Ainsi Soit
Je...
Il n'y a pas de différence majeure avec le
précédent, c'est une continuité avec
une signature des textes plus importante, en l'occurrence
l'intégralité de l'album. Ainsi soit je,
c'est difficile de résumer ces trois mots, ils parlent
d'eux-mêmes et je dis cela sans prétention,
aucune. Il y
a toutes les obsessions qui résident et qui
persévèrent. Il y a des thèmes et des
auteurs... C'est un album qui n'a pas plus été
accouché dans la douleur que tous les jours qui composent
mes semaines et mes années... Bon là, j'ai
abordé un auteur référence qui est
Edgar Allan Poe, et le choix de Baudelaire, lui encore ce n'est pas un
hasard. Puisque ce sont ces thèmes qui reviennent.
J'évoque "Vienne", en rappel à la pendaison de
quelqu'un que j'ai effectivement connu... C'est une introspection, une
affirmation et un point d'interrogation aussi c'est
peut-être une manière de percevoir qui je suis...
tout simplement il n'y a de toute façon pas la moindre
tricherie quant aux thèmes choisis, aux univers et aux
émotions. Si tant est, qu'il y en ait !
J'espère. Ça fait deux semaines qu'il
est sorti et qu'il bénéficie
déjà d'un accueil formidable; sans parler de
récompense, je trouve que c'est une belle chose... comment
traduire cela avec des mots, je ne sais pas...voilà.
B comme Baudelaire
C'est un poète maudit, bon mais c'est surtout un
poète que j'aime bien. J'apprécie ses
névroses, ses persécutions, et puis le choix de L'Horloge parce que
la notion du temps qui passe, ne me laisse pas indifférente.
Baudelaire a une écriture incroyable. Peut-être
que le public du Top 50 ne le connaît pas mais ce n'est pas
bien grave au contraire, ça peut provoquer chez lui, une
découverte plus accessible qu'à travers les
recueils. Laurent Boutonnat a composé cette musique et il
m'a paru évident d'y mettre ce poème
que j'ai en mémoire depuis longtemps. Sans me comparer
à Léo Ferré, je pense que nos
démarches sont voisines...
B comme
Beauté
J'aime le mariage de Tristesse et Beauté, parce que les plus
belles choses se révèlent dans la Tristesse, dans
la tragédie... Vous m'interpellez en me disant que je suis
devenue le symbole de la beauté d'aujourd'hui. Vous le
comprendrez ce n'est pas à moi d'y répondre.
Evidemment cela flatte mon narcissisme et c'est une reconnaissance qui
me touche, bien sûr. Celle qui incarne ce mot un peu "court"
et "galvaudé", c'est Greta Garbo. Elle évoque
à la fois le mystère, les non-dits, et des pages
blanches à noircir de rêves...
C comme
Caméléon
Ça rappelle Sans
contrefaçon mais c'est surtout une notion qui
évoque comme "le caméléon" l'animal,
la possibilité de changer de décor ou
d'état d'âme. C'est à la fois physique
et métaphysique. J'ai une facilité et ce n'est
pas forcément une bonne chose pour basculer d'une
humeur plutôt agréable à des sentiments
terribles.
D comme Duelliste
En l'occurrence c'est aussi un film que j'ai beaucoup aimé
de par son style et son sujet.
Et puis c'est l'éternel Duel qui réside en chacun
de nous. L'opposition du bien et du mal... C'est deux contre soi, c'est
soi contre soi, en tout cas je suis deux. Il paraît que
philosophiquement on est trois mais c'est un domaine dans lequel je ne
me hasarderai pas...
E comme Enfance
J'ai conservé un regard tourné,
"obsédé" vers le passé, c'est une
chose dont je n'ai pas réussi à me
défaire... Je ne suis pas passéiste mais il y a
des moments qui sont restés inexpliqués,
ça se confond à un grand point d'interrogation.
Cela correspond aussi à des sensations douloureuses bien que
non concrètes et exprimables par l'anecdote. Je crois que
c'est une blessure, c'est un viol que de passer de l'adolescence
à l'âge adulte. Lorsque l'on est enfant,
même la "cruauté" vous est pardonnée. A
partir de l'instant où vos actes ne sont plus innocents mais
réfléchis toutes les données
revêtissent un tout autre habit.
