Mylène Farmer - Interview - Télé 7 Jours - 01er avril 1991
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Date01er avril 1991
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Média / PresseTélé 7 Jours
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Interview parMartine Bourrillon
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Fichiers
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Catégories interviews
Mylène Farmer : J'ai voulu me changer de tête sans me transformer. La scène, la période que j'ai traversée ensuite, ont forcément fait bouger quelque chose en moi. Inconsciemment. Je me sens bien dans ma coupe de cheveux. Dans ma tête ? C'est encore difficile à dire. Disons que je m'émeus moins aujourd'hui de ma fragilité.
Télé 7 Jours : Une prise de conscience au milieu da sa tournée 89.
Mylène Farmer : Un ami m'a demandé "Pourquoi chantes-tu ?", j'ai répondu "Pour moi". Il m'a dit, "Moi je chante pour eux". Dans l'incroyable ferveur dont j'étais l'objet, j'ai mesuré alors l'attente que le public, les autres avaient de moi.
Télé 7 Jours : Les critiques pendant le Tour 89 lui reprochant trucage d'émotion, calcul.
Mylène Farmer : J'accepte les critiques qui essaient de comprendre. Pas celles dont l'auteur, à l'évidence, ne cherche qu'à se faire plaisir sur le dos de l'artiste. Calcul ? Quand on cherche délibérément à se mettre en danger, sans doute. Mais quand les larmes coulent, c'est l'émotion qui parle. Et là, quoi que certains veuillent en penser, on ne triche pas. Je sais ce que j'ai ressenti chaque soir sur scène. Personne ne pourra me convaincre d'avoir menti sur ce que j'éprouvais.
Télé 7 Jours : Des frayeurs comprises mais que le coeur n'est pas encore parvenu à dominer.
Mylène Farmer : On ne guérit jamais de son enfance. On peut l'analyser, prendre un peu de distance, pardonner. Les émotions demeurent. Enfouies, mais entières. J'ai parfois rêvé de revivre sous hypnose, ou à l'occasion d'une psychanalyse, ces moments forts qui m'ont marquée. Pour retrouver à l'état brut l'intensité émotionnelle d'alors. J'ai hésité. J'hésite encore. Par peur peut-être. Par crainte aussi d'y perdre ma créativité.
Télé 7 Jours : Son état d’esprit après la fin du Tour 89.
Mylène Farmer : On m'avait prévenue : à la fin d'un spectacle, tous les artistes connaissent un passage à vide. Le mal de l'artiste, dit-on... C'est sans doute banal, mais ce n'est pas facile à vivre. Tout paraît vain. Le succès, les ventes de disques, les gestes de tous les jours. Je ne sais pas ce que c'est qu'une dépression, mais je pense que c'est ce que j'ai vécu là, pendant au moins quatre mois au sortir de Bercy, cela y ressemble. Cette envie de ne plus bouger, cette incapacité à vouloir communiquer.
Télé 7 Jours : C'est le travail qui la remet sur pied.
Mylène Farmer : Il faut sans doute ce temps pour se rassembler. Je ne me suis pas posée la question de savoir si ce que j'écrivais allait être conforme ou différent de ce que j'avais fait jusqu'ici. C'est maintenant, en relisant mes textes, en écoutant les chansons de ce nouvel album, que je prends conscience d'une évolution.
Télé 7 Jours : Le titre de son nouvel album, L’Autre… :
Mylène Farmer : Parce que c'est cela qui est nouveau en moi : cette ouverture à l'autre. Avant, je disais "je". Maintenant, je vais à la rencontre...
Télé 7 Jours : Un changement ?
Mylène Farmer : Je ne renie rien de ce que j'ai fait, ou de ce que j'étais. J'ai simplement moins besoin de cette fuite en avant.
Télé 7 Jours : La chanson Désenchantée :
Mylène Farmer : Je suis d'une génération désenchantée. Rien ne tient, de nos idéaux, de nos espoirs. Pourtant, ce n'est pas triste. Une énergie, comme une révolution, la fin des leurres peut-être.
Télé 7 Jours : La fin du clip Désenchantée, évasion vers l'innocence ?
Mylène Farmer : Pas un retour, une ouverture.
Télé 7 Jours : Toujours la mélancolie.
Mylène Farmer : Parce que j'aime le mot, et l'état. Je ne vis pas dans le passé, mais je vis avec mon passé. Je ne m'en délivrerai jamais.
Télé 7 Jours : Souhaite-t-elle vraiement se délivrer de son passé ?
Mylène Farmer : Peut-être. J'ai moins besoin aujourd'hui de tout contrôler. J'accepte l'inconnu.
Télé 7 Jours : Son intérêt pour la poésie ou la peinture.
Mylène Farmer : Pour la première fois, peut-être, j'ai consenti à me laisser diriger. A m'ouvrir à des émotions que je ne ressentais pas d'emblée.
Télé 7 Jours : Jusqu'à vouloir s'essayer elle-même à tenir le pinceau ?
Mylène Farmer : Mais j'ai renoncé. Pas devant la nécessité d'apprendre, qui me stimulerait plutôt, mais à constater que ce n'est pas là ma forme d'expression.
Télé 7 Jours : Sa collaboration avec Laurent Boutonnat :
Mylène Farmer : Je suis relativement très, très fidèle. S'il y a une chose à laquelle je n'ai pas, mais vraiment pas envie de toucher, c'est à cette coopération. Laurent et moi, nous connaissons parfaitement notre façon à tous deux de fonctionner. Nous avons vécu différemment, mais ensemble, les différentes étapes de notre cheminement. La création est une démarche passionnelle, dans laquelle il peut y avoir des crises. Ce sont alors des crises fructueuses, celles qui font progresser.
Télé 7 Jours : Sa rencontre avec Jean-Louis Murat :
Mylène Farmer : J'aimais son univers, nous nous sommes écrits. Je n'ai pas non plus l'habitude d'écrire. J'ai tellement peur que les mots ne sachent pas exprimer ce que je ressens.
Télé 7 Jours : Son désir de cinéma.
Mylène Farmer : Je rêve de me laisser diriger par un texte ou par un metteur en scène. Ce sera ma prochaine expérience. J'aimerais aussi me glisser dans la peau d'un personnage qui ne soit pas du tout moi.
Télé 7 Jours : La suite...
Mylène Farmer : Quand j'ai commencé Bercy, j'ai déclaré que cette scène serait sans doute la dernière. Je ne m'interdis pas de me démentir. Je reviendrai sans doute un jour en scène. Quand, je n'en sais rien. Pas tout de suite. Ce dont je suis certaine, c'est de ne pas avoir l'intention d'entrer dans le cycle un album, une scène etc. Je veux d'abord vivre d'autres aventures. Le cinéma, le théâtre, d'autres albums. Si je remonte sur scène, je veux que cela soit pour y chercher et y offrir autre chose. Je veux laisser en moi grandir la nécessité. Le désir.