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Mylène Farmer - Interview - Télé 7 Jours - 14 décembre 1992



  • Date
    14 décembre 1992
  • Média / Presse
    Télé 7 Jours
  • Interview par
    Martine Bourrillon
  • Fichiers
    Mylène Farmer Télé 7 Jours Programmes du 19 au 25 décembre 1992  Mylène Farmer Télé 7 Jours Programmes du 19 au 25 décembre 1992   Mylène Farmer Télé 7 Jours Programmes du 19 au 25 décembre 1992 Mylène Farmer Télé 7 Jours Programmes du 19 au 25 décembre 1992 Mylène Farmer Télé 7 Jours Programmes du 19 au 25 décembre 1992
  • Catégories interviews



Télé 7 Jours : Dans votre nouvel album, Dance Remixes, vous proposez quatorze anciens titres dans un nouvel  "habillage" et vous y ajoutez une nouvelle chanson, Que mon cœur lâche, où il est question de "Toi, entre nous, caoutchouc" et "D'amour plastique". C'est votre contribution à la prévention contre le sida ?
Mylène Farmer : J'ai déjà participé à l'album Urgence en offrant les droits de la chanson Dernier sourire. Dans la situation actuelle, la conduite à adopter pour se prémunir contre la maladie me paraît aller de soi. Pourtant, je ne crois pas qu'il m'appartienne d'aller dire aux gens "mettez ou ne mettez pas de préservatif". Mon rôle d'artiste consiste à communiquer mes émotions. Dans cette chanson, je fais tout simplement un constat sur l'amour de nos jours. Un amour perverti par la menace de la maladie, par la question du préservatif qui se pose d'emblée dès que l'on ressent un élan vers l'autre. C'est triste, mais c'est là une réalité quotidienne à laquelle chacun, moi y compris, est confronté.


Télé 7 Jours : Vous parlez d'amour  "lâche". Qu'est-ce qui est lâche ? Parier sur la sécurité du préservatif ou ne pas prendre le risque de s'en remettre à l'autre ?
Mylène Farmer : Vous ne me ferez pas dire que mettre un préservatif, c'est lâche. Il appartient à chacun de prendre ses responsabilités.


Télé 7 Jours : Des jeunes risquent de mal interpréter vos propos, d'y voir une incitation à un certain romantisme qui ferait fi du danger. S'il en était ainsi, ne seriez-vous pas coupable de laisser planer l'ambiguïté ?
Mylène Farmer : Il n'en est pas ainsi. Je ne laisse planer aucune ambiguïté. Je ne vois pas où, dans ma chanson, j'ai exprimé une quelconque incitation. Les gens n'ont pas besoin de moi pour agir comme ils le pensent ou le veulent. Je trouverais terrible d'avoir à m'interdire de dire ce que j'ai envie de dire. Au nom de quoi refuser de parler d'un problème ou d'un autre ? Chacun de mes disques, de mes clips est décortiqué, interprété. Chacun y projette ses propres fantasmes, ses propres jugements. Faudrait-il pour autant que je me taise ?


Télé 7 Jours : Non, mais peut-être refuser ce qui peut apparaître à certains comme de la provocation ?

Mylène Farmer : Je ne me lève pas le matin en pensant à ce que je vais bien pourvoir faire pour provoquer. La provocation, elle est dans la liberté que je me donne de dire les choses ou de proposer les images qui correspondent à ce que je ressens. Être un artiste, c'est déjà une provocation.


Télé 7 Jours : Le succès que vous avez connu, avec deux fois plus d'un million d'albums vendus, dont récemment pour L'autre..., vous a-t-il changée ?
Mylène Farmer : En dehors de cette capacité à pouvoir ne sortir un album que lorsque j'en ressens l'envie, cette liberté d'entreprendre les expériences qu'il me semble important d'entreprendre, cela m'a apporté un certain confort matériel qui est un grand privilège aujourd'hui.


Télé 7 Jours : Il se traduit comment ?
Mylène Farmer : Je peux m'offrir des beaux vêtements. Je m'habille souvent chez Alaïa, Issey Miyake, Jean-Paul Gaultier ou Romeo Gigli. Je peux m'offrir de beaux objets, des peintures. Pas celles encore que je souhaiterais. Je rêve, sans espoir, de posséder des toiles d'Egon Schiele ou de Miro. Je sais qu'il faudra me contenter d'aller les voir au musée. J'ai tout de même pu acheter des peintures abstraites que j'ai trouvées en allant voir les galeries ou en me rendant à la Fiac, à Paris. Elles ornent les murs de mon appartement.


Télé 7 Jours : Dans quel décor vivez-vous ?
Mylène Farmer : Un grand espace très peu meublé mais où chaque chose a été choisie avec passion.


Télé 7 Jours : Vous sortez peu ?
Mylène Farmer : Par nature, j'ai horreur des mondanités. Je parle peu, sinon avec un groupe restreint d'amis qui sont surtout très proches de mon métier.


Télé 7 Jours : C'est la crainte d'être observée ou adulée qui vous retient ?
Mylène Farmer : Les marques de reconnaissance des gens dans la rue sont toujours affectueuses, respectueuses. C'est finalement flatteur. Simplement, je ne me sens pas à l'aise quand je suis l'objet d'une telle attention.


