Les brèves

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MF 24/7 : les brèves

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THE SINGLES 1995-1997
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Pierre Guffroy - Interview (1994)






Quand avez-vous commencé à travailler sur ce projet ?
Il y a trois ou quatre ans. Laurent Boutonnat avait commencé à me parler du projet de Giorgino. Nous sommes partis en repérage dans le Massif central, le Vercors et le Jura pour chercher des lieux de tournage. Au cours de la balade, Laurent me parlait de l'atmosphère qu'il souhaitait pour Giorgino. Il ne voulait pas aller vers une sorte de "misérabilisme réaliste", il désirait vraiment une atmosphère "pourrie" disait-il. C'est-à-dire qu'il voulait que, du début à la fin de son film, il n'y ait surtout pas de respiration avec de beaux décors, mais que l'on soit totalement plongé dans une ambiance tendue, inquiétante. J'étais très intéressé par sa démarche. Il est rare qu'un réalisateur aussi jeune soit aussi volontaire et déterminé dans ses choix. J'ai voulu l'emmener dans des endroits que je connaissais depuis longtemps près de Pontarlier, dans la zone frontière du Jura avec la Suisse, mais la France est un pays moderne... Il y a toujours des fils électriques, des échangeurs, des maisons neuves, des supermarchés ou des panneaux publicitaires dans le paysage !
Comme nous ne trouvions pas un espace assez désert, la décision a été prise de tourner en Slovaquie.
Là-bas, pour les paysages vierges et inquiétants, c'est imparable. Nous pensions que ce serait intéressant par rapport au sujet du film de sentir déjà sur les lieux du tournage cette impression de dépaysement et de solitude.


Qu'attendez-vous d'un réalisateur avant de vous lancer dans votre travail ?
Au départ, il faut que les relations soient parfaitement claires pour savoir très vite si nous avons la même vision des choses. Laurent par exemple m'a choisi, m'a-t-il dit, parce qu'à l'âge de quinze ans, il avait vu Le Locataire de Polanski. L'ambiance des décors l'avait fortement impressionné. C'est vrai que d'un bout à l'autre de ce film, tout est tendu, fermé, sans espoir, avec parfois une forme d'exagération qui pourrait gêner un réalisateur amateur d'un certain réalisme. Laurent au contraire n'avait pas trouvé cela outré. Quand il m'a dit qu'il avait apprécié ce genre de décors, j'avais déjà une orientation précise, je savais que je pouvais aller franchement dans l'esprit de ce que j'aime moi aussi, c'est-à-dire créer une atmosphère et un climat. Trop souvent hélas, au départ, on croit être d'accord avec le réalisateur; on se lance avec des intentions formidables mais en cours de route ça dérape... On nous demande toujours d'embellir un peu et on tombe inévitablement dans le "joli", dans les belles images propres et sympathiques. Là, nous avions l'un et l'autre les mêmes volontés. J'étais enchanté !


Ensuite, comment se précisent les première ébauches des décors ?
Le scénario permet déjà de tracer une sorte de topographie des lieux. Pour l'orphelinat par exemple, je me suis souvenu de ce genre d'établissemeents tristes et vétustes perdus en pleine campagne que j'avais pu voir dans mon enfance. Alors on commence à imaginer la répartition des pièces et à tracer des plans en fonction des indications données dans les scènes, des sources de lumière et des déplacements de caméra. Je fais beaucoup de dessins. Pour ce film, j'ai pu prendre le temps de construire les maquettes des décors, ce qui est idéal, même si personnellement j'aime beaucoup aussi travailler "à l'oeil", sans plan précis, et improviser. Les maquettes permettent de soulever tous les problèmes avec le réalisateur et son équipe, et de régler les questions rationnelles comme par exemple chiffrer précisément le budget.


