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Mylène Farmer - Interview - Télé moustique - Octobre 1999



  • Date
    13 octobre 1999
  • Média / Presse
    Télé Moustique (Belgique)
  • Interview par
    Jean-Luc Cambien
  • Fichiers
    Mylène Farmer - Presse - Télé Moustique - 13 octobre 1999 Mylène Farmer - Presse - Télé Moustique - 13 octobre 1999  Mylène Farmer - Presse - Télé Moustique - 13 octobre 1999  Mylène Farmer - Presse - Télé Moustique - 13 octobre 1999  Mylène Farmer - Presse - Télé Moustique - 13 octobre 1999  Mylène Farmer - Presse - Télé Moustique - 13 octobre 1999
  • Catégories interviews



Troisème interview presse  (après "Elle" et "Vogue") depuis la sortie de l'album Innamoramento en avril 1999 et la première depuis le début de la tournée, le Mylenium Tour.
Interview réalisée le 10 octobre 1999, dans un hôtel, le lendemain du troisième et dernier concert de Mylène à Bruxelles.
Des photos inédites de Philippe Salomon (des clichés issus de la même série illustrent les supports du troisième extrait de l'album, Souviens-toi du jour, sorti depuis le 28 septembre.



Télé Moustique : Vous semblez moins rétive aux interviews qu'auparavant. Tenez-vous à dissiper faux mystères et vrais malentendus ?
Mylène Farmer : Non. J'ai donné deux interviews à la sortie de l'album et vous êtes le premier que je rencontre depuis le début de la tournée. Je ne veux rien infirmer, ou alors que je ne m'appelle pas Marie-Hélène mais bien Mylène. Ce genre de choses (sourire) Par contre, tenter de se justifier me semble une perte de temps et expliquer une chanson ou une image me dérange toujours, même si je trouve très flatteur qu'on s'intéresse à moi et à mon travail. Je comprends que ce soit tentant.


C'est d'autant plus tentant pour un succès comme Je te rends ton amour. On sent que la chanson est construite sur des références précises, mais il est impossible de la décrypter totalement.
Moi je sais ce que signifie la chanson très précisément. Mais ce n'est pas à moi d'imposer une interprétation. Cela peut être une histoire d'amour ou l'histoire d'un détournement de Dieu.


Elle fait référence à la peinture, à Gauguin mais aussi en particulier au peintre expressionniste autrichien Egon Schiele...
Que sa signature soit au bas de la chanson sur le livret du CD est tout à fait voulu. Je me retrouve totalement dans son univers écorché. C'est un peintre peu connu et je sais que pratiquement personne dans mon public ne comprendra cette référence. Le découvrir n'est pas nécessaire, mais j'ai envie de susciter une curiosité, exactement comme pour moi, un livre m'emmène vers un autre écrivain.


Vous avez des fan-clubs acharnés où ces références sont détaillées et commentées. Que pensez-vous de cette démarche ?
Je n'ai aucun rapport avec mes fan-clubs. Contrairement à d'autres artistes, je n'ai pas voulu fonder mon fan-club officiel. Mais je sais, parce que quand même on me le rapporte, que certains font un très bon travail. J'interdis par contre que quelqu'un se mette à parler en mon nom ou se serve de mon nom pour installer un marché parallèle (chaque communication de ses "fan-clubs" spontanés porte la mention: "aucun merchandising ne sera organisé autour du nom et de la personne de Mademoiselle Mylène Farmer").


Régulièrement, des magazines présentent comme une interview une suite de déclarations recomposées à partir d'entretiens divers et donnés à des périodes différentes. Le procédé vous dérange ?
Cela m'agace parfois mais je dois aussi reconnaître que, puisque je parle rarement, c'est parfois un pieux mensonge, la réponse a un mystère qui me sert aussi. Ces soit-disant déclarations de départ sont déjà reconstruites et deviennent parfois une bouillie verbale incompréhensible. Sur certains points, j'ai certainement changé mais il faudrait voir précisément lesquels. En tout cas, je ne renie rien de ce que j'ai fait ou dit.


Vous avez quand même voulu préciser que vous n'étiez pas une catin, même si vous le chantiez dans Libertine.
Mais ce personnage fait partie de moi. Transposé au 18ème siècle ou non, je ne suis pas une catin mais cela n'empêche pas l'envie d'exprimer certaines choses à travers leur théâtralisation. Mais à la fois, je me défends et je me dis que cela n'est pas très important. En l'an 2000, cela ne me dérange pas.


