Télé 7
Jours : Dans votre nouvel album, Dance
Remixes,
vous proposez quatorze anciens titres dans un nouvel "habillage"
et vous y ajoutez une nouvelle
chanson, Que
mon cœur lâche, où il est
question de "Toi,
entre nous,
caoutchouc"
et "D'amour plastique". C'est votre
contribution à la
prévention contre le sida ? Mylène
Farmer : J'ai déjà
participé à l'album Urgence en offrant
les droits de la chanson Dernier
sourire. Dans la situation actuelle, la conduite
à adopter pour se prémunir contre la maladie me
paraît aller de soi. Pourtant, je ne crois pas
qu'il m'appartienne d'aller dire aux gens "mettez ou ne mettez pas de
préservatif". Mon rôle
d'artiste consiste à communiquer mes
émotions. Dans cette chanson, je fais tout simplement un
constat sur l'amour de nos jours. Un amour perverti par la
menace de la maladie, par la question du préservatif qui se
pose d'emblée dès que l'on
ressent un élan vers l'autre. C'est
triste, mais c'est là une
réalité quotidienne à laquelle chacun,
moi y compris, est confronté. Télé 7
Jours : Vous parlez
d'amour
"lâche". Qu'est-ce qui est
lâche ? Parier sur la sécurité du
préservatif ou ne pas prendre le risque de s'en
remettre à l'autre ? Mylène
Farmer : Vous
ne me ferez pas dire que
mettre un préservatif, c'est lâche. Il
appartient à chacun de prendre ses
responsabilités. Télé 7
Jours : Des jeunes risquent de mal
interpréter vos propos, d'y voir une incitation
à un certain romantisme qui ferait fi du danger.
S'il en était ainsi, ne seriez-vous pas coupable
de laisser planer l'ambiguïté ? Mylène
Farmer : Il
n'en est pas
ainsi. Je ne laisse planer aucune ambiguïté. Je ne
vois pas où, dans ma chanson, j'ai
exprimé une quelconque incitation. Les gens n'ont
pas besoin de moi pour agir comme ils le pensent ou le veulent. Je
trouverais terrible d'avoir à
m'interdire de dire ce que j'ai envie de dire. Au
nom de quoi refuser de parler d'un problème ou
d'un autre ? Chacun de mes disques, de mes clips est
décortiqué, interprété.
Chacun y projette ses propres fantasmes, ses propres jugements.
Faudrait-il pour autant que je me taise ? Télé 7
Jours : Non, mais peut-être
refuser ce qui peut apparaître à certains comme de
la provocation ? Mylène
Farmer : Je
ne me lève pas le
matin en pensant à ce que je vais bien pourvoir faire pour
provoquer. La provocation, elle est dans la liberté que je
me donne de dire les choses ou de proposer les images qui correspondent
à ce que je ressens. Être un artiste,
c'est déjà une provocation. Télé 7
Jours : Le succès que vous
avez connu, avec deux fois plus d'un million
d'albums vendus, dont récemment pour L'autre...,
vous a-t-il
changée ? Mylène
Farmer : En
dehors de cette
capacité à pouvoir ne sortir un album que lorsque
j'en ressens l'envie, cette liberté
d'entreprendre les expériences qu'il me
semble important d'entreprendre, cela m'a
apporté un certain confort matériel qui est un
grand privilège aujourd'hui. Télé 7
Jours : Il se traduit comment ? Mylène
Farmer : Je
peux m'offrir des
beaux vêtements. Je m'habille souvent chez
Alaïa, Issey Miyake, Jean-Paul Gaultier ou Romeo Gigli. Je
peux m'offrir de beaux objets, des peintures. Pas celles
encore que je souhaiterais. Je rêve, sans espoir, de
posséder des toiles d'Egon Schiele ou de Miro. Je
sais qu'il faudra me contenter d'aller les voir au
musée. J'ai tout de même pu acheter des
peintures abstraites que j'ai trouvées en allant
voir les galeries ou en me rendant à la Fiac, à
Paris. Elles ornent les murs de mon appartement. Télé 7
Jours : Dans quel décor
vivez-vous ? Mylène
Farmer : Un
grand espace très
peu meublé mais où chaque chose a
été choisie avec passion. Télé 7
Jours : Vous sortez peu ? Mylène
Farmer : Par
nature, j'ai
horreur des mondanités. Je parle peu, sinon avec un groupe
restreint d'amis qui sont surtout très proches de
mon métier. Télé 7
Jours : C'est la crainte
d'être observée ou adulée qui
vous retient ? Mylène
Farmer : Les
marques de reconnaissance
des gens dans la rue sont toujours affectueuses, respectueuses.
