MF & Vous : Sur le
dernier spectacle à Bercy de Mylène, vous
avez
été engagé comme percussionniste.
D'où vous vient cette spécialisation
dans les
percussions ?
Nicolas Montazaud : J'ai commencé par le piano à
8 ans
et trois ans
après, j'ai voulu faire de la batterie. Je me suis
retrouvé dans la classe de percussions classiques :
xylophones,
marimbas, grosse caisse, timbales, etc. J'ai passé
mon
prix de Conservatoire à 23 ans à Paris
mais au
même moment, je travaillais la batterie avec un professeur
dans
le Nord. J'ai abandonné les études
après ce
prix, n'ai passé aucun concours
d'orchestre et
j'ai gagné ma vie en cachetonnant à
l'Opéra. Je voulais que ça groove ! La
grande
musique ? Je l'écoutais plus que je
n'aimais la
jouer.
C'est le cas quand vous
jouiez par exemple dans des quatuors
de
jazz. Avec Mylène Farmer, a-t-on la crainte
d'être
noyé dans une grosse machinerie ?
J'ai conscience qu'il n'est pas
sûr qu'on
m'entende. Nous nous entendons parfaitement avec le
système des 'ear monitors' mais on n'a aucune
idée de
ce qu'entend le public. Pour Mylène à
Bercy, tous
les titres, excepté deux, étaient au click. Les
percussions ne sont pas fondamentales dans Avant que
l'ombre… à Bercy, où
l'essentiel
tourne autour des synthés, basse et batterie.
J'aime
simplement qu'il y ait du feeling dans un concert. Cela me
suffit
de faire un shaker si je sens que ça joue
derrière moi,
et que je peux prendre du plaisir !
Se rend-on compte de la
masse de public présente
à Bercy ?
J'ai joué pour le Pape il y a quelques
années et il
y avait un million de personnes, une marée humaine, une
autoroute de têtes mais des gens recueillis. Le public de
Mylène était hystérique et renvoyait
une grande
énergie. Jamais je n'avais vu ça.
Pourtant
j'avais fait le Stade avec Hallyday et même si je
ne
faisais que trois titres à l'époque,
ça
m'avait impressionné ! À Bercy,
c'était
très beau. L'endroit où nous
étions
placés pour jouer avec Yvan était en hauteur et
c'était un lieu réellement
privilégié
où l'on pouvait profiter des lumières
et de la mise
en scène d'un angle particulier.
Est-ce Yvan qui vous a
proposé pour ce dernier spectacle de
Mylène Farmer ?
Oui, c'est mon meilleur agent ! Quand il a besoin -
et que
je suis la personne qu'il faut... - il sait
être
persuasif. Cependant, cela reste une bagarre. Il y a des musiciens
incroyables aux États-Unis, en Angleterre et en France, mais
il y a
aussi des tendances. C'est plus compliqué
aujourd'hui de s'imposer quand on est
français. Je
fais partie aujourd'hui des concerts de Johnny Hallyday et je
sais qu'il a fallu qu'Yvan insiste.
Certains passages du
concert échappent au tandem
Boutonnat/Farmer pour n'appartenir qu'à
Yvan : les
instrumentaux, la partie de doudouk ou l'acoustique en milieu
de
spectacle...
Oui, on l'appelle pour apporter son talent, son univers et sa
personnalité. Tant mieux qu'on reconnaisse sa
patte sur
Farmer, sur L'odyssée
de
l'espèce ou
Massaï...
Il y avait eu beaucoup de boulot sur ces
deux
films. Avec Yvan, nous avons des projets que je ne pourrais faire avec
personne d'autre. Jamais je n'avais
enregistré une
semaine de percussions pour une bande originale ! D'habitude,
tout est bouclé en quelques heures alors que là,
nous
avions le temps de chercher et donc de trouver.
Il n'y a eu que13
concerts à Bercy. Que
ressent-on quand il n'y a pas de tournée en
suivant ?
Évidemment on est sur des œufs ! On joue moins
à
l'aise qu'en tournée. J'ai
aimé ce
sentiment de l'instant et le défi basique de
l'instrumentiste de bien jouer sa partie, même si
on est
encore fragile. Or dans cette fragilité, on trouve toujours
des
choses... On avait bien
répété et bien
rôdé le spectacle. C'est comme si nous avions fait
sept ou
huit concerts avant d'attaquer le premier car, lors de chaque
répétition, on filait et il y avait des
générales chaque soir une semaine avant la
première. C'était surtout
nécessaire pour
les gars de la technique !
On sentait que les
premiers soirs étaient quelque peu
hésitants...
C'était un gros challenge, mais nous
n'avions pas
à rajouter l'enregistrement de la vidéo
et du
disque live en un unique soir. On a enregistré chaque soir
car
la technique le permettait. C'est un gros travail pour tout
écouter mais au moins durant le concert, on joue sans la
pression de se savoir enregistré et de devoir être
brillant. Sur les treize dates, il y a eu des soirs magiques et jamais
nous n'avons connu la routine !
Yvan Cassar avait-il
écrit vos parties pour Bercy ?