F comme La Fille de Ryan
C'est le film culte de David Lean. Pour résumer
grossièrement disons que c'est l'histoire d'une fille qui
va découvrir l’amour et puis va s'apercevoir
qu'elle est à la recherche de choses qui n'existent
peut-être pas. J'en parle très mal ! C'est
dommage. C'est un cinéma de symboles, à la
manière du cinéma russe. L'action se
déroule dans l'Irlande du 19è avec des
décors somptueux, des sous-bois qui peuvent
rappeler Bambi...
de Walt Disney...
G comme
Garçon
C'est une référence à mon enfance, au
manque d'identité sexuelle que je ressentais alors. J'avais
du mal à me situer en fille ou en garçon.
J'étais quelqu'un d'indéfini... Mon comportement
était celui d'une excentrique. Je refusais le carcan
imposé par les normes attribuées à
chacun des deux sexes. C'était un état de
révoltée, certainement révoltant aussi
pour mon entourage... disons que aussi c'était le mal
être.
H comme Humeur I comme
Idéal J
comme J'en sais rien !
Il y a des domaines que je n'ai pas envie d'aborder, par pudeur et
puis,
oui, il faut savoir préserver certaines choses...
K comme Kasimodo
Il fallait trouver matière au K. C'est surtout quelque chose
qui est composé à un être
dès sa naissance, en l'occurrence là, c'est la
laideur, la déformation physique,
génératrice d'un avenir pour le moins terrible.
Il peut m'arriver de me sentir "Kasimodo" un matin.
L comme Lou Andreas
Salome
J'ai découvert son existence hier, grâce
à un portrait télévisé.
C'est une femme qui a eu une vie incroyable, exemplaire, elle a
séduit des hommes tels que Nietzsche, Freud et Rilke. En
plus, elle débordait d'une intelligence rare; bien qu'elle
ait été un écrivain non reconnu par la
postérité. Qu’elle ne soit pas devenue
un panthéon, là n'est pas mon propos. Ce qui
m'intéresse c'est sa vie, sa sexualité
troublée, sa quête perpétuelle d'absolu.
M comme Mutisme
J'apprécie la sonorité de ce mot. Il me concerne
dans la mesure où j'ai sombré dans cet
état mais, rassurez-vous, à court terme.
C'est vrai que j'ai pu passer d'une envie formidable de parler et de me
faire remarquer, à une envie de complètement
m'extraire du monde.
N comme Noyade
Ça fait partie de mes phobies. L'eau plus que la noyade,
d'ailleurs car l'eau est un élément qui me fait
très peur. Je ne me baigne jamais.
O comme
Obéissance
Je suis réfractaire à toute forme
d'obéissance, c'est l'école etc... une certaine
soumission qui me dérange. À travers mon
métier, par contre, je suis restée
fidèle à ma désobéissance.
P comme Pause
(On laisse ce mot sans commentaires). Pause magnéto !
Q comme Quasimodo
À renvoyer au K, son petit frère jumeau.
R comme Repos
Je ne sais pas prendre de repos. Je lui préfère
son cousin, le Travail je crois.
S comme Suicide
Ça me fascine ! C'est un acte que je pourrais qualifier de
beau, et de courageux, certainement. Dans Jardin de Vienne,
je parle de quelqu'un qui habille, qui met en scène son
suicide. Là, c'est romantique, esthétique
même. Quelque part, j'ai une âme suicidaire, c'est
à la fois une peur quant à l'au-delà
mais aussi une détermination, l'envie de dire "maintenant
ça suffit".
T comme Tu
t'entêtes à te foutre de tout !
C'est plaisant, à écrire, à lire et
à chanter surtout...
V comme Se
prononce I en Russie
À l'école, c'était ma
3è langue; je l'ai vite abandonnée parce
que c'était vraiment trop dur à assimiler. Pour
apprendre le russe, il faut pénétrer l'univers
d'un pays, d'une culture, y consacrer
l'intégralité de son temps, "Rentrer au couvent".
V comme Veuve noire
(L'Araignée)
C'est l'insecte que je déteste le plus au monde sans pour
autant vouloir le détruire parce que j'en suis parfaitement
incapable. Mais c'est vrai, je ressens une phobie inexplicable
concernant cette bête. Cela dit, "la veuve noire", c'est un
bien joli mot pour une araignée.
W comme Woyage
C'est par désobéissance ! Puisque l'on peut faire
à peu près tout avec le français,
pourquoi pas ne pas écrire Voyage avec un W.
J'ai
très peu voyagé, cela dit c'est une chose que
j'envisage mais, pas dans un futur proche... Pour l'instant, je voyage
à travers mes lectures...
