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Mylène Farmer - Interview - Télé 7 Jours- 30 octobre 1995



  • Date
    30 octobre 1995
  • Média / Presse
    Télé 7 Jours (N°1849)
  • Interview par
    Fabrice Guillermet
  • Fichiers
    Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours programmes du 04 au 10 novembre 1995 N°1849 Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours programmes du 04 au 10 novembre 1995 N°1849 Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours programmes du 04 au 10 novembre 1995 N°1849 Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours programmes du 04 au 10 novembre 1995 N°1849 Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours programmes du 04 au 10 novembre 1995 N°1849
  • Catégories interviews



Interview réalisée à l'hôtel Ritz, Suite Coco Chanel. Mylène, détendue, soignant un début de grippe au thé citron.


Télé 7 Jours : Vous avez appelé votre nouvel album Anamorphosée. Encore des jeux de déformation, de travestissement, la fuite de la réalité ?
Mylène Farmer : L'anamorphose est un phénomène optique qui rassemble les rayonnements épars. Ma perception de la vie s'est élargie. C'était le meilleur moyen de concentrer cette vision.


Qu'est-ce qui a élargi cette perception ?
Voyager. En voyant d'autres choses, d'autres gens, d'autres pays, j'ai enfin accepté la vie. Je suis moins hantée par la mort. Je suis apaisée à l'idée qu'il y ait une vie après la mort. L'idée de la mort m'a longtemps attirée, impressionnée et oppressée. Aujourd'hui je me suis libérée de cette hantise.


Accepter la vie en acceptant la mort est une chose. S'accepter soi-même en est une autre…
Cela fait partie du même mouvement. Un long chemin. Une façon de relativiser.


Dans votre manière de vous protéger, vous pourriez donner l'impression de vivre hors du monde, entre limousines, suites d'hôtel et villas.
Je suis partie de Paris pour avoir une sorte de perte d'identité. A Los Angeles, personne ne me connaît. En me promenant dans la rue, en toute liberté, j'ai réveillé des sens que je croyais avoir oubliés. J'étais atrophiée. Je suis allée là-bas parce que j'avais à la fois besoin d'atmosphère urbaine et d'espace. Îlle déserte et cocotiers ne me conviennent guère.


Qu'est-ce qui vous était devenu insupportable, ici ?
L'idée de l'enfermement, justement, que je m'étais imposé et que mon métier entretenait.


Et ce rapport exclusif que vos fans ont avec vous ?
Je ne me suis jamais sentie agressée, mais j'ai du mal à comprendre qu'on puisse m'attendre des journées entières, voire des nuits, devant ma porte. Comment répondre à cette attente ? L'enfermement étant dans ma nature profonde, je me confinais dans cet univers très clos.


Dans l'image que vous avez peaufinée avec Laurent Boutonnat, ces photos tellement surexposées qu'elles n'impressionnent pas vos traits, n'y avait-il pas le désir d'être transparente, absente ?
Sûrement plus qu'une simple volonté esthétique. J'ai toujours en moi le conflit entre l'ombre et la lumière.


Quels rapports entretenez-vous avec votre corps ? Vous trouvez-vous bien dans votre peau ?
C'est une question pour la rubrique santé ! Plus sérieusement, sur le chemin de l'équilibre, je bascule encore vers l'angoisse. Je ne me suis jamais trouvée jolie, cela ne change pas. A force de ne pas s'aimer, on se ferme aux autres.


Vous avez donc décidé de vous aimer ?
De m'accepter et de ne plus me concentrer sur moi-même.


Vous avez souvent évoqué la psychanalyse. Sans sauter le pas ?
Je crois avoir fait toute seule un chemin qui s'en approche.


Dans ce chemin, y a-t-il l'aide de Laurent Boutonnat ?
Certainement, mais je crois qu'il faut être seul à un moment donné. C'est plus un monologue qu'un dialogue. Evidemment Laurent est présent dans ma vie, dans ma vie de tous les jours. Sa présence m'est très importante.


Vous avez tous les deux presque le même âge. Pourtant, dès votre rencontre, il a tenu le rôle du mentor, voire du Pygmalion.
La seule évidence dans notre rencontre est une chance réciproque qui ne s'est jamais démentie. Sa force est d'avoir une caméra dans la tête qui façonne sans cesse des images. Il n'écrit pas seulement les musiques de nos chansons.


Jamais vous n'avez travaillé séparément. Jamais une infidélité. Aucune lassitude ?
Aller voir ailleurs ne m'a même pas effleurée.


Mylène Farmer Photo Claude Gassian
Photo: Claude Gassian (1995)


Dans une des chansons de l'album, vous évoquez le Prozac. Est-ce que les antidépresseurs vous accompagnent ?
Je n'en ai jamais absorbé. Je vais m'en tirer par une pirouette. Ça a été juste l'occasion d'un jeu de mots.


