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Mylène Farmer - Interview - Télé 7 Jours - 11 novembre 1996



  • Date
    11 novembre 1996
  • Média / Presse
    Télé 7 Jours (N°1903)
  • Interview par
    Denis Taranto
  • Fichiers
    Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours Programmes du 16 au 22 novembre 1996 N°1903  Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours Programmes du 16 au 22 novembre 1996 N°1903 Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours Programmes du 16 au 22 novembre 1996 N°1903 Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours Programmes du 16 au 22 novembre 1996 N°1903 Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours Programmes du 16 au 22 novembre 1996 N°1903 Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours Programmes du 16 au 22 novembre 1996 N°1903
  • Catégories interviews



Denis Taranto : En juin 1996, après sept ans d'absence, vous donnez un méga-spectacle à Bercy avant de partir en tournée. A Lyon, après neuf concerts, vous tombez de scène et vous vous cassez le poignet. Qu'est-ce qui se passe ?
Mylène Farmer : C'est l'angoisse... Celle de ne pas retrouver toute sa mobilité, de se sentir diminuée. J'ai eu la chance de rencontrer un chirurgien exceptionnel grâce à qui aujourd'hui je peux ne conserver que le mauvais souvenir de cette chute. Je cherche toujours le pourquoi du pourquoi (sic, Mylène voulait probablement dire 'le pourquoi du comment', ndlr) mais, très sincèrement, il y a tant de gens qui souffrent et qui ont de vrais problèmes que je ne me sens pas le droit de me plaindre.


Aujourd'hui, vous repartez sur la route. Que vous a apporté cette expérience scénique ?
Une formidable récompense. Je ressens la scène avec une terrible sensation de vraie liberté. C'est mon oxygène.


Sincérité, vérité, des mots qui reviennent souvent dans votre langage...
Oui. (Silence). J'en ai besoin.


Tour à tour androgyne, sulfureuse, charmante ou diabolique, vous semblez aujourd'hui plus humaine. Qu'est-ce qui a changé en vous ?
Mais j'ai toujours été humaine. Les adjectifs, les qualificatifs que l'on m'attribue n'ont rien à voir avec mon moi profond. Je n'ai jamais vraiment voulu répondre à ce genre de propos, ni aimé la justification. J'ai presque envie de vous dire: "Parlez-moi d'autre chose, posez-moi des questions'".


Que ressentez-vous en abordant la trentaine ?
Aujourd'hui, je me sens beaucoup plus sereine, beaucoup plus forte. J'ai la chance d'avoir pu surmonter mes névroses, et chasser ces démons qui s'entrechoquaient. Je ne renie pas ce que j'ai auparavant exprimé. Mais je sais aujourd'hui que la vie est courte. C'est avec opiniâtreté que je veux la dévorer, mais exister entre enfer et paradis, ce n'est pas toujours aussi simple.


Vous vous exprimez toujours avec des oppositions...
C'est plus doux (elle sourit).


Donc plus fort ?
On est plus enclin à donner, à se donner en tout cas.


Pourtant, éternelle adolescente, vous jouez un rôle en permanence. Arrivez-vous à vous cacher derrière vous-même ?
Je ne dirais pas me cacher mais j'évite de me dévoiler totalement. Je préfère un demi-mot qu'une longue phrase prononcée. Je suis tout et mon contraire aussi. Les gens très sûrs d'eux-mêmes m'inquiètent. Ils disent trop fort blanc en pensant noir... (Silence - Mylène déteste le magnétophone. Contente, elle lance au journaliste) :  J'aime ce silence que permet le papier et le crayon. Cela crée une atmosphère autour de nous.


Frêle Mylène, vous avez un tonus débordant sur scène. Où puisez-vous votre énergie ?
Je pense que je puise directement l'énergie du public. J'aime le mouvement, la danse, la chorégraphie. Tout pour moi devient émulsion, l'ensemble me recharge. Je ne sais pas tricher. Sur scène, je vis une réelle émotion, dans une recherche de désir. Parfois, je me demande ce que le public me trouve et pourquoi ils viennent aussi nombreux...


Vous avez trouvé la réponse ?
(Elle sourit) Ce n'est pas à moi de la trouver.


Vous avez déclaré : "Edgar Poe m'apaise, le marquis de Sade m'attire". Aujourd'hui, votre réflexion serait tournée vers la pensée tibétaine ?
Je suis toujours capable d'apprécier les mêmes auteurs. Mais c'est mon état d'esprit qui change, qui évolue, qui a soif de découvrir d'autres univers. L'esprit bouddhiste en moi, je ne l'évoque jamais, mais il est important dans mon quotidien.