Puis vous vous êtes attaqué à la construction des décors. En combien de temps ont-ils été réalisés ?
Du 15 septembre au 15 décembre 1992 à peu près, nous avons commencé à fabriquer les décors de la forêt, des marais et l'intérieur de l'orphelinat dans les immenses studios Barrandov à Prague. Dans le même temps, nous avons entrepris en Slovaquie la construction entière du village, avec l'église et le cimetière, la maison de Catherine, l'auberge, etc.


En Slovaquie, vous arrivez sur un immense terrain vague où tout est à construire ?
Oui , je suis arrivé sur une vaste lande traversée par un méchant ruisseau qui débordait à chaque grosse pluie. J'ai commencé par faire construire un pont pour permettre l'accès sur les lieux des techniciens et des matériaux. On a mis à ma disposition une centaine de gars, des menuisiers, des peintres, des gens avec beaucoup de bonne volonté mais pas très spécialisés. Leur façon de travailler m'a semblé étrange au début mais il a bien fallu faire avec et, finalement, ils sont arrivés à la force du poignet à un bon résultat. J'ai vu arriver des gars armés de haches. C'était leur seul outil, ils s'en servaient aussi bien comme un marteau que comme arrache-clous, et ils n'avaient qu'un seul format de clous ! A la place de contre-plaqué, qui là-bas est hors de prix, ils nous ont livré des mètres cubes de plateaux de sapin épais de plusieurs centimètres ! Les décors ne risquaient pas de s'envoler, heureusement, car on a vécu de sacrées tempêtes ! Et puis on a trouvé aussi des matériaux de récupération, des vieilles portes, etc. Tout peut servir pour un décor, le manque de moyens est encore la meilleure école.


Quels sont vos soucis à ce moment précis de l'élaboration du décor ?
Il fallait vraiment donner, à travers les décors, cette ambiance d'inquiétude. J'ai joué avec les disproportions, les décrochements bizarres, les portes secrètes, les matières. Par exemple, ce n'est pas facile de rendre un couloir intéressant : il faut régler une certaine proportion entre la largeur, la hauteur et la longueur. Pour l'auberge, j'ai utilisé des différences de niveaux pour donner l'impression qu'une partie est en sous-sol, alors aussitôt on sent un peu l'humidité, le pourri... Il y a des petites trucs aussi : placer les boutons de porte un peu trop bas et vous commencez inconsciemment à vous interroger.


La chambre de l'orphelinat fait penser à la chambre des sept nains avec leurs petits lits...
Oui, le couloir est à peu près normal, puis vous entrez par une porte déjà un peu basse dans la chambre où tous les lits ne sont pas à la même échelle, ce qui permet de mettre beaucoup de petits lits et la pièce devient étrange... Décorateur, c'est un métier de trompe-son-monde ! Mais il ne faut pas prévenir les acteurs des tricheries, ils entrent dans le décor, et sans s'en rendre compte, ils adaptent leur jeu qui devient un peu différent... Quand ça marche, ça fait plaisir.


L'accessoirisation aide à renforcer cette atmosphère particulière ?
Aux studios Barrandov, il y a un énorme stock de meubles de la fin du siècle dans lequel j'ai pu trouver exactement ce que je recherchais, car il n'y a pas de loueur de meubles à Prague et nous n'avions rien apporté de France. Là-bas, les meubles ne sont pas spécialement de style ou typiquement français ; ils sont plutôt de facture européenne, un mélange bizarre qui ajoute déjà une étrangeté, un côté un peu fantastique et inquiétant. Plus que le style ou la vérité historique, ce sont les proportions qui sont importantes. J'ai pensé que dans ces maisons de province humides et vétustes, vous avez surtout du chêne assez brun attaqué par le temps ; la moisissure gagne le bois, on sent une odeur suspecte. Il faut sentir vivre tout cela sur l'écran sinon l'atmosphère vous échappe. Les rideaux, les tapis aussi, c'est très important qu'ils soient lourds, sombres, qu'ils aient un vécu, qu'ils sentent le passé. Même si on ne le voit pas, tout ça joue... Il suffit de mélanger quelques éléments très véridiques pour finir de poser l'époque.


