Mylène Farmer - Interview - TV Video Jaquettes - Juin 1986

TV Vidéo Jaquettes : Comment est née cette "Libertine" ?
Mylène Farmer : Le texte de la chanson ? C'est presque une idée à moi : on était en studio, et au moment de placer ma voix sur la structure musicale qu'on mettait en place, j'ai chanté des paroles au hasard, je devais être très heureuse ce jour-là, je chantais "je suis une pute, une putain" ! Le compositeur s'est dit "Bon sang, mais c'est bien sûr !" et il en a fait "Libertine"  !


TV Vidéo Jaquettes : Et l'histoire que raconte le clip dont l'esthétique fait penser à Barry Lindon ?
Mylène Farmer :  C'est une déformation professionnelle de faire cette référence ! Mais c'est vrai qu'il y a un travail des lumières un peu analogue, des éclairages à la bougie, des maquillages blancs ;  le libertinage évoquait le 17è siècle et comme j'aime beaucoup le film de Ridley Scott, Duellistes, je voulais insérer un duel. Tout ce travail s'est fait à deux, je n'en revendique pas la p(m)aternité ! Ce qui compte, c'est le résultat ! Ma part à moi est d'être présente dans tout.


TV Vidéo Jaquettes : Quel cinéma aimez-vous ?
Mylène Farmer : Des cinéastes plutôt : Stanley Kubrick, Elia Kazan, Polanski, Clouzot, Jean-Jacques Annaud...


TV Vidéo Jaquettes : Regardez-vous les films en vidéo chez vous ?
Mylène Farmer : De plus en plus, par fainéantise ! Je regarde tous les films que j'ai ratés pendant une période où je n'avais pas envie d'aller au cinéma, peut-être parce que j'avais envie d'en faire ! Je viens de revoir pour la 50è fois Un tramway nommé désir et bientôt je vais voir E.T. dont on va me prêter une cassette !


TV Vidéo Jaquettes : Vous a-t-on proposé de faire du cinéma !
Mylène Farmer : Non, je ne vais pas au devant des gens qui pourraient m'en faire faire, je sors peu et surtout, avoir fait deux clips dans un esprit cinéma ne prouve pas qu'on est une fabuleuse comédienne !


TV Vidéo Jaquettes : Pourquoi faites-vous mourir Libertine à la fin du clip comme dans un film où il est "moral" de supprimer une fille de petite vertu ?
Mylène Farmer : Là j'avoue que c'est une idée du metteur en scène, je trouve que la fin est belle, c'est une histoire triste de toute façon, mais rassurez-vous, c'est la version cinéma ! A la télévision, elle est écourtée, on ne voit pas le duel du début, ça commence avec le galop du cheval et ça se termine à la sortie du salon, avant que Libertine ne meure.


TV Vidéo Jaquettes : Une chanson immorale devrait finir immoralement, non ? Où se situent d'après vous l'immoralité et la provocation qu'on vous attribue dans la presse ?
Mylène Farmer : Fatalement à travers mes chansons, et aussi dans les chorégraphies que je fais à la Télé ; certains gestes dérangent terriblement les gens.


TV Vidéo Jaquettes : Vous vous déshabillez dans un clip, est-ce une provocation ou une nécessité ?
Mylène Farmer : Ce n'est jamais nécessaire de se dénuder, c'est toujours accessoire et c'est bien ou malvenu, vulgaire ou aussi normal que boire une tasse de thé. Là, en l'occurrence, je ne crois pas que ça soit vulgaire, on parle de libertinage, alors s'il n'y a pas une paire de fesses ou un moment de nudité... ! Je n'ai pas grand-chose à dire à ce sujet, se produire devant une caméra et dévoiler des secrets, c'est aussi obscène que se mettre nue à l'écran.


TV Vidéo Jaquettes : Feriez-vous comme Marushka Detmers dans Le diable au corps ?
Mylène Farmer : C'est un peu vicieux comme question ! Là je réfléchirais. Je pense que ce n'était pas indispensable de faire ça dans un film, sinon pour provoquer des entrées !


TV Vidéo Jaquettes : Cultivez-vous une image de marque ?
Mylène Farmer : Pas réellement, je réfléchis à une pochette de disque, une télévision, des photos de presse, des interviews, je ne sais pas...


