Peintre et sculpteur
Avril 2013
Styx Magazine spécial Mylène Farmer Monkey Me
Comment Mylène et vous
êtes entrés en contact pour travailler sur le clip
de A l'ombre ?
Il y a un an, un ami de Mylène avait vu ma vidéo
sur You Tube et lui en a parlé. Elle avait trouvé
ça très intéressant et il
fût question de créer un lien sur internet entre
une de ses dernières chansons de l'époque et ma
performance sur You Tube. Mais ce qui m'intéressait,
c'était d'aller vers une vraie hybridation entre son monde
et le mien. Finalement, un an après, nous sommes
arrivés à cette idée du clip A l'ombre.
Quelle a
été votre réaction lorsque vous avez
appris que Mylène Farmer, star très
éloignée de votre univers plus intimiste, voulait
travailler avec vous ?
D'abord je me suis posé des questions car mon travail est
plutôt à l'opposé de l'esprit
divertissant propre au showbiz. J'évolue plutôt
entre la liturgie orthodoxe, les chants pygmées, ou la
techno métal. Finalement, après discussion avec
Mylène et Laurent Boutonnat, j'ai compris qu'il y avait avec
eux deux un réel espace de création où
nos mondes pourraient s'exprimer, dès l'instant
où certaines options seraient prises.
Quelles
étaient-elles ?
Que je ne sois pas là juste pour tourner quelques images qui
fassent une sorte de fond, il fallait qu'il y ait une vraie
cohérence dans l'ensemble du clip, que les danseurs soient
eux aussi dans la boue, que Mylène accepte de jouer le jeu
de se mettre de la terre sur le visage etc.
Justement, comment cela
s'est-il passé ?
Même si elle avait de petites inquiétudes
naturelles sur la façon dont on respire sous la terre par
exemple, elle a volontiers joué le jeu. Nous avons fait une
répétition ensemble la veille et c'est tout.
Avez-vous eu droit de
regard sur le montage du clip et les images de votre performance ?
J'ai laissé Laurent à sa création.
Ça m'a fait peur d'ailleurs, car ma création
était alors entre les mains de quelqu'un d'autre et que
d'habitude, dans mon travail, je contrôle tout.
Et qu'avez-vous
pensé du résultat ?
Le clip est monté chronologiquement, en fonction du
développement de ma performance qui constitue une sorte de
squelette du clip, avec Mylène et les danseurs qui se
déploient là-dedans de façon
très cohérente. Les images sont superbes, et avec
la musique, cela fonctionne bien. Je regrette juste cette mode qui fait
que, pour j'imagine conserver l'attention du spectateur, il n'y ait
jamais un plan qui dure plus de deux secondes. C'est assez consternant !
Avez-vous
également coaché les danseurs qui, eux aussi,
sont dans la boue ?
Je n'ai rien contrôlé à ce sujet.
J'avais juste suggéré à Laurent que la
terre fasse lien durant tout le clip.
Comment avez-vous
trouvé Mylène sur le tournage ?
Pleine de modestie et prête à jouer le jeu. Je
garde donc un très bon souvenir de cette
expérience.
Laurent et
Mylène ont-ils eu des exigences particulières ou
vous ont-ils laissé totalement libre dans
l'exécution de votre travail ?
J'ai fait mon travail en totale liberté et avec le plus de
sincérité possible. Souvent, à la fin
de mes performances de "Transfiguration", je rentre dans une forme de
transe. Je me tape la tête contre le mur et, pour me pousser
un peu, je crie : "Olivier, tu dors, ça fait 50 ans que tu
dors !". Et là, j'étais tellement dans mon truc
que j'ai crié : "Mylène, tu dors, ça
fait 50 ans que tu dors !". Ça a d'ailleurs dû
créer une onde de choc dans le studio, et ça a
fait sourire Mylène…
Vous pensez que
Mylène dort ?
Dans le sens où je pense que Mylène ne travaille
pas à plein régime. Elle a une
carrière derrière elle, elle n'a plus rien
à prouver, elle pourrait aller plus loin, si elle prenait
davantage de risques, en allant vers le Dionysos en elle par exemple,
et toute sa part d'ombre.
Parlons davantage de
votre travail en général. Qu'est-ce qui le
nourrit ?
La métaphysique, comprendre qui je suis, ce que je suis et
ce que j'ai à faire dans ce monde. Je sais que la plupart
des gens se sont posés ces questions à une
époque de leur vie mais se laissent ensuite prendre par le
flux de la vie et les oublient. On peut considérer
qu'à partir d'un certain âge, continuer de se les
poser est une forme d'adolescence attardée, mais moi, je ne
capitule pas. Ces questions nourrissent mon travail toujours
axé sur la question du corps et de la
défiguration.
Comment ces questions
vous ont-elles amené à "Transfiguration" ?
"Transfiguration" est une tentative de mettre à mal cette
vision bornée et conformiste que l'on a de
nous-mêmes et de notre visage. La défiguration en
art est un processus créatif pour réactiver notre
vision du réel et le voir comme quelque chose de
fantastique, ce que notre accoutumance à la vie a tendance
à nous faire oublier. En général il
faut des événements radicaux et essentiels comme
la mort de proches par exemple pour que, tout à coup, la vie
reprenne un relief immense. Moi je ne veux pas lâcher cette
inquiétude existentielle car elle est fondatrice de l'art en
général et de mon art en particulier. Et partir
d'un visage pour aller vers l'effacement de celui-ci, puisque c'est de
ça dont il s'agit avec "Transfiguration", c'est une
manière de dire : "Vous voyez, j'étais un petit
fonctionnaire lambda, bien habillé, en costard cravate, et
tout à coup, il n'y a plus rien, ou du moins il y a bien
quelque chose mais je ne sais pas qui c'est, ce que c'est, ce que
ça veut".
Quels
ingrédients utilisez-vous pour "Transfiguration" ?
De la terre et des pigments noirs et rouges, comme d'autres jadis dans
les grottes.
Avant le clip A l'ombre nous n'avions jamais vu
Mylène se grimer autant. Vous avez réussi une
sacrée performance !
Si ça n'avait tenu qu'à moi, j'aurais
poussé plus loin ! Il y a une performance que je fais qui
s'appelle "Hybridation" 1. J'en avais parlé à
Mylène qui avait dit : "Pourquoi pas !" mais finalement,
ça ne s'est pas fait. Je suis sûr que
ça aurait fait des images fantastiques ! Il reste que pour
une star du show-biz, avoir accepté cette
défiguration est assez admirable.
Chaque performance de
"Transfiguration" repose- t-elle sur l'improvisation ?
Bien sûr ! J'ai une idée de base qui est ce
surmodelage du crâne et de la face, mais je ne sais jamais
où cela va me mener, quel monstre va sortir. La puissance
créatrice de « Transfiguration », c'est
ce travail à l'aveugle, qui exclut tout jugement et censure
sur les visages qui apparaissent, je redeviens comme un enfant qui
dessine comme il sent, et non comme il sait.