Télé 7 Jours : Vous ne rêvez jamais, pour quelques heures, d'être une jeune femme comme les autres ?
Mylène Farmer : Cela m'est arrivé aux États-Unis où je suis allée deux étés de suite, deux mois et demi, pour y parfaire mon anglais. Je n'ai pas rencontré beaucoup plus de monde qu'à Paris, parce que, par nature, je suis timide et parle peu. Mais, j'ai pu aller et venir à ma guise. Me rendre dans des quartiers où vit une faune, étrange, amusante, sans me sentir moi aussi observée. Et puis, j'ai pu aussi passer mon permis de conduire.


Télé 7 Jours : Vous auriez pu le passer aussi à Paris ?
Mylène Farmer : J'avais très peur d'apprendre à conduire. A Los Angeles, c'est obligatoire si l'on veut se déplacer à sa guise. Mais surtout, j'avais envie d'être jugée pour ce dont j'étais vraiment capable. A Paris, si j'avais décroché le permis, je me serais peut-être demandée si, finalement on ne me l'avait pas "donné".


Télé 7 Jours : Vous êtes partie aux Etats-Unis pour chanter bientôt en anglais ?
Mylène Farmer : Oui, je chanterai en anglais si je peux exprimer et décrire ce que je ressens avec la même facilité en anglais qu'en français. J'ai également pris des cours d'anglais pour jouer dans le film que Laurent Boutonnat a écrit et que nous tournerons à partir de janvier en Tchécoslovaquie.


Télé 7 Jours : Vous réalisez enfin ce grand rêve de jouer la comédie ?
Mylène Farmer : C'était, avant la chanson, ma première envie et j'avais suivi des cours de théâtre pour cela. Depuis deux-trois ans, j'avais décidé de ne rien faire d'autre tant que je n'aurais pas fait cette expérience.


Télé 7 Jours : Par narcissisme ?
Mylène Farmer : Par envie de jouer un autre personnage que le mien, de nourrir ma vie d'artiste d'autres moments qui, j'espère, seront forts.


Télé 7 Jours : Laurent Boutonnat, qui vous connaît bien, vous a écrit sans doute un rôle sur mesure pour vous ? Avez-vous participé au scénario ?
Mylène Farmer : Non, mais j'ai suivi de très près toute l'aventure du film, les difficultés d'élaboration, de conception. Je me sens vraiment partie prenante de cette histoire. Le film, cependant, est totalement celui de Laurent.


Télé 7 Jours : Ce sera l'histoire...
Mylène Farmer : Top secret ! Tout ce que je peux en dire, c'est que ce sera plutôt un film romantique, interprété par des acteurs venant de pays divers.


Télé 7 Jours : Un film romantique, alors que vous êtes très pessimiste en ce qui concerne le futur ?
Mylène Farmer : Être pessimiste, c'est prendre position. Je n'ai pas tous les éléments pour juger de quoi demain sera fait. Mais je me dis que l'homme ne peut tendre qu'à évoluer vers le bien. Qu'il faille en passer par des luttes très dures, par le chaos, c'est possible. Peut-être un avenir meilleur est-il à ce prix ?


Télé 7 Jours : Vous semblez narguer beaucoup de tabous, mais au fond, vous avez une morale.
Mylène Farmer : J'ai un sens moral assez fort qui n'est pas forcément celui des morales ou des religions traditionnelles, bien que je respecte Dieu parce que je respecte tout ce qui ressemble à une démarche vers le don de soi et la foi.


Télé 7 Jours : Vous avez la foi ?
Mylène Farmer : >Une certaine foi dans ce que je fais, et qui m'interdit de faire ce en quoi je n'ai pas la foi.


Télé 7 Jours : Cet amour de l'autre, vous n'avez pas envie de le manifester dans la défense de certaines causes, humanitaires par exemple ?
Mylène Farmer : Dans ce domaine, le secret, la discrétion de l'action me paraissent la moindre des pudeurs.


Télé 7 Jours : Y a-t-il pourtant des hommes dont vous admiriez l'action, que vous aimeriez rencontrer ?
Mylène Farmer : J'ai une très grande admiration pour l'abbé Pierre. J'ai été passionnée par le reportage dans "Envoyé Spécial" sur sa retraite dans le désert. Son grand désespoir, son attente sereine de la mort. J'aurais aimé être près de lui dans le désert, sans même lui dire une parole.


Télé 7 Jours : Vous enviez cette sagesse de l'âge mûr ?
Mylène Farmer : J'ai du mal à vivre dans la sérénité, j'ai besoin de lutter, d'agir pour me sentir exister. Sinon, l'existence me paraît morne.


Télé 7 Jours : Vous sauriez vivre des amours sereines ?
Mylène Farmer : Difficilement. Je n'aime que la passion.


Télé 7 Jours : Vous êtes souvent amoureuse, alors ?
Mylène Farmer : Je suis tout le temps amoureuse.


Télé 7 Jours : Du même ou cela change ?
Mylène Farmer : Cela, ça ne vous regarde pas. Mais on peut mettre de la passion dans la reconquête perpétuelle du même.


Télé 7 Jours : Vous paraissez pourtant moins inquiète aujourd'hui, moins tournée vers vos démons intérieurs, votre passé ?
Mylène Farmer : Lorsque l'on écrit ou lorsque l'on sort de scène, on a tendance à s'interroger sur soi. En ce moment, je suis davantage tournée vers mes projets. Cela ne veut pas dire que le passé est oublié. Il est en moi. C'est en lui que je vais devoir plonger pour trouver les émotions qui nourriront mon prochain rôle au cinéma.


Télé 7 Jours : Cela peut se révéler douloureux ?
Mylène Farmer : Il n'y a qu'une seule chose qui me fasse vraiment peur, c'est la tiédeur.


Retranscription faite le 14 septembre 2011


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