Et dans California, ID (Identity document, ndlr), LAPD (Los Angeles Police Department, ndlr), n'y a-t-il pas du snobisme dans ces allusions indéchiffrables pour qui ne connaît pas Los Angeles ?
Au contraire. J'espère que les gens s'amuseront à aller chercher. C'est ludique.


Votre goût des jeux de mots, comme Eaunanisme, une autre chanson, c'est un plaisir ancien ou solitaire ?
J'aime les mots depuis toujours, leur sonorité et m'amuser avec, voilà tout.


Un côté enjoué que vous nous aviez caché ?
Ma manière d'évoquer la joie n'est peut-être pas décodable facilement. J'ai en moi de l'humour, plus que de la joie.


Pour défendre cet album, on ne vous verra pas à la télé ou alors très peu, peut-être dans "Fréquenstar", sur M6.  Est-ce encore le besoin de se faire rare ?
Rencontrer les médias est un exercice qui m'est toujours aussi difficile. Et puis la télévision est de plus en plus anecdotique et inintéressante. Je n'ai pas la prétention de me prétendre au-dessus de cela, mais, si je vais à une émission, je veux toujours y trouver mon intérêt.


Sur quoi êtes-vous le plus critique ?
Le clonage, cette tendance à la multiplication des mêmes images et des mêmes propos, et le cynisme. L'invité devient de plus en plus le faire-valoir de l'animateur. Je la regarde de moins en moins. Depuis mon retour à Paris, seuls les programmes de la chaîne Planète m'intéressent vraiment.


Apparaissant tout à tour mystérieuse puis dévoilée, navigant dans l'ambiguïté, êtes-vous vous-même ambiguë ?
Prenons l'exemple d'une relation amoureuse. Le non-dit, une certaine ambiguïté, l'idée de secret me paraissent essentiels pour sa réussite. Et puis, que voulez-vous, oui, cela est dans ma nature.


Face à un problème, êtes-vous hésitante ?
Je suis intuitive même si je prends le temps de réfléchir. Les doutes font aussi partie de moi, pas l'hésitation.


Êtes-vous indépendante ?
Je le pense, mais j'ai besoin de l'autre. On apprend toujours de l'autre. Une solitude permanente m'est impossible.


Avec Laurent, vous travaillez de manière indépendante, vous êtes producteurs de vos disques. En était-il de même pour le film Giorgino ?
Je n'étais qu'actrice dans cette aventure. Cet échec a été très douloureux pour Laurent.


Pour vous aussi ?
L'urgence n'était pas ma réaction mais la sienne. Je ne vous en dirai pas plus. C'est de l'ordre de l'intime.


Avant de chanter, vous envisagiez d'être actrice. Cet échec risque-t-il de mettre à nouveau en sommeil cette vocation ?
Je ne me suis jamais fait miroiter une carrière d'actrice et je continue à recevoir des scénarios.


Allant jusque là de succès en succès, ne croyiez-vous pas que vous y étiez abonnée ?
C'est l'extérieur qui véhicule cette illusion, comme si je n'étais qu'un chiffre du "Top 50". Si vous vendez deux disques de moins que le précédent, vous faites un flop. C'est ridicule, grotesque, affligeant.


Vous regardez peu en arrière.
J'essaie de vivre l'instant présent. Je crois à "l'impermanence" des choses. Il faut saisir ce mouvement. Quand le passé est un fardeau, il freine l'évolution. L'avenir n'est pas pour autant sans angoisse.


C'est pour ça que vous n'évoquez presque jamais votre enfance ?
Je n'ai quasiment pas de souvenirs d'enfance mais aujourd'hui, cette occultation n'est plus douloureuse. Il y a une époque où j'appréhendais à chaque interview de devoir justifier un trou noir.


Mylène Farmer ne serait née qu'adolescente ?
Peut-être. Oui.


Vous qui parlez si souvent de la mort, vous savez que le plaisir sexuel y est souvent associé. Pour l'orgasme, on dit "la petite mort". Est-ce un sujet majeur pour vous ?
Majeur pour les journalistes en tout cas. Bien sûr que cela compte pour moi, mais je suis sevrée d'en parler.


Avec les thèmes que vous évoquez dans vos chansons, pensez-vous avoir une responsabilité morale ?
Restons simples, la chanson reste la chanson, ce n'est qu'un art mineur comme disait Gainsbourg. J'essaie de dédramatiser mon rôle, mais j'y pense souvent.


Cela va-t-il jusqu'à l'autocensure ?
L'idée de censure, même "auto", me révulse. S'interdire de dire les choses n'est pas une solution. Les tabous ont toujours empêché d'aller de l'avant.