En parlant du trouble qu'a provoqué en vous ce personnage, vous laissez sous-entendre qu'il vous était d'abord étranger. Le Marquis de Sade, par exemple, on vous a conseillé de le lire ?
Ce n'est pas une lecture imposée. On ne m'a rien imposé. Sade est quelqu'un que j'ai aimé et que je lis toujours.


On réduit souvent Sade au sadisme, à la sexualité pervertie, mais son discours, contemporain des grands philosophes, est éminemment révolutionnaire. Sur votre album, vous avez placé une citation de Francesco Alberoni qui compare également l'amour naissant aux mouvements collectifs révolutionnaires.
Oui, vivre sans emprise, sans censure, vivre en toute liberté, c'est ce que j'ai envie de défendre.


Le mot "collectif" surprend pourtant. Vous menez une révolte dans le clip de Désenchantée mais vous refusez l'idée d'être un porte-drapeau...
Disons que c'est par pudeur. Je ne veux pas assumer un tel poids mais, paradoxalement, j'ai cette réserve et, en même temps, j'aime aussi être celle qui incite à cet élan. Quand je vois ce qui se passe dans la salle pour Désenchantée, cela me fait énormément plaisir. Être la première à avoir formulé ces mots ("Tout est chaos / A côté / tous mes idéaux: des mots / âbimés") et qu'une génération s'y retrouve... C'est enivrant.


Le nombre d'artistes qui suivent une psychothérapie prouve que créer ne guérit de rien mais il est quand même étonnant que vous en refusiez l'idée alors que votre travail a si souvent été "psychanalysé".
La création, certainement, ne soigne pas. La psychanalyse m'intéresse, intellectuellement. On peut sans doute guérir de ses névroses mais j'ai vu des gens encore plus névrosés après avoir consulté. J'éprouve une curiosité, mais si j'avais suivi une analyse ou si je le faisais, je ne le dirais pas. Je me donne le droit de faire les réponses qui m'arrangent. Il faut se méfier de mes déclarations d'un moment. Les choses ne restent pas les mêmes. C'est un des enseignements du bouddhisme.


Le bouddhisme enseigne que l'attachement aux choses et aux gens possède aussi un aspect négatif. Est-il plus facile ou plus difficile de renoncer quand on a tout ?
On apprend, on se méfie davantage, on prend du recul mais je ne suis pas sûre de renoncer. Je suis très consciente d'avoir une vie privilégiée. Maintenant, ce "tout" me gêne. Sur ce "tout" des zones d'ombre peuvent ressurgir. Je reçois de belles réponses du public mais elles ne suffisent pas tous les jours.


La passion ne dure pas, mais est-ce si grave ?
Sans doute pas et c'est en ce qui me concerne un de ces changements dont je vous parlais. Qu'une passion disparaisse, c'est le seul moyen de faire place à une autre passion mais, quand même, la "dépassion" a quelque chose d'effrayant. La vulnérabilité est en tout cas un compagnon agréable et nécessaire.


Malgré l'échec de Giorgino que vous avez tourné pour Laurent Boutonnat, vous rêvez toujours de cinéma. Parce qu'un film ne connaît que des moments forts ?
Il y a certainement de cela, ne connaître que des moments choisis... Je ne rêve pas du tout d'une carrière d'actrice, mais le cinéma est aussi une telle évasion, dans le drame ou le rire d'ailleurs, il fait tellement partie de ma vie que je voudrais en retour participer à la sienne.


Vous preniez des cours de comédie et vous êtes devenue chanteuse...
Je n'y suis pour rien. Pour le coup, la chanson m'a choisie, moi qui ne pensais pas à chanter. J'ai eu une grande chance dont je n'étais pas consciente au début. Cela me convient parfaitement aujourd'hui. Sans dramatiser, ce qui se passe sur scène est chaque soir si exceptionnel, tellement fort, cela me ferait presque pleurer (un soupçon de larme lui monte aux yeux). Pardon.


Sur scène, chaque soir, sur deux chansons, vous pleurez. Vous suscitez vos larmes comme peut le faire une actrice ?
Je ne crois pas avoir ce talent de comédienne. Ce sont des chansons qui me parlent à moi, qui évoquent des choses qui me touchent, que je dois exprimer. Mais mon histoire est vécue de la même façon par le public. Ce sont aussi des moments forts pour lui. Il attend ces larmes mais c'est l'échange qui en fait le prix. Mes mots n'ont d'importance que parce qu'ils parlent pour le public.