Vous parlez d'avant et d'après.
Oui. J'ai une sensation très forte de renaître. Renaissance, un mot qui sonne dans ma tête. Après quatre ans d'absence, j'ai l'impression d'être morte une fois pour renaître aujourd'hui.


Depuis vos débuts, vos clips par Laurent Boutonnat ou, comme California par Abel Ferrara sont toujours de véritables petits films, esthétisants à souhait, sophistiqués et dérangeants. L'image passe-t-elle avant la voix ?
Je suis née dans ladite 'génération clip'. C'est un prolongement de la voix, mais les mots sont plus importants que l'image. Si vous me demandez de choisir, je garde le mot et la voix. Mais je me permets de dire ça uniquement parce que j'écris moi-même mes textes.


Votre dernier album, XXL (sic), est écrit avec profondeur.
Oui. Prenez la chanson Tomber 7 fois, "Toujours se relever huit", vous comprendrez la force des mots. Je l'ai empruntée à la poésie japonaise, les haïku qui sont très courts. Très, très courts. J'aime jouer avec les mots. Je peux aussi me tromper de mots. Peut-être parce que... j'ai peur des mots (elle sourit). Je suis sûre que vous vouliez entendre ça...


On parle des univers de Mylène Farmer. Quel est votre quotidien ?
Oh là... Probablement aussi banal ou aussi riche que le vôtre.


Aujourd'hui, la provoc' pour vous, c'est quoi ?
La vraie provocation pour moi, ce serait le silence absolu...


Frustrant pour l'artiste ?
Oui. (Silence, bien sûr).


Maquillage très blanc, photos retouchées font-ils partie du passé ?
Parfois la retouche est indispensable pour effacer un mauvais maquillage, une lumière incorrecte. Mais je ne fais pas une névrose obsessionnelle sur ce sujet. J'ai un teint clair mais j'accepte le soleil. Vous devez penser à l'époque de Libertine où j'étais très blanche. C'était mon époque poudrée... (Sourires)


Entre Paris et Los Angeles, avez-vous deux vies distinctes ? Qu'est-ce qui vous séduit dans l'une et dans l'autre ?
Si je devais choisir, je prendrais New York. Pour moi, c'est une ville énergétique, qui m'apparaît comme très positive. J'aime marcher dans ses rues où peu de gens me connaissent. J'ai une sensation de liberté. J'ai l'impression de connaître New York comme une évidence. Son côté vertigineux, étouffant, miraculeux, son architecture stricte et définitive sont magnifiques. Et puis la langue anglaise nous offre la touche de dépaysement qui manque.


Après l'échec de Giorgino, le long métrage de Laurent Boutonnat, sorti en 1994, avez-vous l'impression d'avoir tourné également une page de votre vie ?
Oui. Mais, l'idée de tourner la page me peine un peu parce que la négation ne fait pas partie de moi. Je préfère dire : longue digestion, acceptation... C'est sans doute pour cela que je peux parler aujourd'hui d'une 'forme' de renaissance.


Qu'est-ce qui branche Mylène dans la vie ?
Beaucoup de choses. La peinture, les rencontres avec les gens mais aussi avec soi-même. Ce sont des moments magiques. Des moments de quiétude. Sans parler des moments extatiques, il y a des choses si foudroyantes qui s'évanouissent aussi vite, qui sont des moments forts et qui comptent beaucoup pour moi.


Libre de toute convention et chanteuse à succès, comment vivez-vous ce paradoxe ?
Relativement bien car, étant dans cette course, je refuse de courir après un chiffre. Aujourd'hui, les maisons de disques tuent les artistes et sont préoccupées par le rendement, entravant une certaine liberté. L'artiste est devenu sa propre compilation d'une compilation compilée... Je n'ai jamais eu envie de vivre le 'mythe de l'artiste maudit'. Si ce que je fais plaît à un public, pourquoi devrais-je changer ?


Vous qui avez vendu vos cauchemars et chanté vos pulsions, comment vous voyez-vous dans dix ans ?
Quelle horreur ! Il ne faut pas y penser ou sinon c'est le début de la fin ou, en tout cas, celui des ennuis...


A vos débuts, vous chantiez Maman a tort. Aujourd'hui, ne rêvez-vous pas secrètement d'entendre une petite voix qui vous dise "Maman" ?
C'est vrai, j'y pense de plus en plus...


Avez-vous trouvé le papa ?
Vous allez avoir un silence des plus présents. Je n'aime pas parler de cela.


Mais encore ?
(Elle sourit. Silence.)

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