TV Vidéo Jaquettes : Faites-vous attention à ne pas dire certaines choses ?
Mylène Farmer : Certaines, oui. Je ne les dis plus car elles étaient mal comprises !


TV Vidéo Jaquettes : Vous mentez ?
Mylène Farmer : Oui, bien sûr ! C'est le privilège de l'artiste ! Le mot de sincérité qui revient constamment partout, je le bannis complètement dans ce métier de faux-semblants !


TV Vidéo Jaquettes : Pensez-vous avoir innové dans le domaine de la chanson ?
Mylène Farmer :  La chanson est un art mineur, comme dit Gainsbourg, il ne faut pas se prendre au sérieux ! J'ai évoqué des sujets comme la mort, la mère, la religion, on n'en a pas trop parlé en chanson.


TV Vidéo Jaquettes : Qu'est-ce que vous aimiez écouter à vos débuts ?
Mylène Farmer : Rien, je n'aimais rien ni personne ! (rires !) Si,  Jacques Dutronc, je l'aime toujours d'ailleurs. Je crois n'avoir pas écouté beaucoup de musique étant enfant. Après, je me suis tournée vers la musique de films et je continue, un peu la musique classique aussi. Au début, j'aimais le film et la musique, à présent je n'ai pas besoin de connaître les images pour acheter un disque de musique de film, surtout celles de John Barry que j'adore.


TV Vidéo Jaquettes : Avez-vous pris des courts de chant ?
Mylène Farmer : Non, je bénéficie des qualités de mes défauts ! Une voix fluette qui intéresse les gens, telle quelle !


TV Vidéo Jaquettes : Avez-vous réellement suivi une éducation religieuse ?
Mylène Farmer : Je peux vous mentir, là ! (rires) J'ai été traumatisée par les bonnes sœurs, elles me tapaient, je renversais mes desserts par terre...


TV Vidéo Jaquettes : Vous avez mis le feu ?
Mylène Farmer : Non, j'aurais bien aimé, mais je n'avais pas encore l'esprit à ça ! Maintenant je crois que je le ferais, et puis (prenant l'air convaincu) je me dis des fois qu'un jour je vais rentrer dans les ordres.


TV Vidéo Jaquettes : Vous ne me direz pas si vous en avez souffert ?
Mylène Farmer : (retenant un sourire, et d'un air de regret) Je n'ai pas envie de mentir aujourd'hui ! (rires) Non sincèrement, bien que je n'aie aucune attirance pour ce milieu...


TV Vidéo Jaquettes : On raconte que vous avez fait du dessin ?
Mylène Farmer : Oui, j'ai peu de temps pour ça et je n'ai pas beaucoup d'imagination, mes dessins sont toujours un peu morbides, je fais des bonhommes désarticulés...


TV Vidéo Jaquettes : Avez-vous fait toutes les cascades à cheval dans Libertine ?
Mylène Farmer : J'ai fait de l'équitation pendant cinq ans, maintenant je n'ai plus le temps, mais si j'avais un cheval je le monterais souvent et librement, sans aller dans un manège, sans l'embêter ! Je voulais faire les cascades moi-même dans Libertine, mais c'est finalement une cascadeuse qui est montée en selle sur le cheval au galop et m'a doublée pour certains plans de bagarre ; si j'avais eu un accident, tout aurait été annulé !


TV Vidéo Jaquettes : Me direz-vous combien a coûté le clip de Libertine ? (Plus Grandir avait eu un budget de 330 000 F !)
Mylène Farmer : Non ! (elle rit) Ça n'a pas coûté cent briques comme certains le prétendent, je n'ai pas envie de donner le prix ! Si les gens le croient très cher, c'est qu'il est réussi, et il a coûté la moitié de ce que vaut un clip français habituellement ! Un minimum d'argent, un maximum de talent !


TV Vidéo Jaquettes : Ecrivez-vous des histoires ?
Mylène Farmer : Non, je n'écris rien, j'efface !


TV Vidéo Jaquettes : Qu'est-ce que vous effacez ?
Mylène Farmer : Tout, tout ce qui s'est passé hier ! J'ai un don pour ne me souvenir de rien sauf de ce qui est vraiment marquant ; mon enfance, mon proche passé, je ne veux pas y penser une seconde ! Ce serait régresser, j'ai besoin d'aller de l'avant, de ne pas regarder en arrière.