On l'a beaucoup écrit mais avez-vous personnellement la conviction de signifier plus pour vos fans que ce que représente habituellement un artiste pour son public ?
Je ne crois pas que je continuerais sans cette qualité de dialogue assez exceptionnelle. J'ai besoin de ça pour, le mot est fort, survivre. Et je ne veux pas seulement dire survivre dans ce métier car ce métier est ma vie. Je vis mal sans lui, quand je n'écris pas, que je ne chante pas, que je ne suis pas sur scène, ce qui est l'essence de ce métier.


Cet amour peut aussi virer au cauchemar. Il y a une dizaine d'années, un fan déçu de ne pouvoir vous rencontrer a abattu la réceptionniste de votre maison de disques.
Ce sont des moments extrêmement perturbants à vivre. Je ne sais pas s'ils sont inhérents à ce métier. Je ne veux pas trop y penser. Je ne me considère pas comme quelqu'un d'assez exceptionnel pour penser sans cesse à ces dérapages toujours possibles. Ceci dit, je suis protégée.


Vous vivez à Los Angeles ?
Je n'ai jamais vécu aux Etats-Unis. J'y ai seulement passé huit mois.


Mais il paraît que vous vous ennuyez à Paris. Qu'est-ce que c'est, l'ennui et son contraire pour vous ?
Je m'ennuie vite quand je ne crée pas, quand je ne suis pas absorbée par un être, des êtres (elle a corrigé rapidement). Mais la nature de cet ennui n'est pas de ne pas savoir quoi faire pour s'occuper. C'est l'ennui d'un philosophe comme Cioran. Cet ennui est en moi, profondément, inexplicablement et, contre lui, il n'est pas grand-chose à faire.


Cher ou les Pet Shop Boys ont sur scène une démarche similaire, mais la conception de vos spectacles n'a pas d'équivalent français. Comment en avez-vous eu l'idée ?
Je vais très peu aux concerts mais cette volonté est née par nécessité. Justement parce que je m'ennuierais derrière un pied de micro. J'ai besoin d'une mise en scène, d'un show total qui crée une ébullition. Ce doit être un rêve. Cette exigence explique que j'ai attendu sept ans avant de monter la première fois sur scène.


On vous compare à Madonna. Pourtant vous suggérez la sexualité, là où elle la simule sans ambiguïté et parfois sans goût (elle acquiesce de la tête). Cela vous dérange qu'on n'établisse pas plus souvent cette distinction ?
Si cela me dérange ? Oui et non, au fond. Ce jeu des comparaisons ne m'intéresse pas. C'est surtout un jeu auquel s'amusent les médias.


Vous donnez l'impression de vivre dans un monde clos mais, parfois, on vous découvre également curieuse.
Je pense être quelqu'un de très curieux, curieux de l'autre d'abord, des êtres humains, de peinture, de littérature. J'aime voyager et découvrir mais je suis aussi confinée dans un monde clos. Je suis quelqu'un de solitaire, réfugiée dans sa bulle et qui en sort peu. Mais vous savez, on parle de moi et de mes paradoxes mais ils sont pareils pour tout le monde. Chaque être a ses déséquilibres et son chaos intérieur.


La sincérité semble une question centrale pour vous mais les médias tentent plutôt de démontrer que vous calculez vos chansons, vos clips et vos attitudes.
Tant pis pour eux mais aussi tant pis pour moi. Je parviens très bien à m'extraire de la critique, mais en même temps, on est humain et on ne peut s'empêcher d'être meurtri.


Dans vos clips, vous incarnez régulièrement des personnages qui ne plient pas, même sous la torture et la menace. Vous tenez à cette notion d'héroïsme ?
Quand je réfléchis à un clip, je n'écris pas sur une feuille blanche que je vais utiliser tel élément pour signifier ceci, incarner cela. Mais l'idée qui me plait surtout, c'est sans doute de ne plus être une créature terrestre.


Parce qu'être humain, c'est forcément accepter des compromis ?
L'être humain est un sac de compromis, définitivement (elle en rit d'aise). Moi j'aime le monde des fées, des extra-terrestres, l'idée de l'au-delà. J'aime ce qu'on a du mal à voir...
Mylène Farmer Photo Philippe Salomon
Photo: Philippe Salomon

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