À Bercy, j'avais des partitions écrites
que je
n'ai pas
réellement cherché à changer.
Certaines parties
ont évolué naturellement. Yvan est un grand chef
d'orchestre, un meneur d'hommes, le commandant de
bord. Il
a une formidable énergie de rassembleur. Il donne envie de
donner le meilleur. Il a envie d'entendre des sons, nous
choisissons les instruments qu'il faut et je suis assez
libre.
Chacun est son propre maître d'œuvre. Je
propose et
il dispose. Quand c'est à propos, il ne dit rien.
Quand il
n'est pas convaincu, il fait comprendre qu'il faut
changer !
Quels étaient
les rapports entre les membres de cette
joyeuse troupe ?
J'ai le sentiment qu'on a réussi
à bien
s'entendre. J'étais heureux de retrouver Éric
Chevalier. Abraham connaissait bien Yvan et Mylène. Il
était déjà
intégré. Les guitaristes
aussi étaient parfaits dans leur rôle de musiciens
de pop
anglo-saxonne. Nous nous estimions beaucoup les uns les autres, on a
beaucoup rigolé et j'ai l'impression
qu'il y
avait un ange sur cet événement. On nous
estimait.
Thierry Suc est un producteur formidable qui sait faire de gros shows
et prendre des risques sur des projets de développement
d'artistes ou sur des projets qui n'ont rien
à voir
avec la variété. Pour un projet aussi
énorme, les
répétitions auraient pu être
très tendues
mais en fait, pas du tout ! Yvan a pu être tendu car il avait
une
bonne partie du spectacle sur ses épaules mais moi,
j'avais le plaisir de ne rien diriger.
Quel a
été le véritable rôle
de Mylène Farmer dans ce spectacle pharaonique ?
Elle est à la base de tout, elle contrôle tout et
sait
exactement ce qu'elle veut renvoyer. Cependant,
j'ai
été très marqué par la
femme plus que par
l'artiste. Je l'ai sentie dans cette bulle du
spectacle. Je
ne peux pas dire que je la connais, loin de là, car
j'ai
très peu parlé avec elle, mais j'ai
senti une femme
mystérieuse, surtout fragile, et profondément
touchante
de par cette fragilité.
Aviez-vous des 'a priori'
?
Franchement, je croyais que ce mystère était
feint et que
cette fragilité était purement marketing, je me
trompais.
J'ai été bluffé et
touché. Son chant,
son personnage m'ont touché. Elle était
très
souriante, affectueuse, douce, humble et timide. Elle a
participé beaucoup au fait que tout soit bien. Cependant, je
la
vois plus comme un ange que comme une artiste avec laquelle
j'ai
travaillé. Le plus extraordinaire était le show
en
lui-même. Mylène, Laurent et les techniciens
avaient une
vraie pression. C'était agréable de
travailler dans
un concert où chacun est au top de son métier. Il
y avait
beaucoup de responsabilité, mais aussi beaucoup
d'assurance, à la fois une force tranquille et une
énergie grisante pour un concert exceptionnel. On faisait
partie
d'un moment magique, presque hors du temps.
Avez-vous un projet qui
vous tient particulièrement
à cœur ?
Oui, j'écris un album personnel où je
suis
totalement libre. Ne pas avoir de cahier des charges m'oblige
à m'en faire un. Par exemple, j'ai
décidé que je ne ferais que des morceaux
à trois
temps. Je veux une musique frontière qui ne se met dans
aucune
case, une musique illustrative. Je me suis donné
l'objectif d'aller au bout, tout seul ! Et il y a
aussi mon
jardin secret... sur lequel je travaille avec l'aide
de
l'IRCAM : un spectacle de percussions autour d'un
percussionniste qui fait un rêve, un voyage
poétique et
ancestral.
Vous avez
également réalisé
l'album de duos de Serge Lama, Pluri-elles...
Mon plus beau souvenir a été
d'enregistrer Annie
Girardot chez moi pour cet album. Elle était assise devant
moi.
Elle a chanté, presque parlé, pour
réaliser des
maquettes. L'émotion qu'il y avait eu ce
jour-là chez moi, nous ne l'avons jamais
retrouvée
en studio. Là, j'ai compris qu'il
était
nécessaire de garder les premières prises en
studio.
S'il y a de l'émotion, il y a des
défauts. On
ne vit pas la musique dans la perfection mais dans
l'honnêteté.
C'est un peu ce qui s'est
passé avec
Mylène
en janvier dernier. Elle semble avoir compris sur ce Bercy que les
erreurs avaient du charme et du coup, en assumant totalement sa voix et
ses imperfections, elle a gagné en justesse...
Complètement ! Nous sentions qu'elle prenait du
plaisir et
nous aussi. C'était le mot d'ordre de
ces
soirées. L'image que je garde d'elle est
celle
d'une ombre tendre sur ce spectacle et de beaucoup de
fragilité. Avant
que l'ombre...
à Bercy
était un moment magique et je
considère ce
spectacle
comme une parenthèse, une suspension dans le temps !