Comment avez-vous défini votre palette de couleurs ?
On a décliné une gamme de bruns plus ou moins sombres. Il est préférable de ne pas se servir de peinture plastique car tout le décor claque et se reflète, et vous voyez apparaître, comme dans de nombreux films actuellement, des tonalités de verts et de bleus dans l'image. Il n'y avait pas de danger que les peintres utilisent de la peinture plastique : en Slovaquie, il n'y en a pas ! Quand j'ai vu qu'ils n'avaient que des balais avec des poudres et de la colle pour les peintures, ça m'a rassuré. J'ai apporté aussi tout mon vieux stock de papier peint du début du siècle qui me suit constamment. J'utilise toujours les vraies matières comme ça vous n'avez pas de trahison avec les couleurs. Et puis, il faut s'adapter au lieu. Là-bas, après chaque pluie, le sol du décor se transformait en une espèce de bouillasse, ce qui était parfait pour le film. J'ai eu l'idée de construire l'auberge avec du torchis, cette espèce de bouillasse mélangée à de la terre et de la paille, c'était bien mieux qu'une imitation de fausses pierres sur du bois !


Le froid a-t-il contrarié votre travail ?
Pas vraiment. Evidemment, parfois, la peinture se recouvrait de givre en séchant... C'est vrai il a fait très froid ; ce sont surtout les frileux de l'équipe qui en ont bavé... Laurent est très courageux, il adore le froid. Moi, le froid ne me gêne pas non plus ; j'ai l'habitude d'être toujours dehors sur les chantiers, je le supporte très bien. Finalement, Laurent a travaillé comme il faudrait toujours le faire : il adaptait son plan de tournage aux intempéries.


Que redoutiez-vous le plus dans cette aventure ?
Je redoutais de ne pas pouvoir réussir à réaliser le décor là-bas parce que je gardais quelques souvenirs cuisants des difficultés avec l'administration dans les pays communistes. Maintenant, c'est vrai, il y a beaucoup moins de problèmes qu'avant, mais il fallait beaucoup de patience... Dès que vous arrivez, il faut râler, mettre le poing sur la table et à force d'être têtu, la machine se met en marche. Enfin, ça occasionne des scènes très drôles !


Quels sont vos goûts en matière de décors ?
J'ai eu une période où je voulais faire des films historiques. Maintenant, je préfère les films un peu fantastiques, comme celui de Laurent, du réel bizarre. Je n'aime pas le fantastique genre Space Opera. On a l'habitude de dire que rêver c'est aller ailleurs. Mais moi je suis assez intimiste, on peut trouver du fantastique dans sa chambre à coucher ! Pour moi, un décor réussi est un décor qui ne se remarque pas. Ce qui ne veut pas dire qui ne soit pas présent. Un décor doit éviter toute fioriture pour aller à l'essentiel, à la simplicité. Dans le film de Laurent par exemple, il fallait sentir l'atmosphère et la lumière qui se dégagent des lieux. Le décor doit avoir sa propre présence car c'est un personnage du film. Avec Robert Bresson ou Buñuel, le décor doit passer totalement inaperçu puisqu'il est censé représenter l'univers bourgeois d'un personnage qui pourrait être votre voisin. Mais évidemment quand on ne voit pas le décor, vous n'avez pas de César !


Jean Cocteau vous avait donné votre première chance. Quel enseignement gardez-vous du poète-réalisateur ?
Pour Cocteau, il vaut mieux ne rien faire que faire une chose avec laquelle on n'est pas d'accord. Par exemple, si vous ne sentez pas ce cendrier-là sur la table, vous le virez. Cocteau m'a appris la simplicité. Il disait toujours : "Ce qui est hors de l'essentiel vieillit mal."


Retranscription le 02 septembre 2012


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