Le voyage c'est théoriquement une manière de
s'extraire de soi, pourtant, je n'en suis pas si sûre ! Ne se
projette-t-on pas de toute façon, lorsqu'on lit un roman ou
lorsque l'on va voir un film au cinéma ? Si on se retrouve
dans ces univers, c'est que forcément ils s'en
réfèrent soit à notre vécu,
soit à notre imaginaire. Sans doute doit-on avoir besoin de
cette identification, de ce dédoublement, de ce
"détriplement" (rires).
X comme
Ça peut être le signe de multiplication !
Passer pour un apôtre de l'arithmétique
ça me fait sourire car entre moi et l'algèbre il
y a toujours eu une incompatibilité d'humeur et de
compréhension. À l'école
déjà, c'était un
défilé de zéros pointés.
Y
comme Grec
Qui est encore persécuté par Monsieur Le Pen !
(si je l'appelle Monsieur ! c'est par ironie ! (bien sûr).
Z comme Zesus !
Parce que quand Zébu Zé plus soif.
Graffiti : Le bilan
de
l'abécédaire
Mylène Farmer : D'abord, je trouve que c'est lui accorder
beaucoup trop de temps et
puis je ne suis pas un dictionnaire. Pourquoi après tout
privilégier "Repos" à "Raison" par exemple ?
Graffiti : Les
projets ?
Mylène Farmer : Dans l'immédiat c'est
évidemment la sortie de
cet album qu'il faut habiller, promouvoir...
Graffiti : La
scène
?
Mylène Farmer : Ça devient de plus en plus une
envie ! Baudelaire pourrait
ouvrir cette scène, c'est une idée. Par contre,
je n'ai pas fixé l'échéance car comme
toutes les choses que je décide de réaliser, je
veux y consacrer du temps pour bien la préparer.
Graffiti :
Mylène
Farmer c'est la rigueur, le perfectionnisme ?
Mylène Farmer : Oui, parce que la volonté... non,
disons que l'imperfection par rapport à moi, encore
une fois, ne peut pas avoir sa
place...
Graffiti :
Mylène
Farmer, est-ce seulement une chanteuse ?
Mylène Farmer : C'est un terme un peu castrateur,
effectivement, moi, ça ne
me dérange pas ! J'ai l'impression de ne pas être
qu'une chanteuse. Voilà.
Graffiti :
Mylène
Farmer au départ ça a été
"un mannequin qui chante" ensuite "une chanteuse de clip", aujourd'hui,
qu'en est-il exactement ?
Mylène Farmer : Le vécu de la chanteuse a nourri
bien évidemment
la femme, entre guillemets; ça ne régit pas une
vie, mais ce sont deux données indissociables l'une de
l'autre.
Graffiti :
Mylène
Farmer, l'auteur ?
Mylène Farmer : J'ai de moins en moins d'inhibitions quant
à
l'écriture. Là, il s'agit plus d'une
découverte qu'une revendication majuscule. D'ailleurs plus
j'écris et plus c'est difficile et plus c'est
agréable aussi. À mesure que j'écris,
je ressens une fringale de lectrice.
Graffiti :
Mylène
Farmer, heureuse ?
Mylène Farmer : C'est un mot qui n'appartient pas
à mon vocabulaire, il ne
s'inscrit pas dans mon dictionnaire. Le mot reste à inventer.
Graffiti : Et la
chanson dans
tout ça ?
Mylène Farmer : C'est à la fois un flux et un
reflux de grandes joies et de
désillusions. Ça nous amène
très loin, et ça vous fait retomber encore plus
loin...
Graffiti : D'un
doute
à l'autre ?
Mylène Farmer : Plus exactement il s'agit de la certitude du
moment.
Graffiti :
L'ambition ?
Mylène Farmer : Oui ! Elle transparaît de toute
façon...
Graffiti : Le
courrier ?
Mylène Farmer : Ça devient de plus en plus
difficile à
maîtriser! Il existe des lettres très belles qui
exigent des réponses mais qui ne laissent pas d'adresse,
alors...
Graffiti : Votre
public vous
ressemble ?
Mylène Farmer : C'est surtout à travers les
thèmes que j'ai bien
voulu aborder. Les gens ont eu l'impression qu'ils allaient
être bien compris par la personne qui chantait "ces mots
là".
C'est vrai que la vie n'est pas rose.
Graffiti : Laurent
Boutonnat /
Mylène Farmer : des épousailles artistiques ?
Mylène Farmer : Depuis quatre ans, c'est le compagnon de
nombreuses choses. Ce sont
deux moitiés qui n'en font plus qu'une (je me prononce pour
lui), ce sont deux bourgeons qui fleurissent ensemble...