C'est finalement flatteur. Simplement, je ne me sens pas
à l'aise quand je suis l'objet
d'une telle attention. Télé 7
Jours : Vous ne rêvez jamais,
pour quelques heures, d'être une jeune femme comme
les autres ? Mylène
Farmer : Cela
m'est
arrivé aux États-Unis où je suis
allée
deux étés de suite, deux mois et demi, pour y
parfaire mon anglais. Je n'ai pas rencontré
beaucoup plus de monde qu'à Paris, parce que, par
nature, je suis timide et parle peu. Mais, j'ai pu aller et
venir à ma guise. Me rendre dans des quartiers où
vit une faune, étrange, amusante, sans me sentir moi aussi
observée. Et puis, j'ai pu aussi passer mon permis
de conduire. Télé 7
Jours : Vous auriez pu le passer aussi
à Paris ? Mylène
Farmer : J'avais
très peur d'apprendre à conduire. A Los
Angeles, c'est obligatoire si l'on veut se
déplacer à sa guise. Mais surtout,
j'avais envie d'être jugée
pour ce dont j'étais vraiment capable. A Paris, si
j'avais décroché le permis, je me
serais peut-être demandée si, finalement on ne me
l'avait pas "donné". Télé 7
Jours : Vous êtes partie aux
Etats-Unis pour chanter bientôt en anglais ? Mylène
Farmer : Oui,
je chanterai en anglais si
je peux exprimer et décrire ce que je ressens avec la
même facilité en anglais qu'en
français. J'ai également pris des cours
d'anglais pour jouer dans le film que Laurent Boutonnat a
écrit et que nous tournerons à partir de janvier
en Tchécoslovaquie. Télé 7
Jours : Vous réalisez enfin ce
grand rêve de jouer la comédie ? Mylène Farmer
: C'était,
avant la chanson, ma première envie et j'avais
suivi des cours de théâtre pour cela. Depuis
deux-trois ans, j'avais décidé de ne
rien faire d'autre tant que je n'aurais pas fait
cette expérience. Télé 7
Jours : Par narcissisme ? Mylène
Farmer : Par
envie de jouer un autre
personnage que le mien, de nourrir ma vie d'artiste
d'autres moments qui, j'espère, seront
forts. Télé 7
Jours : Laurent Boutonnat, qui vous
connaît bien, vous a écrit sans doute un
rôle sur mesure pour vous ? Avez-vous participé au
scénario ? Mylène
Farmer : Non,
mais j'ai suivi
de très près toute l'aventure du film,
les difficultés d'élaboration, de
conception. Je me sens vraiment partie prenante de cette histoire. Le
film, cependant, est totalement celui de Laurent. Télé 7
Jours : Ce sera
l'histoire... Mylène
Farmer : Top
secret ! Tout ce que je
peux en dire, c'est que ce sera plutôt un film
romantique, interprété par des acteurs venant de
pays divers. Télé 7
Jours : Un film romantique, alors que
vous
êtes très pessimiste en ce qui concerne le futur ? Mylène Farmer
: Être
pessimiste,
c'est prendre position. Je n'ai pas tous les
éléments pour juger de quoi demain sera fait.
Mais je me dis que l'homme ne peut tendre
qu'à évoluer vers le bien.
Qu'il faille en passer par des luttes très dures,
par le chaos, c'est possible. Peut-être un avenir
meilleur est-il à ce prix ? Télé 7
Jours : Vous semblez narguer beaucoup de
tabous, mais au fond, vous avez une morale. Mylène Farmer
: J'ai
un sens moral
assez fort qui n'est pas forcément celui des
morales ou des religions traditionnelles, bien que je respecte Dieu
parce que je respecte tout ce qui ressemble à une
démarche vers le don de soi et la foi. Télé 7
Jours : Vous avez la foi ? Mylène Farmer : >Une certaine foi dans ce que je
fais, et qui m'interdit de faire ce en quoi je n'ai
pas la foi. Télé 7
Jours : Cet amour de l'autre,
vous n'avez pas envie de le manifester dans la
défense de certaines causes, humanitaires par exemple ? Mylène Farmer
: Dans
ce domaine, le secret, la
discrétion de l'action me paraissent la moindre
des pudeurs. Télé 7
Jours : Y a-t-il pourtant des hommes dont
vous admiriez l'action, que vous aimeriez rencontrer ? Mylène Farmer
: J'ai
une
très grande admiration pour l'abbé
Pierre. J'ai été passionnée
par le reportage dans "Envoyé Spécial" sur sa
retraite dans le désert. Son grand
désespoir, son attente sereine de la mort.
J'aurais aimé être près de
lui dans le désert, sans même lui dire une parole. Télé 7
Jours : Vous enviez cette sagesse de
l'âge mûr ? Mylène
Farmer : J'ai
du mal
à vivre dans la sérénité,
j'ai besoin de lutter, d'agir pour me sentir
exister. Sinon, l'existence me paraît morne. Télé 7
Jours : Vous sauriez vivre des amours
sereines ? Mylène
Farmer : Difficilement.
Je
n'aime que la passion. Télé 7
Jours : Vous êtes souvent
amoureuse, alors ? Mylène
Farmer : Je
suis tout le temps amoureuse. Télé 7
Jours : Du même ou cela change ? Mylène Farmer
: Cela,
ça ne vous
regarde pas. Mais on peut mettre de la passion dans la
reconquête perpétuelle du même. Télé 7
Jours : Vous paraissez pourtant moins
inquiète aujourd'hui, moins tournée
vers vos démons intérieurs, votre
passé ? Mylène Farmer
: Lorsque
l'on
écrit ou lorsque l'on sort de scène, on
a tendance à s'interroger sur soi. En ce moment,
je suis davantage tournée vers mes projets. Cela ne veut pas
dire que le passé est oublié. Il est en moi.
C'est en lui que je vais devoir plonger pour trouver les
émotions qui nourriront mon prochain rôle au
cinéma. Télé 7
Jours : Cela peut se
révéler douloureux ? Mylène Farmer
: Il
n'y a
qu'une seule chose qui me fasse vraiment peur,
c'est la tiédeur. Retranscription
faite le 14 septembre 2011