
Salut : Quels
étaient vos rapports avec votre troupe ?
Mylène Farmer : On a formé une équipe
qui me semblait la meilleure, en tout cas pour ce spectacle, avec des
joies et des tristesses. Ça s'est très bien
passé, on n'a pas eu de mauvaises surprises. Maintenant on
sait aussi que c'est pour un temps déterminé et
ce que sera l'après-demain. Et il y a fatalement des gens
avec qui on est plus proche que d'autres. C'est un état
animal, on a besoin de créer sa meute !
Salut : C'est votre
amour des animaux qui transparaît, là !
Mylène Farmer : Oui, probablement. (Sourire).
Salut : Est-ce que
vous êtes aussi instinctive dans vos relations habituellement
?
Mylène Farmer : Oui, très instinctive. Je ne me
fais pas de compliments, mais je sais que j'ai ça pour moi,
en tout cas pour mon bien-être. Je perçois assez
vite les personnages avec qui je peux m'entendre et ceux avec qui c'est
impossible.
Salut : Parlons du
nouveau single. Quand vous chantez "Je suis une
génération désenchantée",
vous faites allusion à la vôtre ou à
celle qui suit, celle de votre public ?
Mylène Farmer : Je dis que c'est moi qui suis, qui me sens
d'une génération
désenchantée. En aucun cas je ne dis "Nous sommes
une génération
désenchantée". C'est ma
génération et c'est aussi celle qui suit, celle
des gens qui m'écoutent.
Salut :
Désenchantée par quoi ?
Mylène Farmer : C'est un refus de se mentir. Je ne veux pas
faire de généralisation mais depuis que je suis
née, je vis dans cet état d'esprit. C'est vrai
que les temps s'avèrent de plus en plus difficiles. Mais
finalement c'est plus un constat qu'une rébellion.
Même si j'ai des envies de rébellion.
Salut : (Le clip
"Désenchantée")
Mylène
Farmer : On est allé
tourner le clip de "Désenchantée" en Hongrie
parce qu’on voulait des paysages de neige. Et puis il y avait
cette envie de partir de France, en tout cas de sortir de son cocon
parisien. Et c’est toujours étonnant de prendre
son baluchon et d’aller dans un pays qu’on ne
connaît pas et d’être
confronté à une autre culture, une autre
façon d’envisager les choses et de travailler. On
a réuni là-bas une équipe
très agréable, très professionnelle.
La Hongrie développe beaucoup de moyens pour le
cinéma. Il y a cent figurants dans le clip, on voulait des
enfants qui portent quelque chose de grave en eux (elle passe sa main
devant son visage pour évoquer un masque) quelque chose de
violent. Le clip se passe dans un univers carcéral. En tout
cas, il y a une autorité autour de ces enfants. Et ils
vivent d’une telle façon qu’ils
n’ont plus grand chose à perdre. Ils ont une
idée de révolte qui aboutit
à… je vous laisse la surprise !
Salut : L'album s'appelle
"L'autre... ".
Mylène Farmer : C'est aussi une des chansons de l'album.
"L’autre" suppose beaucoup d'autres. Ça peut
être l'autre moi. Ça peut être cette
chose qui n'a pas d'enveloppe physique et qui est au dessus de vous et
qui va vous aider, vous diriger parfois, vous contrarier aussi.
Ça peut être l'autre, une autre personne. J'ai
essayé de trouver un mot qui puisse évoquer
beaucoup de choses. Ça peut être aussi la
schizophrénie pourquoi pas ? (Rire).
Salut : Parlez-moi
un peu de cet album que je n'ai pas entendu...
Mylène Farmer : C'est un peu dommage. C'est vrai que
finalement j'aurais préféré que vous,
vous me disiez des choses dessus, plus que moi qui n'aie aucun recul
par rapport à cet album. La seule chose que je puisse dire
c'est que c'est la même veine. C'est la même
personne qui a écrit, la même personne qui a
composé. Il y a probablement un changement, pas de fond,
mais peut-être de forme. Les thèmes restent les
mêmes. Tout créateur se
répète inlassablement et inexorablement. C'est
normal.
Salut : Maintenant
que l'album est fini, songez-vous à refaire une
scène ?
Mylène Farmer : Si je dois remonter sur scène, ce
sera peut-être beaucoup moins spectaculaire ou en tout cas
différent. Mais pour l'instant, ce n'est pas le temps de la
scène, je le sais. Et je n'ai pas envie de rentrer dans ce
train-train de faire un album, faire une scène, etc. Quand
on parle de nourriture, j'en ai besoin aussi pour monter sur
scène. Un album, des mots ne suffisent pas : il faut que je
vive d'autres choses. Peut-être que je complique beaucoup la
situation, mais ça c'est très personnel.
(Sourire). Donc pour l'instant je ne pense pas à la
scène. Demain je vais peut-être changer.
Salut : Comment se
déroule une de vos journées quotidiennes quand
vous n'êtes pas sous l'œil du public ?
Mylène Farmer : Je vous répondrai qu'elle est
probablement banale, donc il n'y a probablement pas
d'intérêt à en parler. (Rires). Elle
doit être très banale je crois. Je dois manger,
dormir, penser, pester !
Salut : Je vous
imagine très mal en train de pester !
Mylène Farmer : Méfiez-vous du loup qui dort !
(Rires).
Salut : Pour en
finir, pensez-vous vraiment que "la vie est triste comme un verre de
grenadine" ?
Mylène Farmer : C'est un peu ça oui. Triste elle
l'est. Et est-ce qu'un verre de grenadine est pétillant ?