TV Vidéo Jaquettes : Quelle attitude ont les garçons avec vous ? Sont-ils attirés par votre célébrité ou leur faites-vous peur ?
Mylène Farmer : Tout le monde n'est pas à l'aise avec moi, je n'en tire aucune satisfaction d'ailleurs, je le remarque, et surtout je n'ai pas envie qu'ils soient à l'aise avec moi ! Je n'en sais rien, j'ai l'impression d'être une vieille grand-mère quand on me pose cette question ! Je reçois des lettres de personnes que je ne connais pas qui déclarent leur flamme (Mylène s'interrompt), non, je dis des bêtises, je ne fais pas une fixation là-dessus !


TV Vidéo Jaquettes : Et vous, quels sont les gens qui vous attirent ?
Mylène Farmer : Très souvent, ceux que je ne peux pas approcher, docteur ! Ceux qui ont un sens de la folie. La vie est déjà suffisamment laborieuse et triste, on ne va pas s'ennuyer avec les gens qui ont des problèmes dentaires !


TV Vidéo Jaquettes : Même en traitant des sujets durs ou morbides, vos chansons sont très gaies, non ?
Mylène Farmer : Parce qu'elles sont cyniques, le cynisme ça sauve tout !


TV Vidéo Jaquettes : Êtes-vous croyante ?
Mylène Farmer : Non ! Par contre, je peux être intéressée par quelqu'un comme sainte Thérèse d'Avila qui était une folle à lier aussi.


TV Vidéo Jaquettes : "Aussi ?" Vous vous considérez comme folle à lier ?
Mylène Farmer : C'est un peu l'image que je donne dans ce que je fais. Je crois être quelqu'un de pas fou du tout ! Dans la vie, on a tous des moments d'égarement, mais je suis seule dans ces cas-là, il n'y a que mon singe qui me regarde avec des yeux ronds !


TV Vidéo Jaquettes : Vous pourriez me définir votre caractère ?
Mylène Farmer : (en secouant énergiquement la tête) Non ! (rires) Caractérielle ?


TV Vidéo Jaquettes : Bon alors, pensez-vous bien vous connaître ?
Mylène Farmer :  Oui, oh oui ! Dommage, mais oui !


TV Vidéo Jaquettes : Avez-vous trouvé ce que vous vouliez vraiment faire dans la vie ?
Mylène Farmer : Voilà le genre de questions auxquelles je ne réponds pas ! (rires) L'avenir dira si on m'a pendue pour ça.


TV Vidéo Jaquettes : Avez-vous envie de faire autre chose aussi ?
Mylène Farmer : Je veux réussir dans tous les domaines, ne pas faire la même chose pendant vingt ans, chanson, cinéma, m'occuper d'animaux à 50 ans, pourquoi pas, tout et rien !


TV Vidéo Jaquettes : Fonder une famille ?
Mylène Farmer : Non, le pauvre, pauvre enfant ! Je n'en ai tout simplement pas envie...


TV Vidéo Jaquettes : Pensez-vous que chacun suit une destinée bien précise ?
Mylène Farmer : C'est cruel mais je pense que oui. Après, c'est une question de volonté, à nous d'affiner les gros traits qui nous sont tracés.


TV Vidéo Jaquettes : Où sont l'Enfer et le Paradis pour vous ?
Mylène Farmer : L'Enfer, c'est d'être là et le Paradis c'est d'être là aussi ! Vraiment, l'Enfer c'est la maladie, la pire chose qui puisse arriver à quelqu'un ; et puis "L'enfer, c'est les autres" comme disait je ne sais plus qui !


TV Vidéo Jaquettes : Oui l'autre, là !
Mylène Farmer : (Rires dans tous les coins)


TV Vidéo Jaquettes : À propos de Kate Barry (qui a créé les robes que Mylène porte pour la séance photos illustrant l'intervie dans le magazine, ndlr)
Mylène Farmer : Kate est en pleine structuration, elle n'a pas encore de magasin, elle a beaucoup de talent, je ne porte plus que ses créations.